Les derniers jours d’un roi

Louis XVI (Guillaume Canet), un monarque en fin de course. Photo Fabio Lovino

Louis XVI (Guillaume Canet), un monarque
en fin de course.
Photo Fabio Lovino

En 1792, l’Ancien Régime touche à sa fin. Arrêtés à Paris, Louis XVI et son épouse, la reine Marie-Antoinette sont conduits au donjon de la Tour du Temple. Accueillis par le procureur de la commune de Paris, les souverains s’entendent signifier les conditions de leur détention. En attendant que les cellules de la Tour du Temple soient remises en état, Louis XVI, Marie-Antoinette, leurs enfants Marie-Thérèse et Louis-Charles devront se tenir, sous la surveillance de soldats, dans un immense espace où, à défaut de couchages, on a disposé quelques cousins et couvertures. Auprès de la famille royale, ne resteront qu’Elisabeth, la sœur du soi, Madame de Lamballe (qui sera très vite conduite ailleurs) et Cléry, le valet de chambre du roi… Quelque temps plus tard, Louis XVI et les siens sont transférés à la Tour du Temple. Si le roi veut croire que les choses finiront sans doute par s’arranger, Marie-Antoinette, meurtrie par l’attente, éclate : « Ma vraie prison, c’est cette comédie qui n’en finit plus ! »
En s’inspirant librement des carnets de Jean-Baptiste Cléry, le valet resté auprès du roi jusqu’à sa mort, le réalisateur italien Gianluca Jodice a imaginé, avec Le déluge, une manière de grand et ultime huis-clos. Tandis qu’on entend parfois tonner au loin le canon révolutionnaire et que l’on croise brièvement des citoyens venus voir le souverain… pour jeter à ses pieds une tête guillotinée, Jodice se concentre essentiellement sur des heures et des jours durant lesquels Louis XVI et sa famille se trouvent complètement suspendus dans une terrible attente.

Marie-Antoinette (Mélanie Laurent), une reine désenchantée. Photo Fabio Lovino

Marie-Antoinette (Mélanie Laurent),
une reine désenchantée.
Photo Fabio Lovino

La vie en prison est rythmée par les repas, les promenades, l’instruction des enfants, les dévotions. Habituée aux fastes de Versailles, la famille royale subit la promiscuité, le froid, l’inconfort, l’insalubrité et le manque de lumière. « Même si, dit le cinéaste, le film montre évidemment la douleur du roi et de la reine, pour moi ce n’est pas le sujet principal. Le plus important, c’est le traumatisme, le vertige, l’irruption de l’histoire qui submerge tout le monde, et personne n’est jamais vraiment prêt. »
De fait, ce court moment de l’Histoire concernant l’emprisonnement et la fin de la famille royale au Temple (détruit en 1810 sur ordre de Napoléon) n’est pas si bien connu. Le metteur en scène peut ainsi s’emparer d’un matériau dramatique et, en trois actes (Les dieux, Les hommes, Les morts) distiller le récit de la fin d’une époque. Dans laquelle Louis XVI apparaît comme un être faible, presqu’autiste et en même temps comme un homme doux et au bon caractère. Sa fragilité le fait naturellement paraître plus attentif aux exigences de la Révolution. Évidemment, de façon maladroite, inefficace, hésitante.

Un rare instant de détente... Photo Stefano Delia

Un rare instant de détente…
Photo Stefano Delia

Choisissant un rythme lent qui sied à des jours et des nuits de détention, Gianluca Jodice met aussi l’accent sur le couple Louis XVI – Marie-Antoinette. Le roi semble bien plus amoureux de la reine que l’inverse. Comme un monarque à qui on n’a pas appris à exprimer ses sentiments, Louis ne sait pas aimer Marie-Antoinette et celle-ci ne se sent pas aimée. Pourtant, quand il lui parle de ses peurs, elle perçoit la fragilité de cet homme et touchée par sa candeur et sa perte de repère.
Dans un film (tourné en Italie) qui fait le choix d’une photographie « froide » avec des teintes sombres de gris (le vaste espace où la famille royale séjourne d’abord ressemble à des limbes) puis de bleu et de noir, Jodice orchestre, loin du film d’époque, une funeste et inexorable plongée vers la destruction physique, morale et symbolique de la famille royale, un anéantissement qui prend littéralement une dimension de dépossession lorsque Marie-Antoinette est violée -une liberté prise par le cinéaste par rapport aux notes de Cléry- par l’un de ses geôliers…
Tandis qu’il montre une Marie-Antoinette (Mélanie Laurent) désenchantée mais lucide, le film s’attache à la personnalité d’un roi qui donne d’abord le sentiment d’une pantomime désincarnée avant de, peu à peu, s’humaniser et d’émouvoir en se débarrassant de ses atours, de ses rubans, de ses décorations. Vers la fin, c’est un citoyen Capet barbu et au col ouvert qui entend les révolutionnaires annoncer la mortelle sentence. Un déjà ex-roi qui demande à parler à Samson, celui qui lui coupera la tête. Louis demande des détails sur le parcours, les forces présentes, la foule, sur la manière dont se passera l’exécution. « Et après ? » demande le roi. Le bourreau reste muet. Après, il n’y a rien.

Un couple qui n'a jamais su s'aimer. Photo Stefano Delia

Un couple qui n’a jamais su s’aimer.
Photo Stefano Delia

Après Pierre Renoir (La Marseillaise, 1938), Michel Piccoli (La nuit de Varennes, 1982), Michael Lonsdale (Jefferson à Paris, 1995), Jason Schwartzman (Marie-Antoinette, 2006), Laurent Lafitte (Un peuple et son roi, 2018) et bien d’autres encore, c’est, ici, Guillaume Canet qui se glisse dans la peau du roi. Après quatre heures par jour de maquillage, Guillaume Canet campe un Louis XVI bedonnant, parfois hagard, dépassé par des changements brutaux et totalement décontenancé par la nouvelle société qui se profile et surtout par la notion d’égalité entre les hommes. Car, pour lui, l’égalité n’existe pas puisque Dieu l’a choisi…

LE DELUGE Drame (Italie/France – 1h47) de Gianluca Jodice avec Guillaume Canet, Mélanie Laurent, Aurore Boutin, Hugo Dillon, Tom Dudson, Roxane Duran, Anouk Darwin Homewood, Vidal Arzoni, Fabrizio Rongione. Dans les salles le 25 décembre.

REPERES CHRONOLOGIQUES
14 juillet 1789 : Des émeutiers prennent d’assaut la Bastille, vieille forteresse qui, aux yeux des Parisiens, symbolise le règne de l’arbitraire.
4 août 1789 : Les députés votent l’abolition des privilèges et du droit féodal qui met fin à des siècles de domination seigneuriale.
26 août 1789 : La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est votée. Les députés adoptent 17 articles qui commencent par cette affirmation encore inenvisageable quelques mois plus tôt : « Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
20-21 juin 1791 : Fuite manquée de la famille royale, arrêtée à Varennes et ramenée à Paris. La famille royale est assignée à résidence au palais des Tuileries « sous la surveillance du peuple. »
13 septembre 1791 : Instauration de la monarchie constitutionnelle, caractérisée par la séparation des pouvoirs.
10 août 1792 : Les sans-culottes marchent sur les Tuileries. Début de la Commune insurrectionnelle de Paris qui se substitue de force à la municipalité légale.
13 août 1792 : La famille royale est conduite au donjon de la Tour du Temple pour y être emprisonnée.
21 septembre 1792 : Abolition de la royauté.
Louis_XVIDécembre 1792 – Janvier 1793 : Procès de Louis XVI qui doit répondre des accusations de trahison et de conspiration contre l’État.
15 janvier 1793 : Le roi est reconnu coupable de haute trahison.
21 janvier 1793 : Louis XVI est guillotiné place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). L’ancien roi surprend la foule, ses juges et ses bourreaux, lorsqu’il s’avance pour déclarer d’une voix forte : « Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. »
16 octobre 1793 : Marie-Antoinette est guillotinée place de la Révolution.

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