L’alliance des musiciens et les amours des amies
HARMONIE.- Chef d’orchestre de renommée internationale qui dirige l’orchestre de Cleveland tout en étant chef invité dans divers ensembles à travers le monde, Thibaut Désormaux répète, avec un orchestre, l’Ouverture d’Egmont de Beethoven lorsqu’il s’effondre à son pupitre. A l’hôpital, on diagnostique une leucémie. Thibaut a besoin d’une greffe de moelle. Il se tourne vers sa sœur, constate qu’elle n’est compatible et découvre surtout qu’il a été adopté. Thibaut n’a plus alors qu’une obsession : savoir d’où il vient. Dans le Nord de la France, il retrouve Claudine, la femme qui l’a élevé dans sa famille d’accueil et surtout il découvre l’existence d’un frère, Jimmy Lecoq, employé de cantine scolaire et qui joue du trombone dans la fanfare des mineurs de Walincourt dans le nord de la France. En apparence tout les sépare. Mais seulement en apparence.
En fanfare (France – 1h 43. Dans les salles le 27 novembre) est ce qu’il est convenu d’appeler, tant pis pour le français, un pur Feel Good Movie. Autant dire qu’on n’échappera probablement pas à une petite larme dans l’obscurité heureusement complice de la salle. Encore faut-il que ce genre d’entreprise sonne juste. Ce qui est exactement le cas du nouveau film d’Emmanuel Courcol, auteur d’Un triomphe (2021) qui racontait comment un acteur, animateur d’un atelier de théâtre en prison, faisait d’un groupe de détenus des interprètes vibrants de Beckett.
Ici, le cinéaste se penche sur les rapports entre deux frères qui ne se connaissaient pas jusque là et qui, de plus, n’ont rien en commun. L’un est un chef prestigieux, l’autre un déclassé qui galère sa vie, n’a plus guère de relations avec son adolescente de fille et ne parvient pas à voir que Sabrina, qui joue aussi dans la fanfare, en pince pour lui. Rien ne ne semble pouvoir les rapprocher, sauf une greffe et surtout l’amour de la musique. Thibaut baigne dans la grande musique, Jimmy joue Emmenez-moi de Charles Aznavour.
Mais, justement à cause de la musique, ces deux-là iront l’un vers l’autre. Thibaut détecte chez Jimmy des capacités musicales exceptionnelles et l’oreille absolue. Dans le garage de Jimmy, celui-ci possède une abondante discothèque. Les deux frères craquent, ensemble, sur le somptueux I Remember Clifford par le trompettiste Lee Morgan. Ensemble aussi, ils chanteront à tue-tête, le Laissez-moi danser de Dalida… Surtout, en pénétrant dans un univers inconnu -celui de la misère sociale- Thibaut va se mettre en tête de réparer l’injustice du destin. Du coup, Jimmy se prend à rêver d’une autre vie…
Le film cultive aussi un petit côté comédie sociale « à l’anglaise » et on songe aux Virtuoses (1996) qui racontait les aventures d’un brass band dans une petite ville minière du nord de l’Angleterre dont les houillères sont condamnées. Emmanuel Courcol trouve le ton juste pour montrer des gens généreux dans l’action malgré la cruauté de la vie. Il a aussi trouvé pour porter l’émotion et l’humanité des personnages, deux comédiens qui se glissent à merveille dans la peau de Thibaut et Jimmy. Benjamin Lavernhe est parfait en musicien émérite qui choisit de descendre de son pupitre. Quant à Pierre Lottin (qui jouait déjà dans Un triomphe et qu’on a vu chez Ozon dans Quand vient l’automne), il s’impose, à chaque apparition, comme une pointure du cinéma français. Son Jimmy est tout à la fois rageux et fragile.
J’ignore si ça marche, dans la vraie vie, mais, ici, on veut bien croire à une belle réconciliation aux accents de l’incontournable Boléro de Ravel qui fait vibrer les coeurs à l’unisson.
VARIATIONS.- C’est une voix of, celle du personnage de Victor en l’occurrence, qui plante le décor. Voici des rues et des places, des façades et des parcs de Lyon, voici enfin le couloir d’un lycée, celui où Joan, la femme de Victor, enseigne l’anglais. A Alice, sa meilleure amie, prof comme elle, Joan confie, en s’effondrant, qu’elle n’est plus amoureuse de Victor. Pire, elle souffre de se sentir malhonnête avec lui qui l’adule tant. Mais Alice la rassure : elle-même n’éprouve aucune passion pour Eric et pourtant leur couple se porte à merveille… Ce qu’Alice ignore, c’est qu’Eric entretient une liaison secrète avec Rebecca, leur amie commune… Lorsque, finalement, Joan décide de quitter Victor, l’existence des trois amies est largement bouleversée. D’autant que Victor disparaît dans un accident de la circulation…
Avec Trois amies (France – 1h57. Dans les salles le 6 novembre), Emmanuel Mouret signe son douzième long-métrage et poursuit dans cette veine qui lui est chère, celle qui traite de l’art d’aimer et de toutes ses nombreuses variations. Mais là où l’on pouvait s’attendre au ton enjoué et allègre qui caractérise des films comme les récents Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020) ou Chronique d’une liaison passagère (2022), le réalisateur marseillais au look d’éternel jeune homme, adopte une gravité mâtinée de mélancolie pour évoquer, une nouvelle fois, l’amour et le hasard.
Pour Mouret, Trois amies, avec ses accents de mélodrame, est surtout une comédie dramatique dans le sens où le comique et le tragique y sont enlacés tout du long. Dans ce contexte, les personnages, tant féminins que masculins, sont placés face à des problèmes moraux. Joan est sentimentale et raisonnable mais en souffrance, Alice joue la carte de la sécurité mais se laisse aller à rêver lors de longs appels téléphoniques avec Stéphane, un peintre de renom. Quant à Rebecca, sa générosité en amour lui joue des tours « inamicaux ».
Mais les personnages de Trois amies n’ont rien de héros. Ils sont affectés, peuvent être égoïstes, capricieux, réagissent parfois avec maladresse, mais sont aussi capables de considération, de scrupules. Et tous se posent la même question : comment font les autres ? Ils sont parfois beaux, parfois un peu ridicules mais ne se retournent jamais comme les autres.« J’aime, dit le cinéaste, les personnages qui se trompent, qui recommencent et qui se trompent encore, comme Buster Keaton tombant et se relevant, chute après chute, et qui continue sans se retourner, sans blâmer quiconque. »
Avec pudeur et délicatesse, un poil d’irrationnel et toujours une étonnante musicalité (on entend aussi bien Bach, Beethoven, Carmen qu’Adelita d’Harry Ferri), Emmanuel Mouret construit une narration complexe qui donne un peu l’impression d’une histoire sans fin dont on a toujours envie de connaître la suite.
Enfin, Trois amies doit beaucoup à des comédiennes en verve. La trop rare India Hair est une Joan toute en sensibilité à fleur de peau. Camille Cottin (Alice) et Sara Forestier (Rebecca) lui donnent une belle réplique. Quant aux hommes (Damien Bonnard, Grégoire Ludig, Vincent Macaigne et Eric Caravaca), ils tentent de suivre le rythme dans les arcanes féminines de l’art d’aimer.