La diva et la meule

"Sarah Bernhardt": La diva et ses admirateurs. DR

« Sarah Bernhardt »: La diva
et ses admirateurs. DR

STAR.- Après une enfance en nourrice à Quimperlé, puis en couvent à Versailles, Henriette Rosine Bernard entre au Conservatoire à Paris en 1859, sur la recommandation du duc de Morny, demi-frère de l’Empereur Napoléon III que fréquentent sa mère et sa tante, toutes deux courtisanes. Elle en sort avec un deuxième prix d’interprétation et un nouveau nom : Sarah Bernhardt.
Après un bref passage à la Comédie-Française en 1862, Sarah enchaîne les petits rôles et devient une « demi-mondaine », une femme entretenue repérée par la police des mœurs. Elle est la maîtresse de Duquesnel, directeur de l’Odéon où elle interprète un rôle dans Le passant de François Coppée, avant de triompher en 1872 dans le rôle de la reine dans Ruy Blas de Victor Hugo. La Comédie-Française la rappelle et fait d’elle une sociétaire en 1875.
Sarah Bernhardt (1844-1923) quitte avec fracas la Comédie-Française en 1880. Le théâtre est alors un art en mouvement qui tente de sortir des carcans du répertoire comme du style boulevardier. En juin 1895 dans le Saturday Review, George Bernard Shaw dénonce l’artificialité de son jeu car elle « a tout le charme d’une maturité aimable, avec des airs d’enfant gâtée et pétulante, peut-être, mais toujours prête à un sourire, rayon de soleil qui dissipe les nuages, si seulement on fait grand cas d’elle. […] Elle est belle de la beauté de son école et tout à fait invraisemblable et inhumaine. Le costume, le titre de la pièce peuvent varier mais la femme est toujours la même. Elle ne rentre pas dans le personnage principal ; elle se substitue à lui ». L’actrice cherche surtout à se mettre en scène, privilégiant les rôles dans lesquels elle meurt sur scène, renforçant l’image d’une tragédienne dans une époque fascinée par la mort et l’au-delà. Alors que le naturalisme s’est imposé au théâtre, notamment dans la diction, elle rejoue au contraire le classicisme de la parole poétique.
Suivront des tournées aux Etats-Unis, en Amérique Latine, en Australie qui renforcent sa renommée internationale, sa fortune et font d’elle la première artiste à la carrière réellement internationale. Le 9 décembre 1896, elle organise, au Grand Hôtel à Paris, une journée Sarah Bernhardt en présence de plus de cinq cents invités dont le président Poincaré. Le tout-Paris s’y croise à la gloire de l’artiste…

"Sarah Bernhardt": Sarah (Sandrine Kiberlain" et Lucien Guitry (Laurent Lafitte). DR

« Sarah Bernhardt »: Sarah (Sandrine Kiberlain) et Lucien Guitry (Laurent Lafitte). DR

Dans la folie et le tourbillon que fut l’existence et la carrière de la comédienne, Sarah Bernhardt, la divine (France – 1h38. Dans les salles le 18 décembre) fait le choix de dégager deux axes : la journée du jubilé de 1896 et l’amputation de sa jambe droite due à une tuberculose osseuse du genou. Exit donc le biopic réaliste ou le récit totalisant. Guillaume Nicloux, qui signe ici, son dix-septième long-métrage, observe : « Sarah Bernhardt fait partie de ces personnes vampires, capables de vous aspirer par leur présence, leurs exigences et leurs contradictions, leur générosité et leur démesure. C’est une femme qui est dans le trop : trop aimante, trop violente, trop injuste, trop éprise de justice, trop révoltée. Toutes ces facettes ne vont pas les unes sans les autres, et se nourrissent mutuellement. »
En choisissant de raconter la femme derrière la légende, Nicloux coche joyeusement toutes les cases. Nous avons l’amoureuse libre et moderne qui se fiche des conventions et collectionne les amants, l’artiste capricieuse, la femme suicidaire ou la rebelle qui pousse Emile Zola à défendre le capitaine Dreyfus, persuadée qu’elle est de son innocence. On croise aussi Edmond Rostand, Louise Abbéla, Mucha, Sigmund Freud ou encore Pitou, le dévoué valet. Et puis le plus grand amour de la vie de Sarah Bernhardt, en l’occurrence Lucien Guitry…
On entre agréablement dans cette évocation colorée d’une vraie icône à travers un récit impressionniste qui cultive le mot d’esprit et saute d’un temps à un autre. Au milieu de ce feu d’artifice, Sandrine Kiberlain, toute en légèreté, en frivolité et brio, campe une Sarah Bernhardt étourdissante.
Attendez le générique de fin, on y voit quelques images de la vraie Sarah Bernhardt filmée en 1915 par Sacha Guitry dans Ceux de chez nous, un documentaire sur d’ « admirables Français ».

"Vingt Dieux": Claire (Luna Garret) et Totone (Clément Favreau). DR

« Vingt Dieux »: Claire (Luna Garret)
et Totone (Clément Favreau). DR

RÊVE.- Une fête campagnarde. Avec de la musique, des attractions, la bière qui coule abondamment et jusqu’au bout de la nuit. Totone est là avec ses copains Jean-Yves et Francis. Alentour, on entonne La danse du Limousin. Totone se plie au jeu, se retrouve debout sur une table. Il enlève son tee-shirt, son pantalon et son caleçon. Le voilà à poil. « Vingt Dieux ! » crie quelqu’un. Faut croire. Au bout de la soirée, Totone ramène une jeune fille sur sa mob. « C’est quoi, ton nom, déjà ? » demande-t-il avant de se retrouver sous les draps avec Aurore. Las, c’est la panne. Un autre soir, une autre fête. Totone se châtaigne avec des copains d’Aurore. Le père de Totone, malgré un coup dans le nez, repart en voiture. Et il finit tragiquement contre un arbre. La vie de Totone et de sa petite sœur Claire, 7 ans, bascule. Désormais, il faut survivre, trouver le moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros.
C’est le plan insolite d’un veau dans une vieille bagnole qui ouvre Vingt Dieux (France – 1h30. Dans les salles le 11 décembre), le premier long-métrage de Louise Courvoisier comme une manière de plonger le spectateur dans les coulisses de son univers. En partant dans les pas de Totone, on plonge en effet dans un univers d’exploitations agricoles et de fruitières qui produisent le fameux Comté AOC.

"Vingt Dieux": Totone et Marie-Lise (Maïwène Barthélémy). DR

« Vingt Dieux »: Totone
et Marie-Lise (Maïwène Barthélémy). DR

La cinéaste parle de son film comme d’« une épopée sentimentale et fromagère ancrée dans le village de son enfance. » De fait, c’est une sorte de western comtois que signe Louise Courvoisier, née en 1994 et grandie à Cressia, un petit village du sud du Jura. Mais point, ici, de Monument Vallley fordien. Point non plus de héros waynien. Mais bien avec le format Scope pour montrer, là aussi, de vastes paysages verts et raconter un Totone qui n’a rien d’héroïque. Il serait même plutôt plein de défauts. Bagarreur quand il a un coup dans le nez mais aussi jeune chien fou quand il poursuit son rêve : produire un Comté au délicieux goût de fleur. Pour cela, il faut trouver un boulot qui consiste à nettoyer des chaudrons de cuivre et à se lever à 4h du matin pour faire, de ferme en ferme, la collecte du lait. Mais le désir, secret et sans doute inconscient, de rendre justice à son père disparu, va pousser Totone à franchir quelques lignes rouges.
« J’aimais aussi, dit Louise Courvoisier, l’idée de filmer des visages marqués par un vécu. La peur de l’inconnu, la conquête du territoire, tout cela allait avec une certaine maladresse inhérente à mes personnages et leur comportement. » Alors on suit, avec un sourire, les aventures campagnardes de jeunes Pieds nickélés qui sont solidaires, sans trop se poser la question. Le tout sur des accents westerniens comme le Kisses Sweeter than Wine de Jimmie Rodgers.
Et puis, dans cette aventure qui n’a rien d’un documentaire sur le Comté (même si on apprend des trucs de fabrication), la cinéaste professe clairement de la tendresse pour des personnages que l’existence va amener à devenir adultes. Tous les comédiens du film sont des non-professionnels. Clément Favreau qui incarne un Totone taiseux, teigneux et fragile, travaille dans un élevage de volailles. La petite Luna Garret (Claire) a grandi dans le village de la cinéaste. Quant à Maïwène Barthélémy, qui était en BTS agricole quand elle a passé le casting, elle est Marie-Lise, une agricultrice franche, très capable, sûre d’elle à cette place, ce qui ne l’empêche pas d’être sexy. Après le film, on a envie de goûter à un très bon Comté.

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