LE ROAD MOVIE DE WENDERS ET ROGER THORNHILL SUR UNE ROUTE DESERTIQUE
PARIS TEXAS
Comme poussé par une idée fixe, Travis Henderson marche, seul et hagard, dans le désert du Texas. Il cherche sans succès de l’eau, arrive finalement dans un bar isolé et y perd connaissance. Il est recueilli par un médecin qui trouve sur lui une carte avec le numéro de téléphone de son frère, Walt Henderson. Celui-ci fait le trajet depuis Los Angeles pour le retrouver. Travis n’avait plus donné signe de vie depuis quatre ans, laissant derrière lui sa femme et son petit garçon… Malgré leurs retrouvailles, Travis ne dit rien, ne mange pas et ne dort pas. Il refuse de prendre l’avion pour retourner à Los Angeles, ce qui oblige son frère et lui à faire tout le trajet en voiture. Ce n’est que progressivement qu’il retrouve l’usage de la parole. Lorsque son frère lui demande où il espérait aller en errant dans le désert, Travis répond enfin qu’il comptait se rendre à Paris, au Texas, où ses parents s’étaient connus et l’auraient conçu. Son père aimait d’ailleurs plaisanter en disant « J’ai connu ma femme à Paris ». Dans la magnifique collection de ses coffrets Ultra collector, Carlotta a fait la part belle récemment à L’empire des sens d’Oshima, Les ailes du désir de Wenders, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou La comtesse aux pieds nus de Mankiewicz. Wim Wenders est de retour, pour le numéro #28 marqué par un visuel exclusif de la plasticienne américaine Sister Hyde, dans cette collection avec son Paris, Texas, Palme d’or à l’unanimité au Festival de Cannes 1984. Il signe un road movie anticonformiste, étourdissant de beauté et d’émotion. Le jeu exceptionnel de Harry Dean Stanton et de Nastassja Kinski dans ce qui est probablement son plus beau rôle, le scénario magistral de Sam Shepard, la sublime photographie de Robby Müller et la bande originale ensorcelante de Ry Cooder, tout concourt à donner à Paris Texas son statut de film culte à l’aura indépassable. Pour son 40e anniversaire, le film est disponible pour la première fois en Blu-ray dans une nouvelle restauration 4K de la Wim Wenders Stiftung, supervisée par Donata et Wim Wenders. Outre les abondants suppléments, traditionnels dans l’ultra collector (introduction de Wim Wenders, deux entretiens avec le cinéaste, l’un sur l’aventure du film, l’autre, à Cannes 2024, sur la restauration de Paris, Texas ; scènes coupées (24 mn) ; l’émission Cinéma, Cinémas de 1984 où Wenders parle de sa passion pour le rock et de sa joie d’avoir collaboré avec Ry Cooder et Sam Shepard ; enfin un film (7 mn) : Souvenirs de la famille Henderson immortalisés en Super 8), le coffret contient Quitter l’autoroute sous-titré Paris Texas de Wim Wenders, un livre (200 pages, incluant deux cahiers de photographies exclusives) qui donne la parole au cinéaste et à son équipe à travers une série d’entretiens menés en 1984 et en 2024, avant de proposer le scénario de la version finale du film, incluant les dialogues originaux de Sam Shepard. Un ouvrage inédit qui rend hommage à tous ceux qui ont œuvré à la réalisation du film, de sa production à sa récente restauration. De la belle ouvrage! (Carlotta)
LA MORT AUX TROUSSES
Patron d’une société de publicité new-yorkaise, Roger Thornhill a un rendez-vous d’affaires au Plaza Hotel. Mais, victime d’un malentendu, il est enlevé par des hommes qui le prennent pour un certain George Kaplan. Thornhill est conduit à Glen Cove dans la belle demeure de M. Townsend. Persuadé d’avoir enlevé George Kaplan, Townsend cherche à obtenir de lui des renseignements. Refusant de coopérer, Thornhill, saoûlé par les sbires de Townsend, se retrouve dans une voiture sur une route de bord de mer surplombant une falaise… En 1959, dans la foulée de Sueurs froides (1958) et avant Psychose (1960), c’est un Alfred Hitchcock au meilleur de sa forme qui réalise l’un de ses films les plus fameux et qui ressort, ici, dans une version Blu-ray 4K Ultra HD. On se replonge, avec un bonheur toujours égal, dans ce thriller brillant et enlevé autour d’un pur leurre. Car Georges Kaplan n’existe pas. Ce supposé espion est un fantôme inventé de toutes pièces pour piéger d’autres espions. Et c’est le malheureux Thornhill qui lui donne une sorte de réalité dans une course folle qui, entre kidnapping et meurtres à répétition, ne cesse jamais. Tout, ici, fonctionne à merveille : le scénario, les acteurs, les décors et évidemment la mise en scène. North by Northwest (en v.o.), ce sont des moments d’anthologie comme la fuite sur les falaises du mont Rushmore sous les visages des présidents Jefferson, Roosevelt ou Lincoln ou encore le mythique chassé-croisé en rase campagne entre Thornhill et un avion très menaçant. Il y a aussi la musique de Bernard Herrmann et le beau duo composé de Cary Grant et Eva Maria Saint. Avec un Hitch croquignolet qui, dans la dernière séquence, montre les deux « désormais fiancés » rentrant à New York en wagon-lit, s’apprêtant à s’allonger sur leur couchette avec un dernier plan du train qui entre dans un tunnel… (Warner)
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
Marin en Méditerranée, Edmond Dantès, n’écoutant que son courage et contre les ordres de son capitaine, sauve une naufragée nommée Angèle, porteuse d’une lettre de Napoléon… Le capitaine Danglars la lui dérobe. Viré par son armateur pour avoir manqué à son devoir, Danglars doit laisser la place à Dantès. Edmond revoit la belle Mercédès de Morcerf qu’il espère épouser. Las, le jour des noces, Dantès est arrêté et accusé de bonapartisme… Il a beau clamer son innocence, il se retrouve bientôt dans un cul-de-basse-fosse au château d’If. Avec Le comte de Monte-Cristo, les producteurs Dimitri Rassam et Ardavan Safaee poursuivaient leur quête de Dumas en trouvant l’occasion de porter au grand écran, un vengeur masqué aux allures de héros contemporain. Déjà dans le coup du diptyque des Trois mousquetaires comme scénaristes, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte endossent, cette fois, la casquette de réalisateurs pour mêler aventure et thriller sur fond de grande histoire d’amour. Après de nombreux autres cinéastes, le tandem De la Patellière/Delaporte puise dans un riche matériau littéraire, de quoi alimenter une épopée de trois heures sans épuiser toutes les péripéties d’un énorme roman. Alors on retrouve bien sûr les geôles du château d’If, la rencontre avec l’abbé Faria, la découverte du trésor des Templiers sur l’île de Montecristo, la transformation d’Edmond Dantès en mystérieux et inquiétant personnage dont l’immense fortune lui permet de peaufiner une terrible vengeance. Travaillant une image volontiers en clair-obscur, les cinéastes développent donc essentiellement le thème de l’implacable vengeance d’un homme blessé qui va punir méthodiquement un sacré trio de traîtres doublés de crapules. Dantès (incarné par un Pierre Niney crédible) pense que sa rédemption est impossible mais il lance quand même à une Mercédès (Anaïs Demoustier) toujours amoureuse, ces derniers mots : « Attendre et espérer ». (Pathé)
LE TROISIEME HOMME
Très modeste écrivain américain, Holly Martins débarque dans la Vienne dévastée de l’après-guerre. Il recherche son vieil ami Harry Lime mais celui-ci vient d’être écrasé par une voiture dans les rues de la capitale autrichienne découpée en quatre zones occupées par les Alliés. Martins choisit alors de mener sa propre enquête pour démasquer les assassins de son ami. Mais, rapidement, dans une ville qui semble être devenue capitale du marché noir, l’Américain comprend que Lime était mêlé à des activités peu recommandables. La police anglaise le recherche spécifiquement pour trafic de péniciline. Autour de Martins, tout le monde semble à la limite de la légalité s’il s’agit de survivre. La fin justifie donc les moyens… Ecrit par Graham Greene, Le troisième homme (1949) est certainement le film le plus connu du Britannique Carol Reed qui signa aussi, et entre autres, une bonne adaptation de Greene avec Notre agent à La Havane (1959). Sa célébrité est notamment due à son thème musical composé et interprété à la cithare par Anton Karas que le cinéaste avait repéré par hasard dans une taverne proche de la Grande roue du Prater. D’ailleurs Le troisième homme vaut aussi pour l’utilisation qui est faite par Reed des endroits célèbres de Vienne comme le Prater, l’hôtel Sacher, le café Mozart, le palais Pallavicini ou encore le cimetière central. Une bonne partie des séquences tournées dans les égouts l’ont été en studio. Pour repérer celles réalisées dans les vrais égouts, il faut observer la buée qui sort de la bouche des comédiens. L’Office du tourisme de Vienne organise toujours des visites guidées « spécial Troisième homme » ! Film d’espionnage, film noir, thriller, Le troisième homme est tout cela. Si Joseph Cotten campe un Holly Martins qui ne comprend rien à rien, toujours balloté par les événements et manipulé par les uns et les autres, on se souvient bien de l’apparition, dans un rayon de lumière, du grand Orson Welles, le mystérieux et cynique Harry Lime qui dira : « En Italie, pendant trente ans, sous les Borgia, ils ont eu la guerre, la terreur, le meurtre, les effusions de sang, et ils ont produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq cents ans de démocratie et de paix, et qu’est-ce que cela a donné…? La pendule à coucou ». Un classique (en Blu-ray 4K Ultra HD) remarquablement écrit qui obtint à Cannes 1949 le Grand prix, ancêtre de la Palme d’or. (Studiocanal)
TERMINATOR
En 2029, une guerre oppose ce qui reste de l’humanité, anéantie par un holocauste nucléaire, aux machines dirigées par Skynet, un système informatique contrôlé par une intelligence artificielle et qui a pour objectif d’imposer la suprématie des machines sur les hommes. La résistance humaine, menée par John Connor, étant sur le point de triompher en 2029, Skynet envoie dans le passé, en 1984, un Terminator T-800, assassin cybernétique à l’apparence humaine, afin de tuer la mère de John, Sarah Connor (Linda Hamilton), et ainsi d’empêcher la naissance de John, « effaçant » de manière rétroactive son existence et ses actes futurs. En réaction, John envoie à la même époque Kyle Reese (Michael Biehn), un résistant humain, afin de protéger sa mère. Le Terminator de James Cameron, sorti dans les salles en 1984, est tout simplement devenu un classique de la science-fiction made in Hollywood en traitant du voyage dans le temps et de la menace que pourraient faire naitre des robots créés par une superintelligence issue de la singularité technologique. Si son succès n’était pas « garanti » avant sa sortie en salles, le film qui lança définitivement la carrière de James Cameron rencontra cependant un large public. Et les héritages se mirent à fleurir avec un n°2, toujours signé Cameron puis quatre suites moins passionnantes mais aussi une série télé ou des gammes de jeux vidéo. Le vrai bonheur dans cet univers en voie de robotisation, c’est de voir Arnold Schwarzenegger à l’oeuvre, fonçant à travers Los Angeles sur sa moto et arrosant alentour, le masque imperturbable, des pruneaux, façon machine à tuer parfaitement incassable. Arnie sortait de Conan le barbare (1982) et n’était pas plus enthousiaste que cela à l’idée de jouer dans le film. Pour sa part, le cinéaste n’était pas convaincu non plus par l’ex-culturiste autrichien. Mais la magie du cinéma a opéré ! Et Arnold Schwarzenegger sera Terminator for ever tout en y gagnant un statut de mégastar. En steelbook 4K Ultra HD. (Warner)
CHOCOLAT
Une belle jeune femme marche sur une plage… Entre mer et palmiers, le paysage est idyllique. Mais France n’est pas en vacances au Cameroun. Embarquée dans une voiture par un Américain noir (qui dit ne pas se sentir chez lui dans le pays) et son jeune fils, elle tarde un peu avant de se décider à revenir dans les pas de son enfance africaine. Née à Paris parce que sa mère voulait accoucher en France, Claire Denis retourne à l’âge de deux mois en Afrique. Elle y grandit et fait sa scolarité primaire dans les écoles mixtes, notamment au Cameroun, en Somalie, en Haute-Volta et à Djibouti. Son père, administrateur civil travaillant dans les colonies françaises d’Afrique, présentait à ses enfants l’indépendance comme une chose positive pour les pays africains. Claire Denis sera assistante réalisatrice de Robert Enrico, Jacques Rivette, Jim Jarmush ou Wim Wenders pour Paris Texas et Les ailes du désir. Poussée par le cinéaste allemand, elle passe à la réalisation en 1988 avec l’histoire d’un couple de Blancs parmi les Noirs peu de temps avant l’indépendance du Cameroun. Une vie perturbée par les passagers d’un avion en perdition qui se pose en pleine brousse, à Mindif, où le commandant Marc Dalens est responsable militaire… Dans une approche assez contemplative, Claire Denis invite à une plongée (très bien écrite et montée) dans le passé à travers son personnage de petite fille observant son père (François Cluzet), sa mère (l’Italienne Giulia Boschi) et Protée, le boy de la famille (Isaach de Bankolé) qui souffre en silence de la situation de son peuple et avec lequel France a lié un pacte quasi-magique. Autour d’eux gravitent différents personnages haut en couleurs comme un planteur de café qui se croit tout permis, un étrange prêtre, un cuisinier qui ne parle qu’anglais ou Luc qui veut briser les tabous en se rapprochant des Noirs… Présenté en compétition au Festival de Cannes 1988, Chocolat annonce l’arrivée d’une sensibilité singulière sur la scène cinématographique française. Ce premier film remarquable préfigure toute l’oeuvre de Claire Denis : son style cérébral et sensuel (Trouble Every Day), sa remarquable direction d’acteurs (Beau travail) et son goût pour les cultures métissées (White Material). Dans les suppléments, un entretien avec la cinéaste sur la genèse de son film. (Carlotta)
LE MOINE ET LE FUSIL
En 2006, le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision… et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil… Au même moment, un Américain considéré par les autorités internationales comme un trafiquant d’armes, est sur place à la recherche d’un fusil de collection : une arme datant de la guerre de Sécession. Au grand étonnement de ses concitoyens, le roi du Bhoutan annonce qu’il va se retirer du pouvoir pour permettre à son pays d’accéder à la démocratie. Le peuple doit donc se préparer à de prochaines élections. Un système tellement méconnu des citoyens que le gouvernement envoie des délégués sillonner le pays pour apprendre aux uns et aux autres à voter. Le ton est donné, car il apparait que l’immense majorité des habitants ne voit pas l’intérêt de ces élections, puisque semble-t-il, tout va bien pour eux avec un système qu’ils connaissent et qui leur convient. En incitant les uns et les autres à afficher et défendre des convictions, on risque de faire émerger des divergences. Cinéaste et photographe bhoutanais, Pawo Choyning Dorji a été remarqué en 2022 lors de la sortie en France de son premier long-métrage, L’école du bout du monde (2019). Ici, il filme à nouveau son pays et ses habitants pour mettre en valeur, sans esbroufe, de magnifiques paysages et faire surtout sentir les conditions de vie ainsi que la mentalité des gens du Bhoutan dont la manière simple d’aborder la vie est impressionnante. Avec la télévision et Internet, ces hommes, ces femmes et ces enfants peuvent devenir des cibles peu méfiantes face à la consommation à l’oeuvre dans la société moderne. Ces gens découvrent le Coca et observent, fascinés, à la télévision, Daniel Craig incarnant 007 dans Quantum of Solace. Pawo Choyning Dorji s’interroge, tout en finesse, sur la démocratie et ses effets pervers. Comment accéder au bonheur ? Faut-il pour cela que les individus s’opposent entre eux ? Une belle fable sur la perte d’une certaine innocence. (Pyramide)
LES MISERABLES
« Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre » écrivait Victor Hugo à son éditeur parisien en 1862. L’écrivain ne s’était pas trompé. Les misérables est une histoire universelle de référence traversant le temps et les frontières et évidemment une inépuisable source d’inspiration pour le cinéma. On recense aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’adaptations du best-seller du 18e siècle sur grand et petit écran. Dixième adaptation cinématographique du chef-d’œuvre d’Hugo, Les misérables de Jean-Paul Le Chanois (qui ressort dans deux beaux coffrets dvd et Blu-ray en édition restaurée) est aussi l’une des plus célèbres. Très fidèle à l’œuvre littéraire, le film doit son adaptation au travail de l’écrivain, dialoguiste et scénariste, René Barjavel. Sorti en 1958 sur les écrans, le film est divisé en deux époques et réunit les plus grandes stars du cinéma français de l’époque : Jean Gabin, Bernard Blier, Bourvil, Danièle Delorme, Serge Reggiani, Fernand Ledoux dans l’histoire fameuse de Jean Valjean qui, en 1818, parvient à s’évader du bagne de Toulon après vingt ans de travaux forcés. Injustement condamné, Valjean est de retour et il n’aspire qu’à la tranquillité et au bonheur. Son destin bascule avec la rencontre de l’évêque de Digne, Mgr Myriel. Tendre et humaniste, Jean Gabin est un Jean Valjean bouleversant. Le méchant bistrotier, Thénardier, est incarné par Bourvil qui fait preuve d’une veulerie incomparable. Bernard Blier est un Javert inflexible et complexe, il prouve qu’il est un immense comédien capable de jouer tous les registres. Le Chanois (qui a signé, en 1954, son plus grand succès, Papa, maman, la bonne et moi, une comédie de mœurs sur la famille française type) donne un régal visuel pour cette fresque cinématographique. Comme l’a dit le cinéaste, son adaptation de Victor Hugo « n’est pas un film historique mais on y voit de l’histoire. Ce n’est pas non plus un film de reconstitution mais on y voit le Paris d’autrefois. Enfin, ce n’est pas un film colorié, comme la mode s’en était répandue, mais bien un film où la couleur apporte ses éléments indispensables ainsi que le Technirama, ce procédé d’écran large qui permet d’assurer une netteté exemplaire sur tous les plans. » Véritable prouesse technique pour l’époque. Les misérables, champion du box-office en France en 1958, connut un immense succès populaire avec presque 8 millions d’entrées. (Pathé)
JEUX INTERDITS
Au cours de l’exode de juin 1940 en France, un convoi de civils est bombardé et mitraillé par des avions allemands. Paulette, cinq ans, perd ses parents et se met à errer dans la campagne. Dans les bois, elle rencontre Michel Dollé, un garçon de dix ans, qui l’emmène vivre dans la ferme de ses parents. Réticent au début, le père de Michel accepte l’arrivée de Paulette, plus par peur que les Gouard, ses voisins et ennemis jurés, le fassent et en tirent une quelconque gloire, que par charité. Paulette enterre discrètement le petit chien, mais Michel devine rapidement son geste, et à deux ils se mettent à créer des sépultures pour tous les animaux morts qu’ils découvrent : rats, crapauds, poussins. Michel en vient à tuer des animaux pour rassurer Paulette. On a tous entendu des débutants travailler leur guitare en grattant le thème de Jeux interdits écrit par Narciso Yepes. Mais c’est évidemment très court de ramener le film écrit en 1952 par René Clément à ce (très) célèbre morceau de musique. De fait, trois ans avant Charles Laughton et sa fameuse Nuit du chasseur (1955), le cinéaste français plonge dans l’imaginaire de l’enfance en distillant d’impressionnantes images oniriques. Dès son ouverture, Jeux interdits entraîne, avec une brutalité voulue, le spectateur dans l’horreur de la guerre avec une population jetée sur les routes et affolée par la puissance militaire ennemie. Des malheureux errant jusqu’à la mort. Parmi eux, une fillette rescapée et serrant dans ses bras le cadavre de son chien. De l’atrocité inaugurale de cette vision guerrière, le film va glisser vers un monde plus apaisé lorsque Paulette rencontre la famille d’accueil et surtout découvre Michel et son monde. Ecrit par Jean Aurenche et Pierre Bost, grands scénaristes français des années 30-40, le film de René Clément, d’abord conçu comme un sketch destiné à un film sur les enfants et la guerre, va s’imposer comme un immense succès qui vaudra au réalisateur le Lion d’or à la Mostra de Venise 1952 et un Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1953. Si on peut reprocher au film (qui ressort dans une version restaurée 4K) une vision passablement caricaturale de la France profonde et paysanne, Jeux interdits séduit et émeut par le jeux des enfants. Si Georges Poujouly semble parfois réciter ses répliques, Brigitte Fossey, petite fille blonde de 5 ans, est parfaite de simplicité naïve et de grâce tragique. (Studiocanal)
A HISTORY OF VIOLENCE
Citoyen paisible de la petite ville de Millbrook dans l’Indiana, bon père et bon mari, Tom Stall est patron d’un petit coffee shop. Un soir, deux tueurs complètement barrés font irruption dans son établissement, s’apprêtant à commettre un massacre. En quelques fractions de secondes, Stall les abat avec une dextérité surprenante. Le fait divers fait la une des médias, la fierté de sa famille et propulse Stall, à son corps défendant, au rang de célébrité locale et nationale. Alors qu’il tente de retrouver une vie normale, un mafieux partiellement défiguré, répondant au nom de Fogarty, débarque dans son petit restaurant et l’appelle par un autre nom : Joey. Fogarty et ses complices prennent en effet Tom, qu’ils ont vu récemment à la télévision, pour un de leurs anciens adversaires. Peu à peu l’épouse et le fils de Tom se rendent à l’évidence : Tom a été Joey dans une autre vie, à Philadelphie, auprès de son frère, à la tête d’un gang. Trois principaux thèmes imprègnent le cinéma de David Cronenberg: l’étude du corps humain sous un aspect angoissant à l’instar de La mouche (1986) ou Faux semblants (1988); l’observation visionnaire du rapport de l’humain à la technologie (Crash, 1996) et le délitement de la société. A History of Violence, réalisé en 2005, fable sur la violence refoulée, s’inscrit pleinement dans ce dernier thème. On découvre un couple marié avec deux enfants essayant de mener une vie droite, honnête, épanouie. « Derrière ce thème principal, note le cinéaste, se profilent pourtant des choses beaucoup plus troublantes, dérangeantes. C’est un thriller intéressant parce qu’atypique. On peut le prendre à plusieurs niveaux, les enjeux ne sont pas aussi basiques que l’intrigue principale peut le laisser supposer. » Avec un petit côté Hitchcock pour l’innocent pris pour un autre par des gens effrayants, le film de Cronenberg distille à merveille le trouble (Tom et sa femme se conduisent comme des collégiens énamourés) et fait affleurer la figure de ces monstres glaçants qui traversent son cinéma. Maria Bello (l’épouse de Tom) a quelques scènes bien hot. Le toujours excellent Viggo Mortensen (que Cronenberg retrouvera en 2077 pour Les promesses de l’ombre) incarne parfaitement le type bien sous tous rapports… jusqu’à ce que le vernis craque. Avec Cronenberg, il ne faut jamais se fier aux apparences. (Warner)
LE SHERIF EST EN PRISON
A cause de sables mouvants, la réalisation d’une ligne de chemin de fer dans les Etats-Unis de 1874 est remise en cause. Le changement d’itinéraire fait que la ligne pourrait passer par Rock Ridge, une ville frontière où tous les habitants portent le même nom, Johnson. Le procureur général Hedley Lamarr veut racheter à bas prix les terrains prévus pour la construction. Pour y parvenir, il tente de chasser les habitants de leur ville. Ainsi, pour leur faire peur, il envoie une bande d’affreux dirigée par le crétin Taggar. La population de Rock Ridge demande au gouverneur de leur affecter un nouveau shérif. Le gouverneur se laisse persuader par Lamarr de choisir, pour cette fonction, Bart, un Afro-Américain et ouvrier à la construction des chemins de fer. En 1974, avec Blazing Saddles (en v.o.), Mel Brooks atteint certainement le meilleur de son cinéma. Après Les producteurs (1968) et Frankenstein Junior (1974), le New-yorkais, âgé aujourd’hui de 98 ans, réussit, sur une thématique westernienne, un festival de loufoquerie centré autour de l’humour juif. Si le film tourne autour de Bart (Cleavon Little), shérif d’une ville en état de siège, on se régale de la prestation de Gene Wilder, vieux complice de Brooks, qui incarne Waco Kid, un as de la gâchette devenu alcoolique qui assure : « A moi tout seul j’ai tué plus d’hommes que Cecil B. DeMille » ! Pour le reste, on trouve, ici, des belligérants qui décident de quitter leur plateau de tournage pour aller semer le trouble sur le tournage d’une comédie musicale avant que le tout dégénère en bataille de tartes à la crème. Pour faire bonne mesure et volontiers à la limite du bon goût, Brooks (qui joue à la fois le gouverneur et le chef des Indiens) saupoudre son film de casques à pointe, de petites vieilles racistes, de chanteuses teutonnes et de canards de bain. A ce jeu, Madeline Kahn, autre copine du cinéaste, se régale avec la Teutonic Titwillow, la bien nommée Lili von Schtupp. A sa sortie, cette folle et burlesque parodie connut un succès impressionnant. Elle ressort dans une belle version restaurée. Et on se gondole toujours autant. (Warner)
LES CAVALIERS
En pleine guerre de Sécession, un détachement de cavalerie nordiste, sous les ordres du colonel Marlowe, est envoyé derrière les lignes ennemies, pour détruire les voies de chemin de fer. À ses côtés, le major Kendall, le médecin militaire auquel Marlowe s’oppose régulièrement. Les deux hommes sont aussi contraints d’emmener avec eux Hannah Hunter, une aristocrate sudiste, qui pourrait menacer le succès du raid de sabotage. Après maintes péripéties, ils arrivent à saboter la principale voie ferrée, à brûler train et coton. Poursuivis par les Sudistes, il font tout pour leur échapper… « Je n’ai jamais de ma vie rencontré un homme qui en savait autant sur la guerre de Sécession que Ford » affirme William H. Clothier, le directeur de photographie de The Horse Soldiers. Si Ford a déjà abordé la thème de la guerre de Sécession dans son cinéma, il faut attendre la fin de sa carrière pour que le réalisateur de La prisonnière du désert, consacre, ici, en 1959, tout un film à ce terrible conflit fratricide. Adapté du roman éponyme d’Harold Sinclair, lui-même basé sur un fait réel, Les cavaliers, charge vigoureuse contre la guerre, est une œuvre à l’atmosphère sombre et oppressante et, pour tout dire, assez mélancolique. Souvent considéré comme un film mineur de Ford, Les cavaliers, marqué par des problèmes de production et la mort accidentelle d’un cascadeur, est pourtant un grand film sur les horreurs de la guerre. Dans sa mise en scène, dans le travail sur les paysages, les couleurs, le traitement du cinémascope, le film atteint le niveau des grands westerns mythiques de Ford. Enfin, entouré notamment de William Holden et de Constance Towers, John Wayne retrouve à nouveau son réalisateur-fétiche pour un personnage de militaire désabusé et tourmenté. Ensemble, ils tourneront encore deux films, et non des moindres : L’homme qui tua Liberty Valance (1962) et La taverne de l’Irlandais (1963). Remastérisé HD, Les cavaliers sort dans une belle édition médiabook collector Blu-Ray et dvd avec un livre (184 p.) retraçant les 50 ans de carrière de Ford, le tout accompagné de plus de trois heures de bonus. (Rimini éditions)
HORIZON : UNE SAGA AMERICAINE, CHAPITRE 1
En 1859, dans la vallée de San Pedro en Arizona, des arpenteurs marquent avec des piquets les frontières d’une prochaine ville, Horizon. Peu de temps après, Desmarais, un missionnaire qui cherche Horizon découvre l’équipe d’arpentage tuée par une bande d’Apaches. Il enterre leurs corps et fonde la ville d’Horizon. En 1863, des pionniers installés dans un Horizon florissant est attaqué par un raid indien mené par Pionsenay. La majorité des habitants est tuée. Le jeune Russell Ganz s’enfuit à cheval pendant le carnage et rejoint le Camp Gallant pour prévenir l’armée. Un détachement mené par le lieutenant Trent Gephardt vient porter secours aux survivants, dont font partie Frances Kittredge et sa fille Elizabeth qui partent avec l’armée pour chercher refuge au Camp Gallant. Au même moment, Russell rejoint un groupe dirigé par son compatriote survivant Elias Janney et le chasseur de scalps Tracker pour s’en prendre aux Apaches… Pour son retour à la réalisation, bien des années après le western Open Range (2003), Kevin Costner avait un projet plutôt colossal, raconter en quatre films pour une durée de près de dix heures, les grandes heures de l’Ouest américain avant et après la guerre de Sécession, une époque pleine de bruit et de fureur, de périls et d’aventures, de lutte avec la nature sauvage et de combats colonisateurs contre les peuples autochtones. Une entreprise d’autant plus ambitieuse qu’on dit et qu’on répète, dans le monde du cinéma, que le western a définitivement vécu. Ce qui reste encore à prouver. Pour l’heure, on ignore si la saga dans son ensemble verra le jour mais le chapitre 1 au eu les honneurs, hors compétition, du dernier Festival de Cannes. Et Kevin Costner, boosté par le succès de la série Yellowstone, s’est lancé dans une sacrée entreprise. Son film hors-normes multiplie les histoires, joue sur les points de vue, détaille des trajectoires et des destinées en s’appuyant sur une imposante brochette d’acteurs : Sienna Miller, Sam Worthington, Danny Huston, Will Patton, Jena Malone, Luke Wilson et Kevin Costner lui-même dans le rôle du marchand de chevaux Hayes Ellison. Cette chronique chorale de l’Ouest américain est rattrapée malheureusement par une certaine démesure. Mais l’homme de Danse avec les loups bataille toujours pour ce genre mythique qu’est le western. Pour cela, on l’apprécie. (Metropolitan)
LES PISTOLETS EN PLASTIQUE
Léa et Christine sont obsédées par l’affaire Paul Bernardin, un homme soupçonné d’avoir tué toute sa famille et disparu mystérieusement. Alors qu’elles partent enquêter dans la maison où a eu lieu la tuerie, les médias annoncent que Paul Bernardin vient d’être arrêté dans le Nord de l’Europe… Metteur en scène de théâtre avec la compagnie Les chiens de Navarre, Jean-Christophe Meurisse réalise, avec Les pistolets en plastique, son troisième long-métrage de cinéma après Apnée (2016) et Oranges sanguines (2021). Une œuvre marquée par la fantaisie et l’humour. « C’est ce que j’aime : le mélange, dit le cinéaste. Ce que je n’aime pas : rester dans un registre unique. Je veux que tout soit tendu, aussi bien dans la narration que dans la forme. On ne sait pas sur quel pied danser. On va de l’absurde à l’horreur, on est dans le rire du pire, entre tragédie et comédie de manière permanente. » Les pistolets en plastique s’inspire, sans s’en cacher, de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès en évoquant au passage, l’affreuse mésaventure du malheureux pris à l’aéroport de Glasgow pour le type recherché par toutes les polices. Cependant, il n’est pas question, ici, de biopic mais bien de monstres. « J’aime montrer les monstres, dit le réalisateur. Ma naïve utopie, c’est que plus on montre le mal au cinéma, moins il y en a dehors. » Des monstres, le film en montre une belle brochette et s’ouvre sur deux médecins légistes devisant tranquillement, lors d’une autopsie, sur le goût des gens pour les faits divers atroces… Avec une belle brochette de comédiens, Meurisse, avec un côté jubilatoire autant qu’effrayant, décrit la mécanique folle et absurde du monde. Le portrait satirique de notre société est drôlement cruel. Mais quand on entend de méprisables personnages proférer de parfaites horreurs, on se dit que la fiction est en-dessous de la réalité. (M6)
ELYAS
Ancien soldat des forces spéciales, Elyas est revenu très traumatisé des combats en Afhghanistan. Luttant contre son stress post-traumatique, il est de retour dans la vie civile et accepte d’assurer la sécurité d’Amina et de sa fille Nour qui ont fui les Émirats arabes unis et trouvé refuge dans un château français. Bientôt, un commando retrouve Amina et Nour, Elyas redevient le soldat qu’il fut afin de les protéger. Ils ne sont pas si nombreux que cela dans le cinéma français, les bons réalisateurs de films d’action. Le Mosellan Florent-Emilio Siri est de ceux-là. On remonte volontiers à 2002 et à Nid de guêpes dont l’action se situait à Strasbourg autour d’un casse dans un entrepôt abritant du matériel informatique en parallèle avec le transfèrement d’un mafieux albanais qui tourne au vinaigre. Le film attire d’ailleurs l’attention de Bruce Willis qui demande au Français de venir le mettre en scène dans Otage (2005). Après un passage par le biopic de Claude François (Cloclo en 2012 avec Jérémie Rénier), Siri est de retour à l’action. L’amateur n’est pas déçu car le cinéaste n’a pas perdu la main. Son thriller va au rythme de fusillades et d’explosion de violence qui montent vers un dénouement brutal qui n’aurait pas déparé dans une production américaine. Le vétéran de l’armée est désormais contraint à un job civil qui le laisse amer mais Elyas s’acquitte, avec efficacité, de sa tâche, allant jusqu’à se prendre d’affection pour la fillette qu’il est chargé de protéger contre de sévères affreux. Des talibans ? L’excellent Roschdy Zem s’empare avec aisance de ce vieux briscard aussi déterminé que mutique mais bien incapable de s’intégrer dans une vie normale. Une bonne série B. (Studiocanal)