Les tourments sexuels de Romy et l’obsession du gendarme belge
INTIMITÉ.- Directrice générale d’une grosse entreprise américaine spécialisée dans le stockage robotisé, Romy Mathis est une executive woman dans toute l’acception du mot. Mais cette femme qui peut parler avec aisance d’e-commerce et d’IA opposée à l’intelligence émotionnelle, est aussi une parfaite épouse et une mère aimante. Avant de quitter sa superbe maison pour partir au boulot, elle prépare les affaires de ses deux grandes filles et assure, avec un tablier à fleurs très old fashion, le petit-déjeuner pour toute la famille. Un jour, dans la rue à New York, elle voit un chien agressif être ramené au pas par un jeune homme. Elle va bientôt croiser le même dans les vastes espaces de sa boîte où il débute comme stagiaire. « Comment avez-vous fait pour calmer le chien ? » interroge Romy. « J’ai toujours un biscuit sur moi » répond Samuel. Alors que les fêtes de Noël arrivent, l’entreprise organise une soirée pour le personnel. Samuel y danse joyeusement et égare sa cravate. Le lendemain, Romy la récupère à terre, la hume, l’enfonce dans sa bouche…
Babygirl (USA – 1h54. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 15 janvier) s’ouvre, en prégénérique, sur une séquence où Romy et Jacob font l’amour dans le lit conjugal. « Je t’aime » dit le mari. « Je t’aime » répond l’épouse. Qui, après avoir enfilé sa nuisette, file dans son bureau, allume son ordinateur et regarde, allongée sur le ventre, un porno tout en se donnant du plaisir. Bien plus tard, Romy craquera et lancera à un Jacob déconfit (Antonio Banderas) qu’elle n’a jamais réussi à avoir un orgasme avec lui !
Après Instinct : liaison interdite (2019) sur une psychologue pénitentiaire craquant devant le charme d’un détenu et le film horrifique Bodies, Bodies, Bodies (2022), l’actrice et cinéaste hollandaise Halina Reijn signe, ici, un thriller érotique qu’elle envisage comme une expérience captivante, sensuelle et parfois risquée qui lui permet de questionner la complexité du désir dans un environnement sûr et confortable. « Ce n’est pas un documentaire, dit la réalisatrice, tout est fictif. On achète un billet, on vit cette expérience ensemble et on peut en parler ensuite. J’étais convaincue que c’était nécessaire, surtout en Amérique où les mœurs sexuelles semblent très réprimées. Je voulais explorer cela de manière humaine et chaleureuse. » Une démarche, après tout, plutôt sympathique que de vouloir provoquer le débat après un film.
La limite, c’est justement qu’on observe les tribulations érotiques et les fantasmes « pervers » de Romy sans trop être bouleversé par ce dérapage qui amène une femme mature dans les rets d’un jeune type (le Britannique Harris Dickinson) qui lui lance, comme un défi ultime, « Je crois que vous aimez qu’on vous dise quoi faire » qui deviendra « Je te dis quoi faire et tu le fais ». Alors, dans une luxueuse chambre d’hôtel, tandis que George Michael chante Father Figure, Romy retire sa culotte, s’assied sur le lit, écarte les jambes (hommage à la scène culte de Basic Instinct?) avant de retirer sa robe, d’entendre Samuel lui dire qu’elle est sa Babygirl et de finir, à quatre pattes, par laper du lait dans une coupelle.
Face à une femme de pouvoir, le jeune stagiaire utilise sans vergogne la hiérarchie envisagée comme une tension et un jeu sexuels. S’il n’avait pas trop l’allure d’une romance chez les nantis doublée d’un porno chic, Babygirl pourrait alors apparaître comme une comédie de mœurs espiègle avec un chat et une souris dont les rôles et surtout les limites changent à volonté…
Reste enfin Nicole Kidman qui agite le tam-tam médiatique depuis qu’elle a obtenu le prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise. Tout comme Demi Moore qu’on a applaudi récemment dans The Substance, Nicole Kidman paye, ici, franchement de sa personne dans les scènes érotiques. On a parfois l’impression, à cause de certains décors, du travail sur les éclairages, de la revoir dans le Eyes Wide Shut (1999) de Kubrick.
Babygirl n’est sans doute pas un film qui demeurera dans les mémoires cinéphiles mais on veut bien faire un petit tour avec cette Romy, New-Yorkaise de la haute société, tirée à quatre épingles, qui peine à équilibrer ses désirs intérieurs et son apparence civilisée. Une dirigeante accomplie et une matriarche qui, sous la surface, rêve de lâcher prise et de s’abandonner. Le fera-t-elle ?
(EN)QUÊTE.- Quelque part du côté de Charleroi, deux gendarmes ramènent chez lui, un adolescent délinquant. Tant la mère que le père du gamin envoient les deux fonctionnaires se faire voir. Pas question d’entrer dans leur domicile. Lorsque le père traite Paul Chartier de « chômeur », le gendarme explose, entre de force dans les lieux, se bat avec le père et le menace de son arme… De retour à la gendarmerie, Chartier est accablé par son adjudant, qui ne manque pas de lui rappeler d’où il vient. De fait, sa mère a travaillé dans un bar montant et son père est en prison. Mais, pour Chartier, tout cela, c’est fini. D’ailleurs, il va se marier avec Jeanne, une jeune femme appartenant à la communauté italienne du pays.
Nous sommes dans la Belgique de 1995 et la population est bouleversée par la disparition inquiétante de deux jeunes filles qui déclenche une frénésie médiatique sans précédent. Paul Chartier va rejoindre l’opération secrète Maldoror dédiée à la surveillance de Marcel Dedieu, suspect récidiviste. Confronté aux dysfonctionnements du système policier et à la guerre, à peine feutrée, entre police judiciaire, gendarmerie et police communale, le gendarme idéaliste va se lancer, seul, dans une longue chasse à l’homme…
Lorsque, naguère, le cinéaste belge Fabrice du Welz évoque son nouveau projet de cinéma et dit qu’il envisage de consacrer (librement), avec Le dossier Maldoror (Belgique/France – 2h35. Interdit aux moins de 12 ans.Dans les salles le 15 janvier), un film à l’affaire Dutroux, il se heurte à un bloc d’hostilité. De fait, l’effrayante affaire Dutroux, avec son retentissement mondial, a bouleversé la Belgique. La marche blanche organisée à Bruxelles en octobre 1996 qui rassembla plusieurs centaines de milliers de participants, mis la classe politique face à de graves errements et l’amena à entreprendre de profondes réformes institutionnelles.
« Cette affaire, dit le cinéaste, nous a collé à la peau, à nous, Belges, pendant longtemps : c’était un cloaque dans le quel les citoyens ont été jetés, assistant, épouvantés, à l’impuissance des parents des petites victimes face aux dérives et à l’absurdie de la justice. On découvrira par la suite que l’enquête avait été entravée par des rivalités policières qui ont causé de multiples dysfonctionnements et des dommages irréparables. »
Du Welz a approché son film comme « une coupe verticale, nette, dans le coeur d’une affaire tentaculaire ». Sa fiction prend le genre du policier, façon polar français des années 70 à la manière de Boisset et Corneau. Pour cela, il a choisi un gendarme, certes impulsif mais surtout idéaliste qui se nourrit de l’illusion qu’il faut être du « bon » côté de la loi pour avoir la moindre influence sur la justice. Issu d’un milieu fracassé, Chartier prend conscience que le monde dans lequel il évolue comme gendarme est encore plus vérolé que celui dont il vient. Devant l’inertie du système et alors même qu’il a la sensation qu’il pourrait oeuvrer à l’exercice de la justice, Chartier va sombrer. Viré de la gendarmerie, il mène, seul, une traque sans issue mais complètement obsessionnelle…
Parti d’une tonalité naturaliste, Le dossier Maldoror va basculer dans un univers horrifique autour du personnage d’« ogre » de Dedieu mais aussi de personnages spécialement tordus. Au milieu de cette faune peu ragoutante, Chartier patauge sans pouvoir franchement faire le ménage dans ces belges écuries d’Augias. Un solide polar avec hélas des longueurs. Anthony Bajon incarne un Chartier souvent au taquet. Autour de lui, on remarque Sergi Lopez, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manetti, Laurent Lucas, Jackie Berroyer, Lubna Azabal ou Béatrice Dalle.