LA CREATURE, LE MAQUISARD ET LE GAMIN DES RUES DE SAO PAULO

Le GolemLE GOLEM
À Prague, au XVIe siècle, l’empereur Rodolphe II cantonne les Juifs dans des ghettos pendant qu’il se complait dans la ville avec sa cour. Philosophe et magicien, le rabbin Löw, qui a vu dans les étoiles, l’annonce d’un grand danger pour les Juifs, donne vie au Golem, une colossale statue de glaise dans laquelle il place le précieux « mot de vie », le tétragramme sacré du nom de Dieu. Grâce à lui, il obtient de l’Empereur que les Juifs ne soient pas chassés de la ville. Mais le Golem se révolte contre son créateur. Le mythe du Golem, mis en scène par Paul Wegener et Carl Boese dans les studios de l’UFA à Berlin, est tiré d’une légende juive du XVIe siècle, dans laquelle une créature d’argile prenait vie pour protéger les Juifs qui vivaient dans les ghettos de Prague. Un peuple alors sous la menace d’un décret de l’empereur autrichien Rodolphe II : « Nous n’ignorerons pas plus longtemps les accusations qui pèsent sur les Juifs, eux, qui ont crucifié notre seigneur, ignorent les fêtes chrétiennes, convoitent les biens de leurs concitoyens et pratiquent la magie noire et donnons ordre que la communauté juive ait quitté son quartier appelé ghetto avant la nouvelle lune. » Paul Wegener (1874-1948) qui avait déjà adapté au cinéma Le Golem en 1915 (une version disparue), revient en 1920 à cette histoire fantastique qui n’est pas sans faire écho, à travers la question centrale de la création par l’homme d’une créature qui in fine échappera à son créateur, au fameux Frankenstein (1931) de James Whale. Mais ce qui fait entrer Der Golem : Wie er in die Welt kam (titre original) dans la légende du 7e art, c’est moins son récit, somme toute classique, que son univers graphique qui en fait, avec Le cabinet du docteur Caligari de Paul Wiene, sorti la même année, l’un des premiers chefs d’oeuvre du cinéma expressionniste allemand. Wegener (qui prête ses traits au personnage du Golem) a imaginé une ville comme un labyrinthe étrange avec ses ruelles étroites et tortueuses, ses escaliers en colimaçon, ses maisons aux formes étranges, biscornues, tout en hauteur et coiffées de toits pointus. Quant à la séquence où le rabbin Löw expose à l’empereur une vision de l’exil à Babylone, elle rappelle les effets spéciaux utilisés de manière récurrente chez Georges Méliès. Le Golem est présenté avec trois accompagnements musicaux : Admir Shkurtaj et Mesimer Ensemble, une musique composée pour un orchestre de chambre, jouée lors de la présentation de la restauration à la Mostra de Venise 2023, puis enregistrée en studio; la bande son électronique composée par l’artiste polonais Wudec et le solo de piano interprété par Stephen Horne, l’un des accompagnateurs de films muets les plus connus en Angleterre… Dans les suppléments, Les légendes du Golem par Ada Ackerman, chercheuse au CNRS et Du Golem à l’homme-machine par Michel Faucheux, historien des idées. (Potemkine)
Franc TireurLE FRANC-TIREUR
En juillet 1944, alors que les Alliés ont débarqué depuis plus d’un mois en Normandie, les Nazis, malgré la débâcle, n’ont pas rendu les armes. Le 21 juillet, ils décident de se débarrasser des maquisards qui tiennent toujours un massif du Vercors réputé imprenable… Ce même 21 juillet, Michel Perrrat s’est réfugié chez sa grand-mère dans le petit village de Vassieux. Ce fils d’un collabo grenoblois pense ainsi tranquillement attendre la fin de la guerre. Mais il en ira autrement puisque les Allemands qui ont envahi le plateau, se livrent à de terribles exactions. La grand-mère de Perrat est tuée tout comme les habitants du bourg. Le jeune homme ne doit son salut qu’à la fuite. Dans la montagne, il croise un groupe de maquisards conduit par un ex-lieutenant des Chasseurs alpins. Perrat n’a guère d’autre choix que se joindre à eux. En exergue du film, figure une citation du général de Gaulle : « La France n’a pas besoin de vérité, elle a besoin d’espoir » suivie d’une mention rappelant que Le franc-tireur a été interdit pendant trente ans par le pouvoir gaulliste. C’est une étonnante aventure que celle de Jean-Max Causse et Roger Taverne, deux amis cinéphiles passionnés (le premier fut distributeur et exploitant des cinémas Action à Paris). En effet, ils tournèrent, durant l’été 1972 dans les superbes paysages du Vercors, ce western français qui ne sortira, dans une petite poignée de salles, que trente années plus tard ! La faute, sans doute, à des problèmes de production et de moyens financiers mais certainement aussi au propos jugé trop anti-gaulliste et surtout ternissant l’image héroïque des maquisards et des résistants. Avec un personnage principal d'(anti)héros… fils de collabo (Philippe Léotard dans son premier grand rôle), Le franc-tireur présente en effet une brochette disparate de braves types, pauvrement armés, qui cavalent dans tous les sens à travers les vastes espaces du plateau, tentant de sauver leur peau en affrontant, ici ou là, des escouades nazies avant de se retrouver à attendre dans des fermes ou des bergeries. Rien, évidemment, de très glorieux, sinon que quasiment tous tomberont sous les balles ennemies. Pour autant, le film n’apparaît pas, aujourd’hui, comme hostile aux maquisards. Simplement, à l’heure où le duo de cinéastes mit en scène son unique film, « il n’était pas, disait Causse, à l’image qu’il convenait de donner de la Résistance. L’image d’Épinal pour histoire officielle a longtemps prévalu, ignorant le hasard et la complexité des êtres et des circonstances. » L’objectif des auteurs, nourris du cinéma américain de l’âge d’or, était de montrer, comme chez Ford ou Mann, un groupe de personnages réunis par le hasard pour affronter un destin commun… Intéressante occasion de retrouver ou plus probablement de découvrir, dans un combo DVD Blu-ray, ce film beau et rare. (Extralucid Films)
PixotePIXOTE, LA LOI DU PLUS FAIBLE
Livrée à la misère, une bande de gamins erre dans les rues de São Paulo, multipliant les petits larcins. Jusqu’au jour où la police débarque pour effectuer une vaste rafle. Embarqués, Pixote et ses amis sont incarcérés dans un centre de redressement. Mais la première nuit s’avère encore plus cauchemardesque que la rue elle-même. La drogue, les bagarres, voire le meurtre de sang-froid font désormais partie de son quotidien. Le viol d’un des camarades d’infortune du gamin constitue le début d’une longue suite de brimades… En guise de prélude, entre fiction et documentaire, un journaliste (joué par Babenco lui-même) évoque la condition du mineur au Brésil. Environ 3 millions d’enfants n’auraient ni maison ni foyer, en plus de ne pas connaître leurs familles. Sur cet amer constat, le cinéaste tire l’essence dramatique de son film, l’enfance déshéritée, sans lendemain, sans rien, l’embrigadement au sein de gangs les utilisant à moindre coût et sans risques légaux. En 1981, Hector Babenco (1946-2016) est remarqué pour son troisième long-métrage, portrait réaliste et dramatique d’une jeunesse sans avenir trouvant refuge, sur fond de disette, dans la drogue, le sexe et la délinquance. Avec cette œuvre bouleversante mais dépourvue de voyeurisme ni concessions puritaines, le cinéaste brésilien signe le film le plus impressionnant et le plus maîtrisé sur le tiers-monde des enfants et des adolescents depuis Luis Bunuel et Los Olvidados. Une impressionnante descente dans les bas-fonds brésiliens si réaliste qu’elle semble documentaire avant que le film glisse vers un émouvant mélodrame porté par le jeune et remarquable acteur non professionnel Fernando Ramos da Silva dont l’existence marginale s’achèvera tragiquement puisque le jeune homme sera abattu, en 1987, par la police militaire dans des circonstances troubles. Disponible pour la première fois en Blu-ray et dans une restauration 4K, Pixote, littéralement « petit gosse », aura une influence majeure sur le bouleversant La Cité de Dieu (2002) de Fernando Meirelles et Katia Lund mais aussi sur de nombreux cinéastes comme Spike Lee, Harmony Korine ou les frères Safdie. (Carlotta)
Bout MondeJUSQU’AU BOUT DU MONDE
Dans l’Ouest américain des années 1860, l’aventure est partout. Le danger aussi. Jeune femme résolument indépendante, Vivienne Le Coudy fait la rencontre, sur le port de San Francisco, d’Holger Olsen, un immigré d’origine danoise. Elle choisit de quitter son Québec natal pour le suivre dans le Nevada et vivre avec lui. Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen, qui fut un soldat exemplaire, ne conçoit pas de ne pas s’engager au côté de l’Union pour défendre sa patrie. Restée seule dans sa petite maison, Vivienne cherche du travail. Elle en trouve au saloon de la ville voisine. Mais elle va devoir faire face à Schiller, le maire corrompu, à Jeffries, un important propriétaire terrien et surtout à Weston, gaillard brutal et imprévisible, qui la presse d’avances plus qu’insistantes. Quand Olsen rentre du front, il découvre un petit garçon au côté de Vivienne. Désormais, ils vont devoir réapprendre à se connaître pour s’accepter tels qu’ils sont devenus… Après l’émouvant Falling (2020), drame familial inspiré par la disparition de sa mère, Viggo Mortensen revient derrière la caméra avec ce western aux accents fortement contemplatifs dans lequel on retrouve les grands espaces, les cascades, les chemins poussiéreux, les chevaux fidèles, le saloon et son pianiste, la Cour martiale et sa justice expéditive, une pendaison, des injustices, du racisme envers les Mexicains malmenés… Mais le film est aussi un beau portrait de femme. Dans la mythologie westernienne, la femme occupe une place réduite. Souvent mère anxieuse, volontiers femme fatale ou entraîneuse de saloon. Ici, le comédien américano-danois, tout en adoptant les codes esthétiques du western classique, a réussi, avec le personnage de Vivienne, à dessiner une femme résolument indépendante et moderne qui refuse de se plier aux conventions sociales de son époque et connaîtra le pire dans un monde d’hommes traversé par la tension entre désir, vengeance et pardon. Découverte sur le plan international grâce à Phantom Thread (2017), Vicky Krieps est remarquable de sensibilité dans le rôle de Vivienne. Pour sa part, Mortensen incarne un Olsen taiseux et toujours à l’écoute de la femme qu’il aime… C’est lent, calme et doux (avec évidemment des éclairs de violence) et c’est aussi beau, romanesque et infiniment romantique. (Metropolitan)
 World ProjectWORLD CINEMA PROJECT
Créé par Martin Scorsese en 2007, le World Cinema Project a restauré plusieurs dizaines de chefs-d’œuvre du monde entier, permettant aux cinéphiles de découvrir des pans souvent méconnus de l’histoire du 7e art. Portant les visages et les paroles de sociétés dont les films sont trop rarement diffusés, de l’Asie centrale à l’Amérique du Sud en passant par l’Afrique, voici un coffret (six disques) qui regroupe huit classiques du patrimoine mondial qui sont autant de propositions libres, poétiques et résolument différentes, présentées pour la première en Blu-ray. Les révoltés d’Alvarado (Mexique, 1936) de Fred Zinnemann & Emilio Gómez Muriel évoque le drame de pêcheurs exploités. Prisonniers de la terre (Argentine, 1939) de Mario Soffici plonge dans l’Argentine de 1915 où les ouvriers agricoles saisonniers sont sous-payés. La loi de la frontière (Turquie, 1966) de Lütfi Ö. Akad suit les aventures d’un villageois qui tente de trouver, à ses risques et périls, des pâturages pour ses moutons. La femme au couteau (Côte d’Ivoire, 1969) de Timité Bassori raconte la parcours d’un jeune intellectuel ivoirien tiraillé entre ses idées modernistes et les traditions ancestrales de son pays. Huit coups mortels (Finlande, 1972) de Mikko Niskanen met en scène Pasi qui, dans une Finlande rurale, se bagarre pour donner une vie décente à sa famille. Comme il se précarise, il décide de se lancer dans la distillation clandestine… Muna Moto (Cameroun, 1975) de Jean-Pierre Dikongué-Pipa suit Ngando et Ndomé qui s’aiment et veulent se marier. Comme il n’arrive pas à réunir la dot, Ngando demande l’aide son oncle. Déjà flanqué de quatre épouses mais sans enfant, l’oncle décide d’épouser Ndomé pour qu’elle lui donne une descendance. Transes (Maroc, 1981) d’Ahmed El Maanouni est l’histoire de Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens formé dans les années 70 au cour d’un quartier pauvre de Casablanca. L’explosion musicale déclenchée par le groupe met les foules en transe. La flûte de roseau (Kazakhstan, 1989) d’Ermek Shinarbaev traite de la vengeance à travers l’histoire, en 1915, dans la campagne coréenne, d’un instituteur, pris de rage, qui assassine une élève, fille d’un vieux paysan qui lui avait refusé l’hospitalité… Dans les suppléments, on trouve des introductions de Martin Scorsese, Paul Strand et Les révoltés d’Alvarado, Transes, c’est toute une histoire… et un document (30 mn) sur La force de la poésie. (Carlotta)
Promesse VerteLA PROMESSE VERTE
Pour tenter de sauver son fils Martin injustement condamné à mort en Indonésie, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels. Avec son second long-métrage qui arrive après l’imposant succès de Au nom de la terre qui avait réuni, en 2019, près de deux millions de spectateurs dans les salles, le réalisateur-documentariste Edouard Bergeon reste, comme il le dit lui-même, « les pieds dans la terre ». Mais cette fois, il s’éloigne de la Mayenne où il avait tourné Au nom… pour ancrer son récit en Indonésie et se pencher sur le problème de l’huile de palme, « incroyable manne financière, dit-il, pour les industriels, aussi bien pour les pays producteurs que pour les importateurs. Le marché est tellement important que la plupart des dirigeants politiques ferment les yeux sur ses conséquences. L’huile de palme en Asie du Sud-Est représente en effet une grosse partie du PIB des pays producteurs et génère un grand nombre d’emplois. Et pour le consommateur qu’importe qu’à l’autre bout de la planète, on abatte des forêts primaires à la biodiversité inestimable, qui soit dit en passant ne repousseront jamais ! » Ici, les préoccupations du cinéaste -qui signe une fiction- sont bien présentes avec un combat de David contre Goliath, celui d’une femme et de son fils contre les gouvernements corrompus et les multinationales véreuses. Martin Landreau (Félix Moati) travaille sur une thèse sur la déforestation et fait un stage dans une ONG humanitaire. Muni de son appareil photo, il est témoin de heurts violents entre les habitants du village et une milice paramilitaire ayant pour rôle d’intimider les locaux. Comme Martin a pris une vidéo compromettante de pressions violentes envers les autochtones, l’étudiant est rapidement arrêté alors qu’il tentait de fuir à l’étranger. Accusé à tort de trafic de drogue, il se retrouve malgré lui au cœur d’un procès médiatique et politique qui dépasse largement son cas. Le cinéaste s’intéresse alors à Carole Landreau, prof d’anglais en lycée et mère de Martin (Alexandra Lamy, très engagée dans le projet) qui, confrontée à l’injustice, va se battre pour faire éclater la vérité et libérer son fils. Un thriller écologique qui dénonce en filigrane l’hypocrisie des biocarburants. (Diaphana)
ChallengersCHALLENGERS
Encore adolescents, Patrick Zweig et Art Donaldson étaient déjà des pointures de la petite balle jaune. Sur les courts, ils frappaient tous les deux comme des sourds et s’affrontaient au petit jeu de celui qui serait le meilleur. Sur le circuit, tous les deux vont tomber sous le charme de Tashi Duncan, la plus talentueuse joueuse de sa génération. Leur existence bascule lorsque les deux se retrouvent sur le même lit que la gracieuse Tashi. Les trois vont rapidement échanger des baisers passionnés et se laisser emporter par un puissant désir… A la suite d’une grave blessure au genou, Tashi Duncan renonce à la compétition pour devenir coach. Elle va se consacrer à la carrière d’Art, devenu son mari et le père de sa fille, le faisant passer de joueur moyen à champion de Grand Chelem. Pour le sortir d’une récente série de défaites, elle le fait participer à un tournoi « Challenger » où il se retrouve face à Patrick… Une abondance de souvenirs se réveille instantanément. Si l’on en croit Luca Guadagnino, la force de caractère d’un individu dégage une puissance magnétique et charismatique. Quand elle se manifeste dans la manière dont les gens se consacrent à leur passion, à leur art, à leur vocation, elle peut même se révéler aphrodisiaque ! Remarqué pour A Bigger Splash en 2015 et Call Me by Your Name en 2017, le cinéaste italien signe une aventure où le tennis se mêle au sexe et à l’amour. Manifestement, Guadagnino a décidé d’en mettre plein la vue au spectateur, du genre : Vous allez voir ce dont je suis capable ! Les matches de tennis sont donc l’occasion de contre-plongées et de balles frappées puissamment qui foncent quasiment dans l’oeil du public. Comme la narration (le récit se déroule entre le début des années 2000 et 2019) n’est pas linéaire, on saute d’avant en arrière et d’arrière en avant au point de perdre un peu la notion du temps tout en ne cessant de constater que les rapports entre les trois protagonistes ne sont pas simples. Art aime-t-il toujours sa femme ? Patrick n’a-t-il jamais cessé de désirer Tashi ? Et comment Tashi fait-elle pour continuer à jongler entre les deux amants de ses 18 ans ? Interprète de Riff dans le West Side Story (2021) de Steven Spielberg, l’Américain Mike Faist incarne Art Donaldson face à Patrick Zweig joué par le Britannique Josh O’Connor qui tint le rôle du prince héritier Charles d’Angleterre dans la série The Crown. Mais Challengers est fait sur mesure pour la coruscante Zendaya, la nouvelle coqueluche afro-américaine d’Hollywood. Sa Tashi est une femme ambitieuse, forte, féroce, intransigeante et animée par un puissant esprit de compétition… (Warner)
Homme FuiteUN HOMME EN FUITE
Dans les Ardennes, la fermeture prochaine de la principale usine de Rochebrune crée des tensions sociales. Les ouvriers sont soutenus dans leur grève par un marginal, Johnny Laforge, récemment sorti de sept années de prison pour avoir tiré sur son ancien patron. Pour les aider financièrement, Johnny se décide à braquer un fourgon bancaire. L’attaque à main armée se solde par la mort d’un des deux convoyeurs. Johnny et l’argent ont disparu. Ce fait divers médiatisé provoque le retour sur place de Paul Ligre, ami d’enfance de Johnny, devenu écrivain, qu’il n’a plus vu depuis quinze ans. Entre lui et Anna Werner, la gendarme chargée de l’enquête, également originaire de Rochebrune, une course pour être le premier à mettre la main sur Johnny s’engage. Dans le décor d’une ville du Nord en plein chaos, Baptiste Debraux réussit un thriller intense sur fond de tensions sociales et de lutte ouvrière. Haletant du début à la fin grâce à une intrigue finement construite et des flashbacks judicieux, ce film raconte une histoire d’amitié poignante, lourde de secrets entre un fils de la bourgeoisie locale et un garçon élevé dans un milieu très défavorisé. Polar à la mise en scène soignée, Un homme en fuite joue sur une ambiance visuelle glaciale, sublimée par l’excellente bande-son concoctée par Feu! Chatterton. Dans cette atmosphère à la fois pesante et mystérieuse, presque onirique lorsqu’il s’agit de souvenirs d’enfance, jusqu’au final explosif, on trouve de remarquables comédiens avec, en frères de sang, Bastien Bouillon (La guerre est déclarée, Seules les bêtes ou La nuit du 12) dans le rôle de Paul Ligre et Pierre Lottin, découvert dans Les Tuche mais qui impose de plus en plus souvent dans ses apparitions au cinéma une présence magnétique, voire inquiétante. A leurs côtés Léa Drucker incarne une enquêtrice en proie aux doutes et à l’introspection. Un bon polar social avec, en supplément, un entretien avec le réalisateur. (Blaq Out)
They Shot Piano PlayerTHEY SHOT THE PIANO PLAYER
Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, à la veille du coup d’État en Argentine, de Francisco Tenório Jr, pianiste brésilien virtuose (1941-1976), véritable génie de la bossa nova qui sera victime de l’opération Condor, campagne d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. On avait remarqué Javier Mariscal et Fernando Trueba en 2011 avec Chico et Rita, un dessin animé musical relatant les vies et l’histoire d’amour orageuse d’un pianiste et une chanteuse cubains, dans le milieu du jazz afro-cubain à La Havane et à New York au milieu du XXe siècle. Les deux artistes espagnols récidivent avec ce docudrame dessiné en forme d’« ode à la bossa nova » qui, tout en célébrant la musique, capture une période éphémère de liberté créatrice, à un tournant de l’histoire de l’Amérique Latine dans les années 60 et 70, juste avant que le continent ne tombe sous le joug des régimes totalitaires. Film d’un genre inédit, They shot the Piano Player se situe entre animation musicale et thriller documentaire politique. Cette enquête aussi captivante qu’un documentaire d’investigation plonge le spectateur au cœur d’un moment clé de l’histoire de la musique brésilienne, ainsi que dans les heures sombres de l’histoire sud-américaine, le tout conté par les plus grandes légendes du jazz et de la bossa nova. Grâce à son animation fluide, ses couleurs chaudes, sa musique sublime, et la voix de velours de Jeff Goldblum, le film recréé parfaitement l’effervescence artistique et musicale du Rio des années 1960 et 1970. L’enquête, basée sur des faits réels et de véritables interviews, est passionnante. Tout en dénonçant les travers des dictatures d’Amérique latine, le film permet de découvrir le destin tragique de Francisco Tenório Jr. Dans cette pépite de l’animation sur la véritable histoire de Tenorio, on croise Gilberto Gil, Caetano Veloso, Paulo Moura, Vinícius de Moraes, João Gilberto, Chico Buarque, João Donato, Edu Lobo, Roberto Menescal, Milton Nascimento, Bud Shank, Bebo Valdés, Eduardo Luis Duhalde, Jorge Gonzalez, Ferreira Gullar, Lupicínio Rodrigues, Toquinho ou Horacio Verbitsky. Une belle affiche ! (Blaq Out)
Petites MainsPETITES MAINS
Eva s’apprête à entrer dans le grand bain des palaces, celui qui ne laisse rien au hasard. Tout doit être parfait, de la chambre au grenier. Eva, que rien n’avait préparé à l’exigence d’un grand hôtel, va intégrer une équipe de femmes de chambres. Elle découvre que le bataillon compte de sacrées personnalités, parmi elles, Safietou, Djaoua, Violette et Simone. Entre rires et coups durs, la jeune femme se glisse dans une équipe soudée et solidaire face à l’adversité, une sororité attachante et des femmes qui répondent présents dans les moments de joies comme dans les moments difficiles. Lorsqu’un mouvement social bouscule la vie du palace, chacune de ces « petites mains » se retrouve face à ses choix. Après Placés (2022) qui se déroulait dans le monde de l’aide sociale à l’enfance, Nessim Chikhaoui signe, ici, son deuxième long-métrage dans lequel l’ancien éducateur poursuit dans le genre de la comédie sociale, en abordant la sous-traitance de la profession des femmes de chambres, un fléau répandu en Espagne, mais aussi en France mais également la réalité de l’invisibilisation des personnes faisant des métiers ingrats. « Socialement, dit le cinéaste, je trouvais important qu’une chambre puisse coûter dix fois le prix du salaire mensuel de ces femmes. Et cinématographiquement, le décalage entre la vie de ces employées et le faste d’un palace offrait des contrastes fascinants ». En suivant Eva (interprétée par Lucie Charles-Alfred) petite nouvelle que Simone, femme de chambre usée par les années de travail (Corinne Masiero), le cinéaste s’attache a montrer la sororité et aussi l’entraide qui règnent entre ces femmes, toutes très fortes, et cela malgré les univers d’où elles viennent. Un film généreux. (Le Pacte)
HeroicoHEROICO
Au Mexique, Luis, 18 ans, s’enrôle comme cadet d’infanterie au Heroic Military College. Il espère atteindre le grade d’officier dont la paye pourra ainsi subvenir aux besoins de sa famille. L’école militaire, dissimulée dans les montagnes, est construite à partir d’énormes dalles de pierre et est entourée de statues érigées pour honorer les dieux aztèques. Un code de conduite très strict règne dans les lieux. Le programme combine l’entraînement militaire quotidien avec des rituels d’abus et d’humiliation. Lorsque Luis (le débutant Santiago Sandoval) attire l’attention du sadique sergent Sierra, il connaîtra de nouvelles leçons sur la cruauté et les crimes parascolaires. La sortie d’Heroico, deuxième long-métrage de David Zonana, a suscité une vive controverse au Mexique. De fait, le cinéaste mexicain n’y va pas avec le dos de la cuillère en montrant la manière dont sont traitées et formées les recrues de l’académie militaire du pays. On suit ainsi la descente désabusée dans la folie d’un jeune homme aux origines indigènes, aussi idéaliste que décidé à subvenir aux besoins de sa mère malade. Et prêt donc à encaisser le pire tout en laissant, dans des séquences fantastique, s’envoler son imaginaire. Inspiré par le Full Metal Jacket de Kubrick mais aussi par des faits réels, Zonana signe un film sec dans sa mise en scène et donne un récit qui n’épargne rien au spectateur des violences et des humiliations multiples subies par le jeune soldat. Une représentation, certes largement pamphlétaire, d’une armée gangrenée par la violence. (Blaq Out)
IntrusLES INTRUS
En chemin pour commencer une nouvelle vie dans le nord-ouest du Pacifique, Maya et son petit ami Ryan tombent en panne avec leur voiture du côté de la petite ville de Venus au coeur des forêts de l’Oregon. Contraint de passer la nuit dans un Airbnb isolé, le couple tombe sous la coupe de trois inconnus masqués qui les séquestrent du crépuscule à l’aube. La série The Strangers a débuté en 2008 avec le film du même titre avec Liv Tyler dans le principal rôle féminin avant de se poursuivre, dix ans plus tard, avec Les inconnus : proies nocturnes. Cette fois, sous la houlette de l’expérimenté Renny Harlin, connu pour Le cauchemar de Freddy, 58 minutes pour vivre ou Cliffhanger, on retourne dans une nuit d’horreur et ceux qui ont vu les deux premiers films, retrouveront les ingrédients de la série même si le réalisateur fait des méchants des psychopathes moins fantomatiques et plus présents à l’image face à un petit couple venus de la côte Est (Madelaine Petsch et Froy Guttierez) particulièrement étonnés de se retrouver dans un pays de gros rustauds. Mais ils vont avoir à frémir rudement. (Metropolitan)

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