Trois femmes contre les oppressions des hommes
Marseille, un été de grande canicule. La radio serine qu’il faut surveiller les enfants et faire boire les vieux. Sur le balcon d’un grand immeuble d’un quartier populaire, une femme git, allongée. On remarque qu’elle porte un gros coquard sanglant à l’oeil. Gros plan sur le bermuda d’un type qui se gratte l’entre-jambes et râle parce que sa Denise ne s’active pas assez à son goût. « Réveillée » d’un verre d’eau jetée en pleine tête, Denise se rélève péniblement, empoigne une pelle en métal et frappe son mari à la tête. Elle l’achève en s’asseyant de tout le poids de ses fesses sur son visage…
Le ton des Femmes au balcon est donné. Il est cauchemardesque. Délirant mais cauchemardesque.
Pour sa seconde réalisation après le drame romantique Mi iubita, mon amour (2021), Noémie Merlant invente un sous-genre du slasher avec le gore féministe. Comme l’a écrit, à l’heure de Cannes 2024, le magazine américain Variety, « la fable punk de Noémie Merlant fracasse les tabous de MeToo avec du sang et des tripes ».
Les femmes au balcon s ‘ouvre comme un hommage au Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. La caméra balaye les façades aux fenêtres ouvertes où s’activent, ici, un saxophoniste, ici une femme au foyer. Sur les balcons, les habitants sont effondrés sous un brûlant cagnard. Et puis la caméra s’approche des trois héroïnes de notre comédie sanglante et jubilatoire.
Qu’on les présente ! La délurée et expansive Ruby est une camgirl qui met en scène son corps lascif et tatoué sur sa web-télé. Sa colocataire, Nicole est une aspirante écrivaine qui essaye d’écrire son premier roman tout en suivant un atelier d’écriture sur internet. Débarque leur copine Elise qui a filé de Paris dès le dernier jour de tournage d’une série sur les amours de Marilyn Monroe et d’Yves Montand. En retirant sa perruque blonde, Elise laisse entendre que ce n’est franchement pas très bon mais qu’elle attend beaucoup mieux d’un projet de film d’époque pour le grand écran. Mais surtout Elise, épuisée, n’en peut plus des appels de son « Paul d’amour »…
Toujours en panne de son sujet, Nicole, bientôt rejointe par ses copines, observe depuis son balcon où sèchent plein de petites culottes, un beau mec qui, dans l’appartement d’en face, se promène nu après avoir pris sa douche. Voilà de quoi fournir un point de départ à l’histoire d’amour qu’elle rêve d’écrire. Bientôt les trois fourbissent de sulfureux fantasmes sur le mystérieux et sublime voisin… Comme Elise a embouti sa belle voiture de collection, le contact est pris. « Venez prendre un verre, les filles ! »
La réalisatrice qui explique qu’elle a commencé, il y a quatre ans, à écrire seule (elle a reçu ensuite l’appui de Céline Sciamma pour laquelle elle avait tourné dans Portrait de la jeune fille en feu), précise : « Je suis partie de quelque chose de réel : j’ai dû partir de chez moi, fuir une situation dans laquelle je ne me sentais pas épanouie. Je me suis réfugiée chez mes amies, dont Sanda Codreanu, qui joue Nicole dans le film. Elle vit avec ses sœurs qui sont aussi de très bonnes amies. J’ai vécu dans cette sorte de gynécée pendant plusieurs mois, c’était une autre dynamique de vie. Je n’avais jamais vécu seule et jamais avec des femmes, et là ça m’a fait un bien fou. Il y avait énormément de discussions entre nous, sur nos rêves, nos traumatismes, nos désirs, et puis sur l’oppression patriarcale… »
Les femmes au balcon, dans son mélange de couleurs et de textures, dans sa générosité exubérante fait évidemment songer au cinéma d’Almodovar et notamment à ses femmes au bord de la crise de nerfs. De fait, après être passées par l’appartement d’en face, les trois copines vont connaître bien plus que des crises de nerfs. On n’en dit pas plus.
Mais, on l’a deviné quand même, dans ce qu’elle présente comme « une farce punk débridée », Noémie Merlant n’y va pas avec le dos de la louche. Alors son brûlot coche avec une alacrité qui revendique de frôler le mauvais goût, voire la vulgarité, toutes les cases de l’ère MeToo. La cinéaste veut traiter, ici, des thèmes forts qui lui tiennent à cœur au plus haut point : l’intimité féminine, le viol et ses conséquences, l’oppression patriarcale. Pour son film très pop, elle s’est, dit-elle, inspiré de son vécu. « Les viols que les personnages vivent, je les ai subis. Les filmer en utilisant le registre de l’humour, c’était la seule façon de m’en emparer et de mettre à distance. Pour moi, l’humour et la satire sont des armes fortes. Donc au-delà d’être libérateur, j’espère que ça sera aussi un film qui fera du bien, qui fera rire et réfléchir. »
Alors, c’est vrai, on peut s’amuser et réfléchir, notamment aux passages loufoques durant lesquels Ruby fait son métier en ligne sur XliveCam, au clin d’oeil à Massacre à la tronçonneuse, aux apparitions fantastiques d’agresseurs sexuels ou encore à la séquence dans la quincaillerie où le vendeur reconnaît Ruby et lance « Ahlala, les meufs d’aujourd’hui ! » qui lui vaudra un rude revers…
Bien sûr, il y a quelques punchlines qui font pschitt comme « On tombe toujours amoureux des gens libres, jusqu’à ce qu’on les attrape » ou « Si le paradis a un odeur, c’est bien celui du basilic ». Si on n’adhère pas complètement au film, c’est moins pour son côté gore et très rentre-dedans que parce qu’il a tendance à enfiler les perles du féminisme militant et que tous les hommes du film évoluent dans des situations « problématiques et oppresives ».
Les femmes au balcon doit, par ailleurs, beaucoup à un trio de comédiennes. Vue dans Climax (2018) et En corps (2022), Souheila Yacoub est une Ruby libre, explosive mais aussi pathétique quand elle fait face à la caméra de sa web-télé (que personne ne regarde alors), le récit détaillé de l’absence de consentement dans un viol. Sanda Codreanu est une Nicole fragile et Noémie Merlant une Elise malmenée et à la dérive dans sa relation avec Paul.
Lorsqu’enfin, l’orage éclate et que la pluie chaude tombe, les femmes quittent les balcons, descendent dans les rues et s’imaginent libres.
LES FEMMES AU BALCON Comédie horrifique (France – 1h43) de Noémie Merlant avec Souheila Yacoub, Sanda Codreanu, Noémie Merlant, Lucas Bravo, Nadège Beausson-Diagne, Christophe Montenez. Interdit – 12 ans avec avertissement. La commission propose une interdiction aux mineurs de moins de douze ans pour ce film qui adopte une forme apparente de comédie mais montre plusieurs scènes réalistes de violence sexuelle dont un viol conjugal – outre quelques images gores – susceptibles de troubler un public en dessous de cet âge. En salles le 11 décembre.