Vatican, ton univers impitoyable
Le pape se meurt. Le pape est mort. Au Vatican, c’est la stupeur puis la tristesse qui touche tous les proches du souverain pontife. « Il est avec Dieu ». Autour de la dépouille, le rituel se met en place. On retire de la main du défunt l’anneau du pêcheur. L’insigne du pouvoir pontifical est placé dans un étau par le cardinal camerlingue qui le rend inutilisable de quelques coups de marteau.
Tandis que la chambre est mise sous scellés et qu’on emporte le corps du pape, déjà des rumeurs s’élèvent. De quoi le pape est-il mort ? Avec qui s’est-il entretenu juste avant de rendre son dernier souffle ? A qui a-t-il fait d’ultimes promesses ? A-t-il pris la décision de destituer un cardinal ? Et que savent précisément les ecclésiastiques qui étaient au plus près du pontife ?
C’est dans ce contexte que le cardinal Thomas Lawrence va être chargé, en tant que doyen du Collège des cardinaux, de préparer le conclave qui élira le nouveau chef de la Chrétienté.
Trois semaines plus tard, les cardinaux arrivent du monde entier et investissent le Vatican. Bientôt ils seront « cloitrés » dans les lieux. A eux le privilège mais aussi la lourde responsabilité de choisir le nouveau personnage le plus important de l’Église catholique.
Conclave est l’adaptation du thriller éponyme de Robert Harris, paru en 2016. Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre de ce dernier est portée à l’écran. The Ghost Writer ou J’accuse, tous deux de Roman Polanski, sont aussi des adaptations de ses romans.
C’est en regardant un reportage à la télévision sur l’élection du pape François, lors du conclave de 2013, que l’idée du roman est née. En apercevant les visages des cardinaux, l’écrivain britannique a eu le sentiment qu’ils avaient davantage l’air d’hommes politiques que d’hommes d’église. Il s’est promis de se documenter sur le fonctionnement de l’élection du pape et n’a pas tardé à remarquer le potentiel dramaturgique d’un conclave. Quant à l’adaptation du roman, elle est le fait d’un autre Britannique, Peter Straughan, connu pour son travail sur le film La taupe adapté de John Le Carré.
Tout comme dans La taupe, on plonge, ici, dans un univers plutôt feutré où les moments de violence sont rares mais brutaux mais où se confrontent en permanence, sur fond de chausse-trappes, les egos d’individus, certes pleins de componction mais dévorés par l’ambition.
C’est le réalisateur allemand Edward Berger, remarqué en 2022 sur Netflix avec A l’Ouest, rien de nouveau, la troisième adaptation (après Lewis Milestone en 1930 et Delbert Mann en 1979 pour la télévision) du célèbre roman éponyme d’Erich Maria Remarque, publié en 1929, qui est, ici, aux manettes d’un parfait thriller.
Même si le conclave, avec ses cardinaux enfermés sous les hauteurs de la Chapelle Sixtine, ne semble pas être le lieu le plus angoissant qui soit, Conclave réussit pourtant, avec une belle aisance, à distiller de l’inquiétude et du mystère autour d’intrigues et de manigances toutes plus tordues les unes que les autres. Par moments, dit un cardinal, on a l’impression d’être dans une convention électorale américaine. On serait tenté d’ajouter : ou au Palais-Bourbon. Lawrence a beau dire : « C’est un conclave, pas une guerre ! », son ami Bellini tempête : « C’est une guerre ! »
Rapidement, les favoris vont mettre le nez à la fenêtre. Voici le cardinal Bellini, un Américain libéral qui est persuadé que l’Église doit s’ouvrir au monde et dialoguer avec les autres religions. Tout le contraire du cardinal Adeyemi, un populiste nigérian charismatique qui voue les gays aux prisons de ce monde et dans l’enfer de l’autre. Il n’est pas loin du réactionnaire Tedesco qui dit, fort et clair, qu’il est temps de revenir au latin et que l’Église a besoin d’un pape italien. Quant au canadien Tremblay, il semble bien modéré et propre sur lui. Mais n’a-t-il pas une casserole aux basques ?
Parmi eux, Thomas Lawrence va développer, tout en discrétion et savoir-faire, des trésors de diplomatie pour mener à bien le déroulement du conclave. Mais lui-même obtient des voix lors des premiers tours de scrutin. Le cardinal aurait-il des ambitions cachées ? Et c’est sans compter sur l’arrivée aussi tardive qu’inattendue à Rome de Benitez, un Mexicain cardinal à… Kaboul. Mais il s’avère que le cardinal Benitez aurait été un proche du Saint-Père. Ce dernier aurait même financé un voyage de Benitez vers une clinique genevoise…
Si Conclave, bien parti dans la course aux Oscars, nous tient en haleine de bout en bout, c’est aussi que le Vatican et sa pourpre cardinalice est un décor de rêve. Idéal pour un chef-op qui veut faire de la belle image. Certes, pour cause d’autorisation impossible à obtenir du Vatican, Conclave a été tourné dans les studios de Cinecitta. Mais cela n’ôte rien à la majesté de la chapelle Sixtine ou à toutes les sombres coursives de la résidence Sainte-Marthe. On palpite volontiers à ces six tours de scrutin qui, en trois jours, vont définir le profil du nouveau pape.
D’ailleurs, le cinéma a souvent fait son affaire du Vatican, du pape et de tout l’aréopage de la place Saint-Pierre. Que l’on songe à Marco Bellochio et à son récent Enlèvement ou encore à Jude Law dans la série The Young Pope et bien sûr au Habemus Papam (2011) de Nanni Moretti dans lequel Michel Piccoli incarne le cardinal Melville, élu pape, suivi par un psychanalyste, qui « s’évade » dans Rome avant de revenir au balcon de Saint Pierre et d’annoncer aux fidèles et au monde : « Je ne suis pas le chef dont vous avez besoin »…
Ici, c’est à une belle brochette de comédiens de talent de nous faire vibrer. Le toujours excellent Ralph Fiennes est un Lawrence à la foi bouleversée qui tente de garder le cap dans une tempête électorale où tous les coups sont permis. Autour de lui, Stanley Tucci est un Bellini qui perd pied, John Lithgow un Tremblay distingué mais tordu ou Sergio Castellitto un Tedesco vénitien et fort en gueule. Enfin, on est ravi de retrouver Isabella Rossellini qui porte le voile gris de Soeur Agnès, discrète responsable de l’entretien et de la restauration des cardinaux, qui lâchera pourtant une bombe.
De la fameuse cheminée de la basilique Saint-Pierre, la fumée noire s’élève à plusieurs reprises. N’attendez pas la fumée blanche pour foncer voir ce thriller ecclésiastique.
CONCLAVE Drame (USA/Grande Bretagne – 2h) d’Edward Berger avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rossellini, Sergio Castellitto, Carlos Diehz, Lucian Msamati, Balkissa Maiga. Dans les salles le 4 décembre.