Josef et le village exaspéré
« Tu fatigues tout le monde avec tes conneries! » Il n’est pas méchant, Josef Bousou, mais c’est vrai que dans son village natal, quelque part au fond d’un Lot-et-Garonne rural, il casse les pieds à tout le monde. Défini par un psychiatre comme souffrant d’une « débilité débonnaire et affective », Josef est un garçon libre. Les codes sociaux, il ne connaît pas ou feint de ne pas les connaître. Affirmant « Je fais ce que je veux », le garçon sans âge rentre chez les uns et les autres sans être invité. Et comme il dérobe un angelot en plâtre au cimetière, il s' »intéresse » à un couteau chez le vétérinaire ou ne se fait pas prier pour emporter une caisse de vieux jouets proposés par un artisan…
Avec Coup de chaud, Raphaël Jacoulot, remarqué naguère pour le thriller hivernal Avant l’aube (2011), utilise à nouveau la veine du thriller, campagnard cette fois, pour aborder un thème qui lui est cher, celui du bouc émissaire. En s’appuyant sur un fait-divers réel qui l’avait effaré dans la mesure où toute une population exprimait son soulagement après la mort d’un homme, le cinéaste fait, ici, le choix d’annuler tout suspense. Aux premières images du film, un homme titubant traverse, de nuit et sous une pluie battante, les rues du village endormi. Il se tient le ventre et saigne. Il ira s’effondrer et mourir dans la cour de la maison familiale… L’homme, c’est bien sûr Josef Boucou, le petit dernier d’une famille de ferrailleurs. Des manouches qui ont choisi de se sédentariser et dont on devine vite qu’ils sont à peine tolérés et loin d’être intégrés dans la communauté villageoise. Totalement désoeuvré, Josef traverse les champs à vive allure avec sa petite voiturette électrique peinte comme un bolide de course en effrayant le bétail, fait hurler sa musique et fait le zouave avec les jeunes du village, cristallisant ainsi l’exaspération. Alors que la canicule sévit, que l’eau vient à manquer, que les maïs ont besoin d’être arrosés et que les vaches ont besoin de boire, les gens sont tendus. Une pompe disparaît et voilà que Josef est immédiatement montré du doigt. Au conseil municipal, quelqu’un avait prévenu: « Le jour où il fera une connerie, faudra pas se plaindre… » Tragédie annoncée dans un huis-clos suffocant.
Si le cinéma français a souvent eu du mal à réussir ses fictions sur le monde paysan, Coup de chaud évite justement les clichés ou les notations exotiques. On croit volontiers à Jean-Pierre Darroussin en vétérinaire et maire, à Carole Franck en éleveuse de bétail ou à Grégory Gadebois en petit artisan ayant du mal à joindre les deux bouts. Quant au village, avec son étrange château d’eau (Jacoulot a trouvé son décor à Puch d’Agenais), il devient pleinement la scène d’un drame inéluctable. Parce que Josef est bouleversé par la jeunesse et la blondeur d’une Manon, il tourne autour d’elle comme aimanté par un désir qu’il ne maîtrise pas. Et ce sera la vieille Odette qui échappera, de peu, à une véritable agression sexuelle…
En s’appuyant sur des comédiens connus (Darroussin, Gadebois) et d’autres dont on reconnaît bien les visages, Raphaël Jacoulot signe une chronique qui aurait pu prendre des allures de pamphlet sur la France profonde conservatrice et réactionnaire. Mais, à travers le prisme d’une communauté, d’un microcosme villageois, confronté à un élément étrange et étranger et portant une culpabilité collective, le cinéaste interroge la société, la difficulté du vivre ensemble, d’accueillir la différence, l’autre.
Lorsqu’après la mort de Josef (l’étonnant Karim Leklou, à la fois enfantin, agaçant et pathétique), les enquêteurs interrogent les villageois, c’est une espèce d’hébétude qui s’abat sur tous. Bien sûr, on n’a pas vu Josef voler la pompe mais on pensait que c’était lui. Et Manon reste totalement muette sur ce qui a pu ou aurait pu se passer avec Josef du côté du séchoir à tabac. Rodolphe l’artisan explique: « Dès qu’il se passait quelque chose dans le village, on pensait à lui… » Et c’est l’un des copains du village qui résume: « Je l’aimais bien, Josef, mais il était lourd ». Avec Coup de chaud, Raphaël Jacoulot nous suggère, sans appuyer le trait, qu’on peut mourir pour être lourd.
COUP DE CHAUD Drame (France – 1h42) de Raphaël Jacoulot avec Jean-Pierre Darroussin, Gregory Gadebois, Karim Leklou, Carole Franck, Isabelle Sadoyan, Serra Yilmaz, Camille Fuguero, Agathe Dronne. Dans les salles le 12 août.