LES PARAMEDICS, LE COMMISSAIRE-PRISEUR ET TOMÉ, LA REBELLE

Black FliesBLACK FLIES
Dans la nuit, l’ambulance du FDNY fait virevolter du rouge et du blanc sur les murs de New York. Rut et Cross sont en route pour une intervention. La radio de bord a grésillé : « Blessures par balles »… Pour les paramedics, une nuit comme les autres. Ollie Cross est un rookie dans le metier. Ce débutant, qui vit en colocation à Chinatown, travaille comme ambulancier en attendant de pouvoir repasser ses examens de médecine… A ses côtés, il peut compter sur Gene Rutkovsky, le vétéran qui machouille éternellement un cure-dents. Rut est constamment amer et mal embouché mais il ne laisse pas Cross dans la panade quand il est sur le point de perdre un patient… Né à Paris en 1968, le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire vit à New York depuis 2009. Fasciné depuis toujours par Big Apple, le cinéaste signe, pour son troisième long-métrage de fiction, une adaptation du roman 911 (publié en 2008) de Shannon Burke, lui-même ambulancier dans le Harlem de l’épidémie de crack des années 1990. Pour le cinéaste français, relater l’enfer quotidien de deux ambulanciers new-yorkais était une aubaine pour explorer New York, parcourir ses artères, y capturer le monde et la réalité de l’époque, en situant l’action dans l’après-pandémie, une période durant laquelle les ambulanciers ont joué un rôle primordial. Avec le quotidien très chaotique de Ruth et Cross, New York est comme une ligne de front. De fait, les urgentistes du Fire Department sont au contact permanent de la misère sociale. Se côtoient aussi bien l’alcoolisme, la drogue, la guerre des gangs, les violences conjugales qu’un accouchement qui finira mal et entraînera les deux ambulanciers dans un funeste vertige. Tye Sheridan, découvert chez Malick dans The Tree of Life (2011) ou chez Spielberg dans Ready Player One (2018), incarne, avec un air buté, le jeune Ollie Cross, bouleversé voire torturé jusque dans son intimité amoureuse, par toute la détresse humaine. Cross devra s’interroger sur des choix cruciaux. Est-il bien nécessaire, se demande l’un de ses coéquipiers (Michael Pitts), de secourir des malheureux qui vous couvrent d’insultes et n’ont aucune volonté de trouver leur place dans la société ? Quant à Gene Rutkovsky, il est bien au-delà de ces questions. Traumatisé par ce qu’il a vécu en première ligne dans les attentats du 11 septembre, Rut a déjà rendu les armes. Sean Penn, le masque buriné et la démarche hésitante, est remarquable en type face à la désolation. (Metropolitan)
Tableau VoléLE TABLEAU VOLÉ
Dans une riche demeure, un commissaire priseur est aux prises avec une rombière raciste… Une première séquence sans lien avec le coeur du film sinon qu’elle installe, de manière plutôt humoristique, le spectateur dans le quotidien du marché de l’art. Malgré son relatif jeune âge, André Masson est une pointure qui gravite avec aisance dans cet univers feutré, très bcbg mais où tous les coups sont permis, surtout quand il en va de millions d’euros. Un jour, Masson reçoit un appel d’une avocate qui l’informe qu’une toile d’Egon Schiele aurait été découverte à Mulhouse chez Keller, un jeune ouvrier. Experte genevoise et ex de Masson, Bertina tranche: « A 99 %, c’est un faux ». Sceptique, Masson rejoint Mulhouse avec Bertina. Sur place, Me Egerman prévient : « Ce sont des gens simples. Ils sont très inquiets… » Devant le grand Schiele aux tournesols (peint en 1914 d’après Van Gogh) les deux pros se rendent à l’évidence. Combien ? « 12… millions » estime Masson. La maman de Keller s’évanouit. Au départ du scénario de Pascal Bonitzer, il y a une histoire vraie, en l’occurrence la découverte, au début des années 2000, d’un tableau de Schiele dans le pavillon d’un jeune ouvrier chimiste de la banlieue de Mulhouse par un spécialiste d’art moderne d’une grande maison de vente internationale. Mais ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est de plonger dans les arcanes du marché de l’art. Masson s’impose comme le fil conducteur d’un récit allègre sur le côté cynique du monde de l’argent. S’il apprécie la beauté du Schiele, ce qui intéresse Masson, c’est sa valeur monétaire et marchande. Bonitzer donne le bon rythme à cette mini-saga de l’art et de l’argent et il s’amuse à dessiner d’intéressants personnages avec Masson (Alex Lutz) brutal, froid et fragile, Léa Drucker (Bertina), Nora Hamzawi (Me Egerman) ou Aurore, la fantasque stagiaire de Masson incarnée par Louise Chevillotte… Pour le reste, on ignore actuellement, dans quelle collection se trouve le Schiele… (Pyramide)
Confidentiel Marché FillesCONFIDENTIEL MARCHE SEXUEL DES FILLES
Prostituée de dix-neuf ans au caractère bien trempé, Tomé vend ses charmes à Naniwa, l’un des quartiers pauvres d’Osaka. Dans un petit appartement étriqué où la promiscuité est totale, elle vit avec sa mère, qui exerce la même profession qu’elle et qui devient donc une rivale sur le marché des amours tarifés. Tomé chérit Sanéo, son frère handicapé mental, seul être qui compte réellement à ses yeux et auquel elle tente de donner du plaisir. Afin de ne dépendre de personne, Tomé décide de travailler à son compte. Elle va devoir faire face aux menaces des souteneurs et de la concurrence… Comme son titre français en atteste, le film réalisé en 1974 par le Japonais Noboru Tanaka s’inscrit dans le pinku eiga, le cinéma rose qui connut son heure de gloire dans le Japon des années 60 et 70. Après des études de littérature française, Tanaka travaille à la société de production Nikkatsu comme assistant réalisateur, notamment, de Shohei Imamura. Lorsque la Nikkatsu se reconvertit dans le pinku eiga, souvent défini comme « roman porno », Tanaka (1937-2006) va pouvoir passer à la réalisation, devenant l’une des grandes figures de ce cinéma et lui donnant surtout ses lettres de noblesse avec des œuvres subversives comme Nuits félines à Shinjuku ou La maison des perversités. Tanaka va aussi s’affranchir, avec un sens certain de l’écriture cinématographique, des contraintes du pinku eiga (le cahier des charges de tous les films imposait une séquence érotique toutes les dix minutes) pour signer une œuvre surprenante dans ses passages du noir et blanc à la couleur et qui fait, tout à la fois, songer, par son naturalisme, au néo-réalisme italien et, par ses mouvements de caméra parfois hallucinés, à la Nouvelle vague française, façon Godard. Le cinéaste ne rechigne pas devant les séquences sexuelles mais son intérêt va, à travers la rebelle Tomé (Meika Seri, remarquable), à un personnage habité par une puissante énergie de survie, qui rêve de fuir son univers sinistre mais qui renoncera à suivre le seul homme qui l’aime peut-être, pour rester fidèle à sa ville et à son territoire. Au-delà du « roman porno », voici une puissante et amère charge sociale ! Dans les suppléments de ce Blu-ray présenté en v.o. sous-titrée en français et dans une nouvelle restauration 4K, on trouve Pan-Pan Girl (21 mn), un entretien inédit avec Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma asiatique. « Tomé revêt une forme de féminisme terroriste, explique l’essayiste. Elle nous dit : « Attention, ces femmes, vous pouvez les considérer comme des objets sexuels, mais elles sont prêtes à vous exploser à la figure ! » (Carlotta)
Mal Existe PasHamaguchiLE MAL N’EXISTE PAS
Dans le village de Mizubiki, à proximité de Tokyo, Takumi et sa fille Hana vivent paisiblement comme leurs aînés avant eux. Dans cette petite bourgade nichée dans une vaste forêt, ils profitent d’une vie en harmonie avec leur environnement au sein d’une communauté soudée, besogneuse mais heureuse, dont les heures sont rythmées par le respect des cycles de la nature. Mais le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément l’existence quasi idyllique de Takumi et des villageois… Auteur très applaudi de Drive My Car (prix du scénario à Cannes et Oscar du meilleur film international à Hollywood), Ryūsuke Hamaguchi déroute et fascine, ici, avec une œuvre mystérieuse autant qu’envoûtante. A la manière d’un exercice de style musical qui mêle subtilement violon et piano dans une musique d’Eiko Ishibashi, le cinéaste japonais donne une reflexion splendide et troublante sur l’équilibre délicat entre les hommes et la nature. Hamaguchi s’intéresse, ici, au glamping (mot né de l’association de glamour et camping), une nouvelle tendance du tourisme de plein air qui se pique d’allier luxe et nature, confort et respect de l’environnement, en jouant la carte de l’atypique et en proposant des hébergements « hors des sentiers battus », aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Porté par un couple de Tokyoïtes, le projet de glamping menace de polluer les sources du village. Ce qui préoccupe le cinéaste, c’est évidemment de signer un beau poème à la nature, une ode à la vie sauvage. Une existence au plus proche de la nature que vit Hana entre la contemplation d’un mélèze du Japon griffé par les morsures d’un cerf, celle d’une immensité blanche dans un ciel d’hiver traversé par le vol d’un oiseau de proie ou la vision d’un cerf à l’arrêt observant les alentours, narines en alerte. Grand prix du jury à la Mostra Venise 2023, Le mal n’existe pas multiplie les changements de ton, voire même les points de vue puisque la caméra va suivre le couple de citadins qui, en venant à Mizibuki, a été saisi par la beauté d’un petit coin de paradis. Une superbe fable écologique, poétique et politique. Par ailleurs, on retrouve, dans un coffret de trois films, outre Le mal n’existe pas, deux films précédents de Ryūsuke Hamaguchi, en l’occurrence Drive my car (2021) et Contes du hasard et autres fantaisies (2021). Dans le bonus du coffret, deux entretiens avec le cinéaste et une analyse sur Contes du Hasard et autres fantaisies par Clément Rauger. (Diaphana)
Max Mon AmourMAX MON AMOUR
Diplomate anglais en poste à Paris, Peter Jones soupçonne sa femme Margaret d’avoir des rendez-vous secrets et peut-être d’entretenir une liaison extra-conjugale. N’y tenant plus, le distingué British engage un détective privé. Il lui apprend qu’elle loue un appartement mais qu’il n’a jamais vu l’amant supposé qui s’y cache. Après avoir réussi à s’en procurer la clé, Peter Jones découvre que l’amant de sa femme est un chimpanzé dénommé Max. En 1976, Nagisa Oshima (1932-2013) défraye la chronique en racontant, dans L’empire des sens, la passion torride et mortifère qui unit, dans le Japon des années trente, Sada Abe, ancienne prostituée devenue domestique et son patron Kichizo… Cette escalade érotique sans bornes fit scandale et provoqua des débats d’anthologie sur érotisme et pornographie. Dix ans plus tard, le cinéaste, avec son avant-dernier film, renoue avec un sujet propre à faire scandale puisque son scénario, co-écrit avec Jean-Claude Carrière, traite de désir et de zoophilie. Cette fois, c’est dans la bonne bourgeoisie qu’Oshima installe son récit. Et il va s’ingénier à faire sauter les codes de la normalité et les apparences en confrontant le diplomate et son épouse à la question des pulsions et de la bestialité tout en jouant sur les tabous. Avec son petit côté bunuélien, façon Charme discret de la bourgeoisie (Charlotte Rampling, dans le rôle de Margaret, est parfaite en bourgeoise prise de vertiges sensuels), cette histoire prend ainsi une allure de farce surréaliste à l’humour froid. A ce jeu, c’est plutôt Max, placide chimpanzé, qui a le… beau rôle, plutôt que le malheureux Peter réduit à regarder par le trou de la serrure. Et lorsque le mari enjoint à l’épouse de ramener à la maison l’amant velu, la famille, comme le personnel (Victoria Abril en bonne), n’a pas fini d’en voir. Le film sort dans une belle édition Blu-ray. (Studiocanal)
Little BuddhaLITTLE BUDDHA
Jesse Conrad, neuf ans, vit à Seattle, dans l’État de Washington, avec ses parents, Dean (Chris Isaak), ingénieur et Lisa (Bridget Jones), enseignante. Un jour, la famille reçoit la visite surprise d’une délégation de moines bouddhistes venus du Bhoutan, au cœur de l’Himalaya sous la conduite du lama Norbu et de son adjoint Champa. Ils sont persuadés que Jesse pourrait être la réincarnation d’un de leurs plus éminents chefs spirituels, mort 9 ans plus tôt, et souhaitent convier l’enfant au monastère pour lui faire passer une série de tests… Les lointains visiteurs offrent alors à Jesse (Alex Wiesendanger) un livre narrant la vie de Siddhartha et attendent sa visite dans l’Himalaya. Réalisé en 1993 par Bernardo Bertolucci, entre Un thé au Sahara et Beauté volée, Little Buddha est composé de deux histoires : d’un côté l’histoire de Jesse, le jeune Américain supposé être la réincarnation d’un grand lama, et de l’autre, l’histoire du prince Siddhartha (Kena Reeves) qui deviendra le futur Bouddha. Dans une production de Martin Bouygues, le cinéaste italien (1941-2018) devenu mondialement célèbre à cause du scandale du Dernier tango à Paris (1972), propose, à la fois une très belle quête spirituelle et une grandiose épopée. Sorti dans une édition 4K Ultra Haute Définition (et enrichie de 80 minutes de bonus inédits) dont la restauration a été supervisée par Vittorio Storaro, le directeur de la photographie habituel de Bertolucci, le film est une aventure initiatique captivante, qui retrace la vie de Siddhartha Gautama jusqu’à l’Éveil et son accession au statut de Bouddha. D’une grande poésie, le film délivre tout en délicatesse le message de paix du bouddhisme, et permet de plonger au cœur d’une culture et d’un mode de vie exemplaires. Brillamment réalisée et superbement photographiée, cette odyssée spectaculaire embarque le spectateur à l’autre bout du monde dans des décors somptueux. Et, dans le même mouvement, elle invite à un périple mystique aux confins de la vie, de la mort et de la réincarnation. (Rimini Editions)
Ricardo PeintureRICARDO ET LA PEINTURE
« C’est une sacrée gageure de vouloir faire un film sur la peinture ! » Mais, à travers la profonde amitié qui le lit au peintre Ricardo Cavallo, Barbet Schroeder l’a fait. Et bien fait. Voici donc, par le réalisateur de More (1969), Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974), Barfly (1987) ou Le mystère Von Bülow (1990), un portrait d’un artiste né à Buenos Aires en 1954 et installé aujourd’hui dans le Finistère. En passant aussi par Paris et le Pérou, le film est une invitation à plonger dans l’histoire de la peinture mais aussi à découvrir la vie de Cavallo qui, avec simplicité et humilité, s’est toujours engagé entièrement, jusqu’à transmettre sa passion aux enfants de son village breton de Saint-Jean-du-Doigt. Fruit d’une amitié qui dure depuis 40 ans, ce documentaire hautement chaleureux raconte un homme et son œuvre. D’une grande érudition, d’une simplicité sophistiquée et d’une accessibilité sans réserve, le peintre se dévoile devant l’équipe (à laquelle il arrive, sans que cela gêne, de traverser le champ) et les caméras. On voit Ricardo Cavallo à l’oeuvre. En tenue de pêcheur, chevalet et matériel sanglés sur le dos, il escalade des roches et traverse allègrement une crique, de l’eau jusqu’aux genoux. Tout cela pour obtenir le meilleur point de vue depuis les incroyables pierres colorées à l’entrée de la grotte de Saint-Jean-du-Doigt. Pour Cavallo, peindre est « une question de vie ou de mort ». Parce qu’il faut se battre pour saisir la beauté qui échappe. On le voit aussi, avec ses jeunes élèves, dans l’école gratuite qu’il a ouvert en Bretagne et qu’il veut accessible à tous. Ricardo Cavallo dit encore que, d’un côté, il faut suivre les maîtres et, de l’autre, peindre comme si personne ne l’avait fait. Une belle rencontre entre deux amis: un cinéaste attentif et admiratif, un peintre enthousiaste, généreux et humaniste. (Carlotta)
Purple RainPURPLE RAIN
Auteur, compositeur, interprète, multi-instrumentiste, producteur, danseur et comédien, Prince (1958-2016), de son vrai nom Prince Rogers Nelson a exploré durant sa carrière de multiples styles musicaux, de la pop au funk en passant par le rock ou le RnB. Pendant les enregistrements de 1999, son cinquième album studio, Prince est souvent vu en train de prendre des notes dans un carnet violet. Son idée est de développer un film qui raconterait sa propre histoire. Si Warner Bros rejette d’abord le projet, il aboutira en 1984. Purple Rain rapporte, à sa sortie en salles, 71 millions de dollars. Quant à sa bande-son, elle s’écoule avec les années à vingt millions de copies (dont treize millions pour les seuls États-Unis). L’Oscar de la meilleure chanson de film récompensera le morceau-titre. À Minneapolis, le club First Avenue est un tremplin vers la gloire pour de nombreux groupes. Le Kid est un brillant musicien, mais son caractère introverti et ses problèmes familiaux lui créent du tort. Le Kid doit aussi faire face à la concurrence du groupe The Time, mené par Morris Day, ainsi qu’à des tensions à l’intérieur de son propre groupe. Débarque alors la belle Apollonia que Morris engage pour constituer un groupe de filles, dont l’objectif est de renverser le Kid de la scène du First Avenue… Au début des années 80, dans la vogue du clip vidéo, Prince, au sommet de sa popularité, profite de ce moment privilégié pour sortir Purple Rain (présenté en Blu-ray dans une version K Ultra-HD), réalisé par Albert Magnoli, qui raconte la success story d’un artiste maudit. Plein de candeur, Prince incarne le Kid, jeune précieux de Minneapolis, lâché dans la grande jungle rock. Si le scénario n’est pas bien lourd, la musique remarquable de Prince emporte le morceau. Bien des années après la première apparition cinématographique de la pop-star, on écoute toujours avec bonheur et nostalgie les titres d’un chanteur alors au sommet de son inspiration artistique. (Warner)
Pour Ton MariagePOUR TON MARIAGE
« En épousant la fille d’Enrico Macias, je ne me doutais pas que trente ans plus tard je lui en voudrais encore d’avoir transformé nos noces en show démesuré. En revoyant le film du mariage, je réalise que c’est vraiment là que j’ai commencé à « fonder une famille » (…) Sur la tombe de mon psy, je tente une sorte d’inventaire. Que nous ont légué nos pères et nos mères. Et moi, que vais-je laisser à mes enfants ? » C’est ce que remarque Oury Milshtein qui, après 40 ans de carrière dans le cinéma (essentiellement dans la production), passe, pour la première fois, derrière la caméra et réalise un long-métrage à la fois personnel et introspectif. L’occasion de mesurer combien la vie de cet artiste fut tumultueuse et parfois semée d’embûches. Un premier mariage qui détonne entre un ashkénaze et une séfarade (la fille d’Enrico Macias) qui donnera lieu à deux fils, une séparation, une seconde femme avec qui il aura trois filles (dont l’aînée décèdera à l’âge de 14 ans), une autre séparation et enfin, une troisième femme. Au coeur de cette existence mouvementée, le producteur de Sans toit, ni loi de Varda, Esther Kahn de Desplechin, La disparue de Deauville de Sophie Marceau ou Guy d’Alex Lutz aura fréquenté, un quart de siècle, un psychanalyste. A la mort de ce dernier, Milshtein continuera à aller le voir pour lui parler… sur sa tombe! Avec ce documentaire intimiste, fascinant et barré qui repose sur des archives familiales, le cinéaste, pour libérer la parole des uns et des autres, sonde ses proches, ses anciennes compagnes, ses enfants et évoque sa relation compliquée avec sa mère mais aussi sa judéité et bien évidemment son héritage. (Blaq Out)
Blue CompagnieBLUE ET COMPAGNIE
Depuis qu’elle est née, Béa est une fille très imaginative comme ses parents et sa grand-mère, à qui ils rendent visite régulièrement pendant les vacances. Lorsque sa mère disparaît, la fillette de 12 ans emménage avec sa grand-mère à New York et cesse d’avoir de l’imagination, car elle s’inquiète pour son père qui va passer une opération du cœur alors que celui-ci ne peut pas s’empêcher de jouer les comiques devant elle. Après le succès de la série Sans un bruit, l’acteur et réalisateur John Krasinski a fait son retour derrière la caméra pour une comédie magique et résolument familiale conçue comme une véritable célébration, très dans l’esprit Pixar, de l’imagination enfantine. Autour de l’idée de retrouver les amis imaginaires (les AI) de son enfance, le cinéaste a imaginé une aventure chargée de réveiller le gamin qui dort en chacun de nous et, bien entendu, d’entraîner les enfants dans un univers de pure fantaisie. La facture ressemble un peu à celle de Toy Story ou de Monstres et Cie et surtout l’histoire a un charme frais et désarmant. Autour de Cailey Fleming (déjà vu dans la série The Walking Dead) et Ryan Reynolds en voisin loufique, le film développe, après un démarrage un peu lent, de belles scènes pleines d’émotion et de tendresse sur l’enfance, l’âge adulte et le temps qui passe. Enfin, Blue et Compagnie aligne une kyrielle de créatures hilarantes, envahissantes et savoureuses, qui sont un bonheur de l’oeil. Une jolie réussite. (Paramount)
Late Night DevilLATE NIGHT WITH THE DEVIL
Autrefois étoile montante du petit écran, Jack Delroy, fragilisé par le décès de son épouse, est confronté à la chute vertigineuse de l’audience de son émission de divertissement. Déterminé à retrouver sa gloire perdue et a marqué les esprits en dépassant la concurrence, il planifie un show en direct « spécial Halloween » en invitant sur son plateau une jeune fille supposément possédée par le démon. Mais, durant cette nuit fatidique, l’animateur réalisera que le prix du succès peut être bien plus effrayant que ce qu’il avait imaginé. Réalisé en 2023 par Cameron et Colin Cairnes, cette plongée horrifique dans l’univers des talk-shows américains des années 70, joue à fond sur l’aspect « documentaire » avec notamment l’utilisation d’images en noir et blanc, façon archives et petit côté found footage, pour mieux troubler le spectateur. Lors de son premier visionnage, le grand Stephen King avait affirmé qu’il était « impossible de détourner le regard ». Quant au cinéaste Kevin Smith, il a carrément vu dans le film un extraordinaire croisement entre Rosemary’s Baby et Network. Excusez du peu. Late Night… ou comment la folle quête d’audimat peut conduire au plus sombre cauchemar. Autour du présentateur Jack Delroy (David Dastmalchian, vu dans Blade Runner 2049, Prisoners, Dune ou Oppenheimer), l’univers de la télévision est propice à ce côté exposition en plateau et avanies en coulisses. Les Cairnes, en tout cas, s’y entendent pour trousser une comédie bien horrifique qui tire toutes les ficelles du genre. Des ficelles qu’on voit parfois un peu mais qui n’enlèvent rien au plaisir de passer une bonne soirée de cinéma devant son petit écran. Qui, décidément, est une bien étrange lucarne. (Wild Side)

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