Violette et Paul-André ou le pari du bonheur
La maison est grande, belle, moderne mais on sent d’emblée qu’il y flotte comme un parfum de tristesse, de mélancolie même. Dans son impeccable costume gris, Paul-André, le propriétaire des lieux, erre dans des intérieurs sombres tandis qu’un majordome discret et stylé glisse alentour. Aperçu furtivement, un grand tableau de Francis Bacon projette une vision quasi-cauchemardesque. C’est là qu’est « convoquée » Violette. Pour un deal, un contrat même. La fortune de Paul-André lui permet de racheter les dettes de Violette. En échange, Violette prend son bienfaiteur dans sa famille…
Avec Une famille à louer, son dixième film mais seulement sa deuxième comédie, Jean-Pierre Améris signe une fable romantique sur un vieux garçon un peu sombre, riche et misanthrope qui décide, en « essayant une famille », de se confronter au désordre de la vie. Et quoi de mieux que la famille de Violette pour tenter cette expérience nouvelle et forcément bizarre. D’autant plus bizarre que Lucie et Auguste, les enfants de Violette, regardent d’un drôle d’oeil ce type que leur mère, pas vraiment convaincante, présente ainsi: « C’est mon amoureux ».
Aux 19e Rencontres du cinéma de Gérardmer, en avril dernier, le cinéaste me confiait que ses films étaient souvent à teneur autobiographique: « Jusque là, je n’étais pas très famille. C’était une appréhension qui venait de l’enfance. Pour moi, la famille, c’était le conflit, les engueulades, les non-dits. » Et puis il y a eu la rencontre avec Murielle Magellan: « C’était pour le travail (elle est la co-scénariste du film) et l’amour est passé par là. » Et ainsi, Améris, « vieux garçon obsessionnel » (sic) est entré dans un cercle familial plein de vie.
De là à tirer la matière d’un conte de fées, il n’y avait qu’un pas. Que Jean-Pierre Améris franchit allègrement avec une oeuvre en technicolor marquée au coin de l’élégance et de la légèreté. Aucun naturalisme dans cette aventure décalée qui tourne autour de trois maisons. La grande, celle de Paul-André, la petite, celle de Violette qui fait un peu Blanche-Neige, enfin celle de la mère de Paul-André qui nous en apprendra beaucoup sur les traumas d’enfance du héros. Et puis il y a aussi un kiosque en ruine hautement romantique où Paul-André fera sa déclaration à Violette…
Dans Une famille à louer, on apprécie d’entrée la manière dont le cinéaste, nourri du cinéma de Gregory La Cava et de Frank Capra, dessine ses deux personnages principaux dans leur petit jeu (dangereux, évidemment, pour leur solitudes respectives) du « Si on vivait ensemble? ». Suivi au début par un majordome qui semble sorti de… Batman (François Morel, réjouissant), Paul-André apparaît comme un solitaire qui pourrait professer: « Je suis content d’être seul et je suis seul ». Parfait angoissé, Paul-André a, à la fois, peur et envie de se lier aux autres. Violette, elle, est tout le contraire. Un peu trop décolletée, un peu trop court vêtue, complètement extravertie et très sexy (Améris envoie She’s a lady de Tom Jones dans la bande-son), Violette a déjà pris bien des coups dans la vie. On devine que les hommes n’ont pas été tendres avec cette Erin Brockovich à la française qui proclame que la famille est son havre de paix et son réconfort alors même qu’elle redoute que les services sociaux lui retirent ses enfants…
Après Les émotifs anonymes, Jean-Pierre Améris retrouve Benoît Poelvoorde, un peu son Antoine Doinel à lui. Un Poelvoorde tout en tendresse qui compose, avec Virginie Efira, un duo belge plein de fantaisie et au jeu séduisant ou burlesque. Lui-même très maniaque, Poelvoorde est épatant de drôlerie quand il se « bagarre » avec une porte de frigo ou quand sa méticulosité compulsive s’exprime à travers un aspirateur. Virginie Efira, dans son côté too much, sur le fil de la vulgarité sans l’être vraiment, charme son monde. Elle est savoureuse quand elle annonce à Paul-André interloqué qu’ils partageront la même chambre mais qu’ils ne coucheront pas ensemble. Elle est touchante lorsqu’elle raconte à ses enfants comment elle est censée avoir rencontré son amoureux et qu’elle lui effleure le cou. Le trouble qui naît soudain entre elle et lui est magnifique…
Même si on est dans le registre de la comédie romantique (avec enfants, ce qui est rare), Jean-Pierre Améris peut mettre des coups de griffe. Ainsi lorsqu’il esquisse la question de la précarité (Violette s’attend à passer très vite à la casserole) mais aussi lorsqu’il montre, lors de la séquence du pique-nique, la famille « tuyau de poële » de Violette qui la prend pour une cruche et lui lance des méchancetés en l’assortissant d’un « Je plaisante »… Et que dire de la cruelle séquence chez la mère de Paul-André (Edith Scob parfaite) où celui-ci se confronte à une femme incapable d’être aimante ou affectueuse.
Une famille à louer est un film sur le pari du bonheur où les contraires s’attirent et finissent par se donner confiance l’un à l’autre. Mieux encore, c’est Paul-André qui révélera le talent de Violette pour la sculpture sur légumes. Et voilà comment on passe un très agréable moment de cinéma. Pour le meilleur et pour le rire.
UNE FAMILLE A LOUER Comédie (France – 1h36) de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde, Virginie Efira, François Morel, Philippe Rebbot, Pauline Serieys, Calixte Broisin-Doutaz, Nancy Tate, Edith Scob. Dans les salles le 19 août.