Portrait cruel d’un président en devenir

Donald Trump (Sebastian Stan), un entrepreneur prêt à tout.

Donald Trump (Sebastian Stan),
un entrepreneur prêt à tout.

« Je ne suis pas un escroc ! » Ce sont quasiment les premiers mots qui résonnent dans The Apprentice. Ils ne sont pas le fait de Donald Trump mais bien de l’un de ses prédécesseurs à la Maison Blanche. On a nommé Richard Nixon. Un Nixon qui devra, pour cause de Watergate, abandonner plutôt honteusement le pouvoir suprême…
C’est un Trump pas très reluisant qui est au coeur de The Apprentice. Car, bien avant de devenir milliardaire, star d’une émission de télé-réalité ou président des États-Unis, Donald J. Trump a été, dans les seventies, un travailleur acharné, déterminé à faire fortune sur le marché immobilier new-yorkais.
En attendant, le fils à papa, toujours soucieux de la position de sa mèche de cheveux, arpente les couloirs d’immeubles sans joie pour collecter des loyers qu’on devine usuraires. Trump est hargneux mais il est le plus souvent accueilli par des injures, voire des jets d’eau bouillante !
Même si, à l’époque, Manhattan était considéré comme un quartier miséreux et gangréné par la criminalité, Trump était convaincu que la ville allait renaître de ses cendres et qu’il était l’homme de la situation pour mener cette renaissance – si seulement il avait les bons appuis.
Ces appuis, il va les trouver en écumant les boîtes de nuit réservées à l’élite new-yorkaise. C’est là que ce jeune type qui ne boit que de l’eau, va croiser Roy Cohn, un avocat aussi pugnace que sulfureux. D’emblée, les deux hommes se rapprochent dans la même volonté d’intégrer la haute société de New York qui les bat froid alors même que l’un et l’autre appartiennent à des milieux aisés.

Donald Trump défie son père (Martin Donovan).

Donald Trump défie son père (Martin Donovan).

Connu pour Border en 2018 et pour Les nuits de Mashad (2022) qui valut à Zar Amir-Ebrahimi le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, le cinéaste irano-danois Ali Abbasi n’entend pas balayer tout le parcours de Trump. Ici, dans son premier film en anglais, il porte un regard plus intime sur un épisode de la vie de Trump qui aura des répercussions majeures sur la culture américaine et le monde dans son ensemble. « Il ne s’agit pas d’un biopic sur Donald Trump, dit Abbasi. On ne s’intéresse pas aux moindres détails de sa vie, de sa naissance à nos jours. On a cherché à raconter une histoire très spécifique à travers sa relation avec Roy, et à travers celle de Roy avec lui. »
Le projet de The Apprentice voit le jour au printemps 2017, alors que Trump était président depuis quelques mois seulement. Le scénariste Gabriel Sherman, par ailleurs journaliste politique aguerri, travaille avec des sources de longue date, dont la plupart lui font remarquer que pendant sa campagne et ses premiers jours à la Maison Blanche, Trump se servait de tactiques auxquelles Cohn l’avait initié. « Roy lui a appris, note Sherman, à utiliser les médias en lui expliquant que faire parler de soi aux infos était un moyen d’obtenir du pouvoir ».
The Apprentice va donc s’axer sur cette relation entre Trump et Cohn qui présente un fort potentiel cinématographique. Loin du banal biopic mais sans tomber non plus dans la satire polémique totalement caricaturale, ce thriller sans coups de feu mais non sans violence, est un conte moral.

Roy Cohn (Jeremy Strong) et son disciple.

Roy Cohn (Jeremy Strong) et son disciple.

De fait, on y voit comment un jeune entrepreneur qui cherche ses mots tout comme l’approbation et la reconnaissance de son père, tombe sous le charme d’un Cohn qui va lui livrer toutes les ficelles pour mettre à profit un système corrompu en usant de méthodes aussi sournoises que féroces.
Ainsi Roy Cohn lui fournit trois commandements capitaux. Règle n°1 : Attaquer. Attaquer. Attaquer. Règle n°2 : Ne rien reconnaître. Tout nier en bloc. Règle n°3 : Revendiquer la victoire et ne jamais reconnaître la défaite. De son côté, le credo de Trump est simple comme bonjour. « Dans la vie, dit-il, il y a deux types de gens. Les tueurs et les losers ». On a compris que lui se situe du côté des gagnants. Donc des tueurs. Au bout du compte, pour les deux hommes, le seul objectif est de rafler la mise. Dans les seventies, c’est par exemple d’obtenir de la ville de New York des dégrèvements d’impôts pour construire, notamment, la fameuse Trump Tower. Plus tard, ce sera d’entrer à la Maison Blanche.
Reprochant à la plupart des reconstitutions historiques, leur côté lisse et trop sage, Abbasi entend proposer une version punk d’un film d’époque. Du coup, avec une belle énergie, il va chercher du côté de l’atmosphère du Casino (1995) de Scorsese ou encore de l’allant, souvent dévastateur, de séries comme Dallas ou Les Soprano.
Pour faire le poids, The Apprentice avait besoin de deux excellents interprètes pour cette success story sur fond de Make America Great Again. Sebastian Stan campe un jeune Trump excessif et haineux et à la morale sinon absente, du moins très élastique. Mais ce parfait rascal, déjà obnubilé par la peur de vieillir, est nanti d’une âme damnée aussi tordue que lui mais, alors, avec infiniment plus d’expérience. C’est l’excellent Jeremy Strong (connu pour son personnage de Kendall Roy dans la série HBO Succession) qui se glisse dans la peau de Roy Cohn, conseiller juridique de Trump de 1974 à 1986.

Ivana Trump (Maria Bakalova), la première épouse. Photo Pief Weyman

Ivana Trump (Maria Bakalova),
la première épouse.
Photo Pief Weyman

Type sulfureux dont l’existence lui vaudra d’être emporté par le sida, Cohn, marqué par son appartenance au maccarthysme, oeuvra comme procureur à la condamnation à mort des époux Rosenberg. Dans l’ombre de Trump, usant volontiers de méthodes mafieuses, l’avocat va façonner un disciple qui en viendra in fine à le dominer après avoir absorbé ses leçons les plus inquiétantes.
On le sait bien, le cinéma n’a jamais changé le monde mais il peut nous éclairer. Cette évocation de Trump est à la fois distrayante, mais oui, tout en faisant froid dans le dos. Sa relation aux femmes est singulièrement éprouvante et celle au reste de l’humanité marquée par un mépris profond.
Pour le reste et alors que l’élection présidentielle approche, Steven Cheung, directeur de campagne de Donald Trump, a publié naguère un communiqué critiquant le film et indiquant vouloir porter plainte contre le réalisateur. Attaquer toujours…

THE APPRENTICE Comédie dramatique (USA – 2h) d’Ali Abbasi avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, Martin Donovan, Catherine McNally, Charlie Carrick, Ben Sullivan, Mark Rendall, Iona Rose MacKay, Emily Mitchell. Dans les salles le 9 octobre.

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