Un pactole dans la neige et le fantôme dans la nuit
JURA.- Dans la forêt enneigée du Jura, un type avance sur un terrain accidenté et houspille un groupe de migrants qui peinent à progresser dans la pente. Au téléphone, il rassure son interlocuteur. Tout va bien. Il sera au rendez-vous. Quand, soudain, un grondement pétrifie le groupe. Entre les arbres, un énorme ours approche et met en fuite tout le groupe. En mâchant distraitement un bout de pain, Michel, lui, roule paisiblement au volant de son pick-up sur une route déserte. Soudain, à la vue d’un ours sur la chaussée, il fait une embardée, tente de reprendre le contrôle de son véhicule et finit par percuter une grosse limousine en stationnement. Le choc tue net une blonde qui faisait pipi entre les portières. Quant au conducteur, parti se soulager, il finira empalé sur une branche de sapin. Abasourdi, Michel revient dans sa scierie, raconte son aventure à Cathy, son épouse. Ensemble, ils retournent sur le lieu de la collision. Dans le coffre de la voiture, le couple découvre un sac de sport bourré de gros billets… Pendant ce temps, les gendarmes ont récupéré les migrants qui, terrorisés et incapables de s’exprimer en français, font des dessins d’ours.
Décidément le Jura a le vent en poupe dans le cinéma français. Après le récent Vingt Dieux et la quête initiatique du Comté par le rebelle Totone, voici Un ours dans le Jura (France – 1h53. Dans les salles le 1er janvier) qui retrouve, à son tour, les vastes espaces forestiers de la Franche Comté.
Après deux premières réalisations qui lui valurent de bonnes critiques (Tout le monde debout en 2018, une romance autour du handicap et Rumba la vie, en 2022, sur un vieux père renouant avec sa fille abandonnée il y a longtemps), Franck Dubosc change de registre. Lorgnant, de façon assumée, du côté du Fargo (1996) des frères Coen, le comédien et humoriste signe, à nouveau devant et derrière la caméra, un thriller rural volontiers déjanté.
« Il n’y a pas d’ours dans le Jura » disent plusieurs personnages du film. Force est cependant de constater que c’est un imposant plantigrade qui met, ici, le feu aux poudres. Il met en effet en déroute une colonne de migrants qui s’avèrent être des mules transportant, dans leur estomac, de grosses quantités de drogue. Et surtout, en emplafonnant une limousine, Michel récupère l’argent de ce trafic illicite.
A cause de ce brûlant pactole, le couple Michel-Cathy, usé par le temps et les difficultés financières, reprend des couleurs. L’argent ne fait pas le bonheur, on le sait. Mais il peut (largement) y contribuer. Et, dans cette histoire délibérément et joyeusement immorale, tout le monde va vite avoir envie d’en croquer.
« Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ? Mais non ! dit Franck Dubosc. Dans la réalité, tout le monde n’est pas forcément beau ni gentil. Et justement, aborder la morale d’une manière aussi libre permet aussi d’explorer un humour différent, plus grinçant et souvent surprenant. Avec ce film, j’ai aimé jouer de cet humour qui émerge des contradictions des personnages, et parfois de la dureté des situations. »
Si Un ours dans le Jura peine parfois à trouver le juste ton entre le film noir, la saga rurale et la comédie délirante, le film est porté par une belle galerie de personnages, tous soigneusement ciselés. Franck Dubosc s’est emparé du taiseux Michel face à une Cathy tonique à laquelle Laure Calamy apporte une vraie détermination. Les gros billets, elle sait parfaitement quoi en faire, quitte à devoir faire le nécessaire pour se débarrasser de cadavres évidemment encombrants.
Autour de ce couple qui réapprend à se parler dans l’épreuve, on retrouve avec plaisir un Benoît Poelvoorde à son meilleur niveau en major de gendarmerie. Et puis aussi Joséphine de Meaux, Kim Higelin, Medhi Meskar ou Emmanuelle Devos, délicieusement tordue en patronne de club échangiste. Tous vont finir par goûter à l’interdit. Peut-être pas le « film du siècle » mais allègrement savoureux !
VAMPIRE.- Vlad l’empaleur est de retour ! Et il hante toujours les rêves et surtout la libido très troublée de la jeune et diaphane Ellen Hutter. Bien des années ont passé. Ellen s’est remise des « assauts » nocturnes de son tourmenteur. A Wisborg, dans l’Allemagne de 1838, elle vient d’épouser le charmant Thomas qui œuvre comme clerc de notaire. Mais lorsque l’étrange Knock sollicite Thomas pour se rendre dans les montagnes des Carpates afin de conclure la vente au comte Orlok d’une grande demeure décrépite au coeur de Wisborg, Ellen redevient craintive et sujette à des crises de terreur. Malgré les avertissements angoissés d’Ellen, Thomas part pour la Transylvanie. Malgré les recommandations de Tziganes, Thomas décide de se rendre auprès du comte. C’est un carrosse noir sans cocher qui le mènera vers un sombre château… Lorsque Thomas se blesse avec un couteau, Orlok, fasciné par son médaillon avec l’image d’Ellen, l’hypnotise et boit son sang. Thomas réussira à fuir le château. Il sera soigné du mal d’Orlok par des religieuses. Pendant ce temps, couché dans son cercueil rempli de rats infectés par la peste, le comte vogue vers Wisborg…
Depuis des décennies, les cinéphiles sont nourris au lait noir de Dracula, le vampire imaginé en 1897 par Bram Stocker dont F.W. Murnau tira, en 1922, avec Nosferatu, une œuvre devenue mythique. En 1979, Werner Herzog rendit hommage au personnage du comte avec son Nosferatu, fantôme de la nuit porté par le magnifique trio composé de Klaus Kinski, Isabelle Adjani et Bruno Ganz.
A son tour, l’Américain Robert Eggers, connu pour The Lighthouse (2019), s’empare de l’horreur gothique dans Nosferatu (USA – 2h12. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Dans les salles le 25 décembre) dont il dit que l’histoire « l’accompagne, l’habite et le fascine depuis l’enfance ».
Se plonger dans cette version 2024 de Nosferatu est une manière de renouer avec le mystérieux noble transylvanien pour lequel la lumière du soleil est mortelle, le contraignant à se réfugier, le jour, dans son cercueil… On retrouve, ici, les personnages principaux du roman de Stocker comme Thomas et Ellen Hutter inspirés de Jonathan et Mina Harker, Herr Knock inspiré du tragique Renfield ou encore le professeur von Franz qui s’inspire d’Abraham Van Helsing.
Apportant un soin particulier à une atmosphère effrayante reposant sur des images teintées de sombres bleu et noir, Eggers cède sans doute aux contraintes d’aujourd’hui en accentuant la dimension gore de son film. Le metteur en scène qui a étudié avec attention le scénario original de Henrik Galeen, annoté par Murnau, fait, ici, du personnage d’Ellen, la force motrice de son Nosferatu. «L’évolution la plus significative, par rapport à l’original, dit le cinéaste, c’est que ça devient le film d’Ellen. Elle est victime du vampire, mais aussi de la société du 19e siècle. »
Eggers a confié Thomas Hutter à Nicholas Hoult, vu récemment dans Juré n°2 de Clint Eastwood, le professeur Von Franz, spécialiste des représentations occultes du vampire, à Willem Dafoe et Orlok au Suédois Bill Skarsgård qui en propose une composition scrofuleuse et pourrissante. Enfin, Lily-Rose Depp (dont le look fait beaucoup songer à Adjani chez Herzog) est une Ellen gagnée par d’étranges affres et glissant vers une hystérie « freudienne » qui en appelle au désir et à la jouissance. Un film qui n’a rien de blasphématoire et qui parvient, malgré quelques lenteurs, à réveiller le souvenir du grand et bien nommé Max Schreck !