Nicole, 52 ans et une vie de galères
Sur ce coin de banlieue parisienne, il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors. Nicole Bossi, elle, se bagarre avec un parapluie récalcitrant qui finira dans le caniveau. Pendant ce temps, au téléphone, Nicole raconte des vannes à une Sandrine, une ancienne collègue qu’elle devait rejoindre pour une fête au bureau. Mais, prétend-elle, le RER n’arrive pas à la gare et elle ne pourra donc venir…
Mais Nicole a un rendez-vous bien plus important. Complètement dans la lune, elle commence à se dévêtir dans l’agence… bancaire où on l’attend pour lui retirer son chéquier et sa carte bleue. « Je croyais que j’étais chez le médecin ! » « Si vous étiez chez le médecin, grince l’employé de banque, vous seriez en phase terminale ! » De fait, Nicole a 40 000 euros de dettes. Elle a épuisé les Cofidis et consorts… Ses suppliques, ni ses pauvres mensonges sur un nouveau travail, n’y changeront rien. « Ce n’est pas de gaieté de coeur » ose le loufiat financier.
Probablement comme beaucoup de personnes surendettées, cette femme de 52 ans affirme : « Je n’ai jamais fait de folie. Des écarts, oui peut-être. » Dans cet immense centre commercial où elle erre, quasiment hébétée, Nicole est sur le point de mettre un jeu vidéo dans son sac. Mais sa conscience et la vue des vigiles l’en empêchent. Pourtant, nous sommes à la veille de Noël et Nicole voudrait tant faire plaisir à Serge, son grand fils. Las, lorsqu’elle rentre chez elle, dans un appartement d’un cinquième étage d’une barre d’immeuble sans grâce, l’adolescent est avec sa copine Samira. Il n’a aucune envie de voir sa mère lui gâcher sa soirée. Il la verrait même bien aller faire un tour dehors. « Tu as une chambre, Serge ! » répond Nicole qui constate : « Quoi que je fasse, je fais tout mal ».
Auteur, en 2017, de Compte tes blessures, un premier film (nommé au prix Delluc du meilleur premier film et sélectionné dans une cinquantaine de festivals internationaux) qui s’intéressait à une trouble et douloureuse relation père-fils, Morgan Simon propose, ici, un portrait de femme et de mère dans lequel il a mis une part importante d’autobiographie : « En grandissant, on regarde ses parents différemment. J’ai pris conscience du parcours de ma mère et j’ai voulu questionner ce qu’elle a vécu. Cela avait un sens intime bien sûr et c’était aussi un angle qui me semblait pertinent pour questionner plus largement notre société. Je crois que mon but ultime c’était aussi de rendre ma mère immortelle… »
Entre Noël et Nouvel an, dans le quotidien d’une existence tristement banale, le cinéaste de 37 ans, observe, quasiment sans jamais la lâcher, une mère fantasque, parfois borderline mais constamment soucieuse du bien-être de son fils chéri. Une mère qui aimerait tant pouvoir partager un peu avec cet adolescent. Comme ils regardent, à la télé, une émission sur une jeune mariée qui a connu une nuit de noces ratée, Nicole demande : « Toi, comment tu te situes par rapport à ça ? ». Serge grogne. Nicole : « Tu ne me racontes jamais rien. Peut-être, dans un an, tu feras une phrase… »
Nicole a beau enfiler une robe pailletée, la soirée de Noël prendra un tour violent lorsque la mère offre au fils un cadeau très inattendu. « Tout est mort en toi ! J’ai envie de vomir » hurle Serge qui claque la porte d’un appartement étriqué, rempli de plantes vertes en plastique et traversé par une souris qui affole les locataires.
Une fois de plus larguée et paumée, Nicole trouvera la force de traverser la rue. Pour boire un café offert par Norah, la patronne de la bien nommée Oasis du Pacha. C’est, dans ce bar à chicha que commencera, peut-être la reconstruction sensible de Nicole.
Estimant qu’à 50 ans, on peut se réinventer, se réapproprier sa vie, se redécouvrir, appréhender autrement la personne qu’on est et qu’on s’autorise à être, Morgan Simon constate : « Dans ce processus, j’ai vraiment compris le côté iconoclaste de ma mère, sa modernité, qui pouvait en faire un personnage de cinéma, en plus de lui rendre hommage. Dans ce qu’elle et moi avons traversé, c’est-à-dire un déclassement social, des problèmes d’argent et de surendettement, il y avait tant à dire, tout en étant baigné d’un cocon d’amour infini de sa part. »
Car Une vie rêvée n’a rien à voir avec Cosette et Les misérables ! Si l’univers dans lequel évoluent Nicole et Serge avec, par exemple, ses dealers de couloir, qui barrent le passage pour leurs trafics, est quand même bien glauque, l’existence du fils et de la mère demeure traversée par une force vitale remarquable. L’adolescent avance vers une carrière de biologiste. Nicole dit : « Je suis nulle. J’ai rien, j’ai que des merdes. C’est mon destin. Je ne mérite que ça ! » Mais elle va trouver auprès de Norah une écoute forte. A l’oasis, elles dansent sur du Muddy Monk avant de se rapprocher sensuellement et de démarrer une belle liaison. « De quoi, t’as peur ? » demande Norah. « D’être heureuse » avoue Nicole.
Une vie rêvée séduit par son approche sensible d’une vie de galères, par l’introduction de moments fantastiques ou fantaisistes mais aussi politiques. Ainsi, dans le bar à chicha, Nicole discute avec Amine et Yacouba, deux jeunes du quartier qu’elle a toujours vu comme des fantômes. Ces deux-là lui demandent : « Toi, tu votes Le Pen ? » Nicole concède : « Une fois pour voir. Mais j’ai trop honte » tout en se livrant : « J’avais une petite maison avec jardin. Je l’ai perdue sous la gauche. Je veux savoir qui me défend… »
Pour porter cette histoire, le cinéaste, parfois comparé à un nouveau Pialat, a trouvé trois brillants interprètes. Felix Lefebvre, vu dans Eté 85 d’Ozon, campe un Serge fragile et explosif. Lubna Azabal (Exils, Incendies, Rock the Casbah, Tueurs, Le bleu du caftan) est l’énergique Norah, éprise d’un « petit désastre ambulant ». Enfin Valeria Bruni Tedeschi, que Morgan Simon filme souvent en gros plan et dans un lâcher-prise absolu, est remarquable dans la détresse, l’émotion, l’humour, la fantaisie, la dignité. Le dernier plan du film laisse à penser que tout n’est pas perdu. Nicole s’en sortira. Peut-être.
Hommage dû au hasard des sorties, on entend dans Une vie rêvée, Dalida et Alain Delon chanter Paroles, paroles.
Mon seul tourment et mon unique espérance
(Rien ne t’arrête comme tu commences
Si tu savais comme j’ai envie d’un peu de silence)
Tu es pour moi la seule musique
qui fait danser les étoiles sur les dunes
(Caramels, bonbons et chocolats)
Si tu n’existais pas déjà… je t’inventerais
(Merci pas pour moi, mais
Tu peux bien les offrir à une autre
qui aime les étoiles sur les dunes
Moi les mots tendres enrobés de douceur
Se posent sur ma bouche mais jamais sur mon coeur)
Encore un mot juste une parole…
UNE VIE REVEE Comédie dramatique (France – 1h 37) de Morgan Simon avec Valeria Bruni Tedeschi, Félix Lefebvre, Lubna Azabal, Dylan Benha-Guedj, Gédéon Ekay, François de Brauer, Antonia Buresi, Tya Deslauriers. Dans les salles le 4 septembre.