La vérité n’est pas toujours juste
Il est bien loin, le temps où, à cause de l’inspecteur Harry, de son énorme Magnum .44 et de ses méthodes expéditives, Clint Eastwood était considéré, par une certaine critique française, comme un gros fasciste. Depuis, Eastwood est tout simplement devenu une légende, peut-être la dernière, d’Hollywood.
C’est le pistolero taciturne et fumeur de cigarillo de la fameuse trilogie westernienne du dollar de Sergio Leone qui le rend célèbre. Et évidemment le redoutable Harry Callahan, matricule n°221 de la police de San Francisco !
Presque à la surprise générale, Eastwood entame, au début des seventies, une carrière de réalisateur avec Play Misty for Me (Un frisson dans la nuit, 1971) et il ne cessera de mettre en scène, jusqu’à aujourd’hui, des œuvres aussi remarquables que Honkytonk Man, Pale Rider, Bird, Impitoyable, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Mystic River ou Million Dollar Baby… Le tout dans une alternance, très hollywoodienne, entre productions commerciales et films d’auteur.
Et si l’aventure devait maintenant toucher à sa fin ? Quarante et unième film d’Eastwood, Juror#2 a été annoncé comme l’ultime œuvre du maître, aujourd’hui âgé de 94 ans. En tout cas, ce film n’a rien de crépusculaire. Bien au contraire, Eastwood s’inscrit pleinement dans une production relevant du pur classicisme (de l’académisme, diront ses détracteurs) tant pour son écriture que par le thème abordé.
Telle la Justice, une femme, les yeux bandés, s’avance… Mais il ne s’agit que d’une future maman, sur le point d’arriver au terme d’une grossesse à risque, à laquelle son compagnon fait découvrir l’aménagement de la chambre du nouveau-né à venir. On ne peut néanmoins s’empêcher de voir un clin d’oeil du cinéaste à cette justice qui va occuper tout Juré n°2.
Justin Kemp a tout d’un brave et futur père de famille. Il chouchoute son Ally un peu apeurée à l’approche de son accouchement. Et il est prêt à tout faire pour se faire exempter de son rôle de juré. Kemp a été tiré au sort pour un procès qui doit juger un certain James Sythe accusé d’avoir assassiné sa petite amie Kendall Carter. Kemp demande à la présidente de la Cour d’être dispensé de son rôle de juré pour rester au côté de sa femme très enceinte. Mais, en fait, Kemp sait qu’il est à l’origine de l’acte criminel qui vaut à Sythe de comparaître..
Kemp se trouvait en effet dans le bar où Sythe et Kendall s’engueulaient copieusement. Dehors, le couple continue à se quereller avant que l’une et l’autre s’éloignent. Kemp, lui, est monté dans sa voiture et a aussi pris la route. Dans la nuit noire, sous une pluie battante, il heurte ce qu’il pense être une bête sauvage. Bientôt, il découvre qu’il a percuté Kendall, la jetant dans le fossé où elle succombe à ses blessures.
C’est le scénariste Jonathan Abrams qui a eu l’idée du pitch de Juré n°2 en aidant un ami procureur dans une affaire de sélection de jurés pour un procès… « C’est toujours intriguant, dit Clint Eastwood, lorsqu’un scénariste place un personnage au cœur d’un dilemme moral, et chacun peut se projeter dans ce cas de figure particulier qui se déroule dans l’enceinte d’un tribunal. Je me suis dit que c’était une histoire solide et qu’elle donnerait lieu à un bon film. » Bingo !
Avec ce Juror#2, Eastwood s’inscrit complètement dans les codes d’un genre qui a toujours été en vogue dans le cinéma américain : le film de procès. On retrouve donc ici la grande salle d’audience, la présidente sur son estrade, et, sur leurs bancs, l’avocat de la défense et le représentant de l’accusation, en l’occurrence la procureure adjoint Faith Killebrew, une battante, habillée d’un tailleur très couture, qui ne lâche jamais son os.
A travers le décorum du procès (le chef opérateur québecois Yves Bélanger réussit une photographie très travaillée dans les clairs-obscurs) et ses péripéties, Eastwood cerne les différentes personnalités en lice, ainsi Faith Killebrew (Toni Collette) en campagne politique pour son élection au poste de procureure générale. Une lourde condamnation de Sythe serait une aubaine dans cette campagne…
Mais, évidemment, c’est Justin Kemp qui se trouve au centre du dispositif filmique. Car le juré n°2, taraudé par le dilemme moral « se protéger ou se livrer » va, petit à petit, révéler les facettes troubles de sa personnalité. On retrouve ainsi ce jeune type, rédacteur dans un petit magazine, dans une réunion des Alcooliques anonymes où l’animateur lâche un prémonitoire « On ne souffre que de nos secrets ».
Le scénario de Juré n°2 (qui a été tourné en Géorgie, notamment à Savannah) réserve d’ailleurs quelques chemins de traverse dans lesquels on s’engouffre volontiers, ainsi cette surprise « policière » ou un transport sur les lieux de tous les jurés…
Enfin, l’audience achevée, vient le temps du délibéré. On ne peut alors s’empêcher de songer au célèbre Douze hommes en colère (1957). Comme dans le film de Sidney Lumet, l’affaire doit être vite bouclée. L’accusé est (forcément) coupable et tout le monde a envie de vite rentrer chez soi. Tout comme l’architecte Davis, le juré n°8 de Lumet, Justin Kemp va vouloir instiller le doute chez ses confrères jurés. A cette nuance près, que le personnage d’Henry Fonda (de blanc vêtu comme un chevalier de la vérité) avait relevé les failles de l’enquête alors que Kemp, pris dans la tourmente, connaît la vérité et semble souvent sur le point de se prendre les pieds dans le tapis…
Vu aussi bien dans La favorite de Lanthimos que dans X-Men : Dark Phoenix et prochainement en Lex Luthor dans Superman, Nicholas Hoult est ce garçon propre sur lui, pilier d’une idéale famille américaine. Mais, comme souvent chez Eastwood, le mal est à l’oeuvre et le venin du mensonge comme le dysfonctionnement de la société viennent « pourrir » une image idyllique. La violence est toujours tapie dans un coin et jusque sur le pare-chocs d’une Toyota verte.
Indécrottable Américain et vrai humaniste, Clint Eastwood s’applique souvent à glisser un once d’espoir dans ses films. Mais, ici…
JURE N°2 Drame (USA – 1h54) de Clint Eastwood avec Nicholas Hoult, Toni Collette, J.K. Simmons, Kiefer Sutherland, Zoey Deutch, Chris Messina, Cedric Yarbrough, Gabriel Basso, Francesca Eastwood, Leslie Bibb, Amy Aquino. Dans les salles le 30 octobre.