Le gladiateur, l’institutrice et les amoureux
ROME.- Avec sa maigre troupe de (valeureux) combattants, le Numidien Hanno affronte, dans une bataille navale rudement violente, les troupes de Rome conduites par le général Marcus Acacius… La rébellion contre l’empire tourne hélas au détriment d’Hanno qui voit même sa compagne Arishat mourir, frappée d’une flèche en pleine poitrine. Pour Hanno, désormais, la rage de la vengeance anime son coeur et son esprit. Prisonnier des Romains, conduit dans la capitale, Hanno rejoint les rangs des gladiateurs qui donnent, régulièrement, un brutal divertissement dans la vaste arène du Colisée. Pris en main par Macrinus, un « manager » de gladiateurs qui lui lance « Cette rage est ton don », Hanno va s’imposer comme un combattant de premier ordre. A Macrinus, il ne demande qu’une faveur : pouvoir affronter le général Acacius qu’il tient pour responsable de son drame. Il aura bientôt l’occasion d’affronter le général romain car celui-ci fomente sans succès une insurrection contre les empereurs Geta et Caracalla, impressionnants tyrans complètement dégénérés…
Pour n’être pas un fan absolu des Romains en jupette sinon quand Silvana Pampanini dévoilait sa plastique avantageuse dans ces productions exotiques des sixties, la vision de Gladiator II (USA – 2h28. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 13 novembre) s’imposait néanmoins. Au moins parce que le premier Gladiator (2000) revisitait, avec une certaine grandeur et un souffle intéressant, le peplum et apportait au genre, rêverie et violence. A l’époque, 4,8 millions de spectateurs lui avaient fait fête dans les salles françaises.
Que Ridley Scott, réalisateur du premier Gladiator, s’attelle au second, n’a rien de surprenant. D’autant que le Britannique de 86 ans a clairement le goût des gros machins censés en mettre plein la vue à un public amateur de divertissements spectaculaires, qu’il s’agisse déjà de peplum (Exodus : Gods and Kings en 2014), de chronique familiale vénéneuse (House of Gucci en 2021) ou évidemment de saga napoléonienne. Même si son Napoléon (2023) n’a pas attiré les foules (1,7 million d’entrées en France quand même) tout en faisant grincer les dents des vrais historiens, Scott a donc remis le couvert avec cette aventure placée sous le thème « La violence est une langue universelle ».
Lorsqu’on voit, dans les premières séquences, des gamins jouer au football au pied des pyramides de Numidie, on constate qu’une fois de plus, Ridley Scott se moque de l’Histoire comme de sa première calliga. Le sachant, on ne fait plus vraiment attention à cet aspect des choses pour se contenter de suivre le spectacle. Après la bataille navale initiale, c’est surtout dans l’arène que le show trouve sa place.
Ainsi Hanno va se bagarrer avec des mandrills sanguinaires, affronter Le destructeur monté sur une énorme rhinocéros ou reconstituer la bataille de Salamine dans un Colisée transformé en piscine géante peuplée de requins affamés…
Tandis que Ridley Scott nous rappèle au bon souvenir de Gladiator avec des images de Russell Crowe en Maximus, Hanno va apprendre qu’il est en réalité Lucius Verus, le fils de l’héroïque Maximus. Ce sera l’occasion de retrouver Lucilla, sa mère, devenue l’épouse du général Acacius. Le temps aussi pour un instant de poésie. Car les portes de l’enfer sont ouvertes jour et nuit. La descente y est aisée mais la remontée requiert un effort prodigieux…
Comme Scott n’y va pas avec le dos de la cuillère, on se lasse assez rapidement de ce spectacle pompeux à la mise en scène boursouflée et riche de multiples clameurs. Comme Paul Mescal, l’interprète d’Hanno/Lucius, a plus de muscles que de charisme, on n’a pas grand’chose à se mettre sous la dent de ce côté-là non plus. Seul Denzel Washington tire vaguement son épingle du jeu en composant, avec son Macrinus, un grand méchant, passant d’entrepreneur à un politique retors cultivant la loi du plus fort. On se gardera de filer la métaphore mais probablement que, pour Scott, Rome c’est l’Amérique et Hollywood le Colisée et ses jeux du cirque…
On se souviendra, comme le dit un personnage, que « Ce qu’on fait la vie, résonne dans l’éternité ».
SECRET.- Dans un bureau sombre et poussiéreux, un fonctionnaire informe Louise Violet qu’elle a obtenu un poste d’institutrice. Et observe que la République a été bien généreuse avec la jeune femme, compte tenu de son passé… Le type est persuadé qu’elle ne tiendra pas trois mois dans son poste. Voilà donc Louise Violet, longue robe sombre et petit bibi sur la tête, partant dans de vastes paysages de la campagne française. Dans un petit village, elle a pour mission, en cette année 1889, d’imposer l’école de la République, une école gratuite, obligatoire et laïque. Mais l’institutrice est bien mal accueillie. Les parents, tous paysans, entendent bien garder leurs enfants pour faire les travaux de la terre plutôt que de les envoyer sur les bancs de l’école. Quant à Joseph, le maire de la commune, il doit bien fournir à Louise Violet, un endroit pour vivre. Ce sera une vieille étable. Louise dormira sur la paille, avec une vache pour lui tenir chaud. Mais la jeune femme, qui remarque « qu’elle vit en hiver depuis tellement longtemps », n’est pas vraiment du genre à baisser les bras…
Alors que l’actualité tourne constamment le projecteur sur l’Education nationale, qu’il s’agisse des programmes, du brevet, des déclarations de Sarkozy sur les enseignants qui travaillent « 24 heures par semaine et six mois dans l’année » ou de la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty, Louise Violet (France – 1h 48. Dans les salles le 6 novembre) apporte un éclairage « ancien » sur les rudes combats de ceux qu’on surnommait, selon la formule de Charles Péguy, les Hussards noirs de la République. Car Louise Violet est l’une de ces institutrices de la IIIe République envoyée sur le terrain pour propager le savoir en étant convaincue que «les capacités sont partout ». Mais, dans le village reculé où elle débarque (le tournage a eu lieu dans la Haute-Loire et le Puy de Dôme), elle est loin d’être la bienvenue. D’abord, elle est une étrangère et si elle entend imposer l’école, elle deviendra une ennemie.
Après avoir consacré ses trois premiers films à ses goûts de cinéphile et les trois suivants à ses proches (sa mère, sa femme et son père), Eric Besnard voulait aborder le concept de République et celui de l’éducation. L’idée de faire un film sur l’école de Jules Ferry puis sur les premières institutrices envoyées dans les campagnes et projetées dans un monde d’hommes à la fin du 19e siècle a ainsi vu le jour.
Autour du personnage-pivot de Louise Violet, cette femme qui porte un terrible secret, le cinéaste a construit une chronique rurale, avec le temps et les saisons qui passent, avec des paysans dont l’identité passe par la terre, un bien inestimable. Lorsqu’une « partageuse », nourrie aux thèses de Proudhon et du fameux « La propriété, c’est le vol », vient leur imposer l’école, la tension est inévitable. Avec une Alexandra Lamy en femme forte qui cache ses blessures et un Gregory Gadebois en maire massif mais bouleversé par cette nouvelle venue, Louise Violet est un film attachant et sans doute nécessaire.
PASSION.- Quelque part du côté des cités du nord de la France, dans les années 1980, Clotaire, petit loubard, perdu dans les difficultés du monde ouvrier, traîne avec sa bande de copains. Un jour, sortant d’un bus scolaire, il aperçoit Jacqueline, récemment orpheline de sa mère et très proche de son père, une bonne élève sérieuse. Clotaire s’emballe et Jacqueline n’est pas insensible à son côté rebelle à belle petite gueule. Lorsque Clotaire lance : « Je t’appellerai Jackie ! », la jeune fille répond : « Moi, je ne t’appellerai pas… » Pourtant, ces deux-là vont tomber follement amoureux et vivre une passion dévorante, malgré des différences de condition sociales et d’aspirations personnelles.
Dans les années 1990, après avoir passé dix années en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, Clotaire est toujours hanté par Jackie et tente désespérément de la revoir. Mais Jackie est désormais mariée, installée dans une nouvelle vie rangée, et semble avoir définitivement tourné le dos à leur passé. Mais en réalité, aucun des deux n’a oublié cet amour qui les a consumés adolescents et qui pourrait bien ressurgir et bouleverser à nouveau leurs vies.
Est-ce à cause d’une durée possiblement rebutante, toujours est-il que j’ai bien tardé à aller voir L’amour ouf (France – 2h40. Dans les salles le 16 octobre), le second long-métrage (en solo) de Gilles Lellouche après Le grand bain (2018), comédie dramatique sur sept hommes cabossés par la vie et qui reprennent espoir en s’investissant dans la natation synchronisée. Une belle réussite vue par 4,2 millions de spectateurs en France.
Toujours est-il que ce jour-là, le spectacle était aussi dans la salle avec un public composé majoritairement de jeunes filles et femmes clairement emballées par les punchlines du Clotaire de 17 ans et (surtout?) par le charme canaille de Malik Frikah, jeune comédien qui décroche, ici, son premier grand rôle de cinéma. Comme Mallory Wanecque, découverte dans Les pires (2022), est une Jackie très à son aise aussi, ces deux jeunes acteurs dament quasiment le pion aux deux stars du film, en l’occurrence François Civil et Adèle Exarchopoulos à l’âge adulte. Le duo est entouré de visages connus du cinéma français : Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Elodie Bouchez, Karim Leklou, Raphaël Quenard et Anthony Bajon. Un beau casting !
Présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes (où l’accueil n’a pas été très chaleureux), L’amour ouf, adaptation du roman éponyme de l’auteur irlandais Neville Thompson, publié en 2000, est un projet que Lellouche porte depuis longtemps et qu’il décrit comme « une comédie romantique ultra-violente ».
En citant des références qui vont de West Side Story (le film contient de bonnes séquences chorégraphiées) aux œuvres de Scorsese et Tarantino, Lellouche a imaginé, dit-il, « un doux mélange entre violence et sentiments exacerbés, entre chaud et froid, entre sucré et âpre ». Au total, le film apparaît comme un patchwork, pas forcément indigeste, de polar musclé et de drame romantique.