La solitude dans la peau

On ne peut pas dire que Jonathan Glazer soit un cinéaste prolifique. En quatorze années, le Britannique a seulement signé trois longs-métrages: Sexy Beast (2000), Birth avec Nicole Kidman (2004) et donc Under the Skin. Pas de quoi affoler les compteurs même s’il a aussi réalisé des pubs et quelques clips musicaux mémorables pour Jamiroquai, Massive Attack ou Radiohead. On remarque, au passage, que la musique occupe, dans Under the Skin, une place importante (elle est due à l’Anglaise Mica Levi) et contribue constamment au caractère étrange et fantastique du film…

S’il fallait résumer Under the Skin en deux mots, on dirait simplement qu’une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes et les faire disparaître. C’est à la fois court et… prometteur. Court pour qui s’attend à des têtes arrachées, des corps meurtris dans des mâchoires broyeuses ou des tentacules interminables s’enroulant autour de cous aussi graciles que fragiles. Rassurons-nous, rien de cela chez Glazer!  Ce qui intéresse le cinéaste londonien, c’est de mettre le spectateur dans les pas d’une alien et de l’amener à observer, à travers le regard de l’extraterrestre, le monde et ses contemporains d’un oeil nouveau…

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Scarlett Johansson. DR

On l’a compris, ce qui intéresse Glazer, ce n’est pas de revisiter le fantastique ou la science fiction mais bien d’user des codes du genre pour composer une oeuvre énigmatique (on ne saura jamais quelle est la mission de l’extraterrestre), contemplative et évidemment étrange. Ce qui occupe surtout Glazer dans Under the Skin, c’est le défi formel qu’il s’agit de relever. Avant le générique, le spectateur est confronté à une image longtemps noire qui s’éclaire en son centre d’un minuscule point lumineux. Et puis la lumière arrive, puissante tandis qu’une pupille frémit… Dans la foulée, alors qu’un motard a récupéré un corps sur le bas côté d’une route de campagne, le cinéaste compose, cette fois, une séquence d’un blanc clinique où, en silhouettes sombres, une femme en dépouille une autre de ses vêtements. Et c’est dans un centre commercial bondé que l’alien, veste en jean et petite jupe courte, entre en scène… Alors que le motard joue les « nettoyeurs », l’extraterrestre, forcément sans nom, s’en va, à bord d’une camionnette, par les rues sans joie d’une grande ville d’Ecosse. Elle observe les passants et s’arrête, ici ou là, pour interpeller des hommes seuls…

En adaptant librement un roman de Michel Faber, Glazer se place au plus près d’une créature qui s’exprime peu et ne dégage guère d’empathie. A ses côtés, il regarde comment les hommes réagissent en la rencontrant. Et ce voyage, à la fois quotidien et fantastique, qui passe aussi par un bord de mer meurtrier et des paysages verts mais plutôt désolés, va nous faire toucher du doigt une terrible solitude humaine. Après tout, les hommes perdus (y compris un pathétique jeune cousin d’Elephant Man) que la femme croise, sont au moins réveillés par un désir qui les ramène, provisoirement, à la vie. Car ensuite, tandis que la créature se dévêt devant eux et qu’ils tombent, à leur tour, tous leurs vêtements, c’est une immersion mortelle dans un lac noir angoissant et fascinant qui les attend.

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Scarlett Johansson entre Belle et Bête. DR

Pour se glisser dans la peau d’une extraterrestre tout à la fois Belle ensorceleuse et Bête mortelle, le cinéaste a trouvé en Scarlett Johansson une interprète parfaite. Présente dans quasiment tous les plans du film, coiffée d’une perruque noire, elle échappe au glamour hollywoodien mais distille une vraie sensualité. Dans la scène clé du film -celle où en regardant sa nudité dans un miroir, la créature décide d’échapper à son sort de prédatrice- la comédienne s’offre une superbe mise en abyme de son statut de sex-symbol…

Under the Skin est, à bien y regarder, une sorte de tour de force. Glazer n’explique rien, s’ingénie à éviter tout ce qui pourrait faire gore et surtout met en scène l’aventure intime d’une extraterrestre qui nous fait appréhender notre monde comme si on le découvrait pour la première fois. Et tout cela dans un dépouillement mouvant et un vide instable propices à toutes les projections de l’esprit…

Avec Under the Skin, Jonathan Glazer voulait faire un film « témoin de la beauté, de la violence, de l’amour, de la compassion, de la beauté et de la laideur du monde ». Mission accomplie. Voici une oeuvre sensorielle qui procure un frisson échappant à l’analyse intellectuelle. « C’est un rêve? » demande un personnage. « Oui, nous rêvons », répond la créature…

UNDER THE SKIN Fantastique (Grande-Bretagne – 1h47) de Jonathan Glazer avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams, Dougie McCornell, Kevin McAlinden,, Andrew Gorman. Dans les salles le 25 juin.

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