Aymeric et Jim, un père et son fils
C’est l’histoire d’Aymeric, un jeune type qui vit tranquillement dans son coin perdu de province, du côté du Haut-Jura. Une existence sans heurts même si, entraînés par des copains un peu voyous, il s’est laissé embarquer dans le cambriolage d’une villa qui lui valut une paire de mois derrière les barreaux… Mais ce bon fils, toujours proches de ses parents, s’est remis dans les rails, enchaînant de modestes boulots en intérim.
« Ce soir-là, ce n’est pas tout à fait une inconnue qui s’est approchée de moi… » En effet, l’existence d’Aymeric bascule lorsqu’au hasard d’une soirée à Saint-Claude, il croise Florence, une ancienne collègue de travail. Ils se reconnaissent et sont ravis de se revoir. En riant, elle lui dévoile son ventre rond. Elle est enceinte de six mois et célibataire.
Aymeric et Florence décident de vivre ensemble et s’installent, dans les hauteurs verdoyantes du Jura, dans la gîte aménagée par Monique, la mère de Florence. « Qui va s’en occuper de ce loustic ? » interroge Monique. « Ben, moi… Avec celui qui sera là quand il sortira. »
Quand Jim nait, Aymeric est bien là. Commencent alors de belles années où Jim et Aymeric sont ensemble, jouent, s’amusent, fraternisent au point que, pour le gamin, Aymeric ne peut être un autre que son père. Jusqu’au jour où Christophe, le père naturel de Jim, débarque… C’est un homme complètement cabossé -il a perdu sa femme et ses deux filles dans un accident- que Florence accueille puis, petit à petit, installe chez eux. Tout en s’inquiétant confusément, Aymeric donne le change. N’avait-il pas répondu à Jim qui lui demandait pourquoi ils n’avaient pas le même nom, « Nous avons décidé de ne pas faire les choses comme tout le monde ».
La carrière des frères Larrieu est belle, étonnante, atypique. Venus au cinéma en tournant des bandes en Super 8 dans la foulée d’un grand-père pyrénéen et passionné par les films de montagne, Arnaud et Jean-Marie se sont fait remarquer, en 2005, au Festival de Cannes, avec Peindre ou faire l’amour, une aventure intime et hédoniste traitant de l’échangisme. Un film, surtout, qui allait donner le ton d’une filmographie cultivant la fantaisie et les imprévus (Le voyage aux Pyrenées en 2008), une odyssée amoureuse et écologique (Les derniers jours du monde en 2009), le thriller sentimental (L’amour est un crime parfait en 2013), un récit crûment sexuel (Vingt et une nuits avec Pattie en 2015) ou la loufoquerie teintée de comédie musicale (Tralala en 2021).
A cet épatant florilège, les deux cinéastes, originaires de Lourdes, ajoutent donc une comédie dramatique qui semble réunir les codes du mélo, à cette nuance près, mais elle est capitale, qu’il n’y a aucun côté « tire-larmes » dans Le roman de Jim. Bien, au contraire, le film repose sur une émotion aussi forte que contenue pour traiter, avec finesse et tendresse, d’une vraie odyssée de la paternité.
Le scénario s’appuie, autour donc du thème de la paternité, sur l’adaptation du roman éponyme de Pierric Bailly (paru en 2021 aux éditions P.O.L.) et Arnaud Larrieu note : « Au-delà du sujet, c’est le romanesque qui nous a accrochés. Une manière d’écrire « comme dans la vie », qui n’est pas pour autant réaliste. Une véritable épopée se dessine à travers le récit de la vie quotidienne des personnages sur une longue durée. » Et les deux Pyrénens ont sans doute aussi été sensibles à la part faite par l’écrivain jurassien (il est né en 1982 à Champagnole) à l’importance de la nature et des paysages, voire même de l’évolution des personnages comme la météo en montagne où averses, éclaircies et nuages, chaud et froid s’enchainent…
Dans un récit qui s’étend sur presqu’un quart de siècle, entre la naissance de Jim et son (jeune) âge adulte, les Larrieu jouent avec le plaisir de l’ellipse et le spectateur est amené à reconstruire ce qui est arrivé, à deviner ce qui va survenir, à s’interroger évidemment sur les liens du sang et les liens du coeur. Au centre de ce récit, il y a la figure d’Aymeric qui vit de beaux moments avec ce fils qu’il a fait sien, avant de se voir « dépouiller » de cette paternité, de devoir assumer cette perte, de se reconstruire dans une autre vie et enfin de renouer -douloureusement- le fil avec Jim. Belle idée aussi que celle de faire d’Aymeric un homme qui prend des photos. Ce faisant, il se tient à la fois à distance et en même temps est très préoccupé par ce qui l’entoure. C’est par la photo qu’Aymeric racontera in fine son histoire, la mettra dans l’ordre, en fera le récit. Finalement Le roman de Jim, dit Jean-Marie Larrieu, « c’est Aymeric qui essaye de raconter à Jim d’où il vient, en racontant sa propre histoire. »
Si le neuvième long-métrage des Larrieu est une belle réussite, c’est aussi parce que les frères ont peaufiné de superbes personnages. Autour de Jim, ils sont quatre. Florence est une mère qui fait des choix de vie atypiques qu’elle défend avec aplomb. L’excellente Laetitia Dosch fait une composition complexe, suscitant à la fois l’empathie et le rejet avec une femme « dure », peut-être calculatrice, capable de dire au brave Aymeric qu’il faut faire une place à un autre. L’autre, c’est Christophe incarné tout en retenue et fragilité par Bertrand Belin, déjà vu dans Tralala, et qui signe aussi, ici, en conjointement avec Shane Copin, une bonne musique originale. Mais, comme il l’a raconté en venant présenter en avant-première le film à Mulhouse, c’est Karim Leklou qui a insisté auprès des réalisateurs, pour que La ballade de Jim, la chanson d’Alain Souchon, figure dans le film. Et puis il y a la lumineuse Olivia qui apporte un vent frais dans le quotidien d’Aymeric qui avoue, pudiquement, que, oui, il y avait une autre vie avant. Sara Giraudeau apporte à Olivia une force incroyable et une grâce magnifique.
Pour la bonne bouche, on a gardé Karim Leklou qui trouve, avec ce rare, au cinéma, garçon gentil (mais pas benêt) qu’est Aymeric, l’un des plus beaux rôles d’une carrière dans laquelle on avait remarqué Coup de chaud (2015), BAC Nord (2020), Goutte d’or (2022), Pour la France (2022) ou Vincent doit mourir (2023). Choisi tardivement par les Larrieu, le comédien de 42 ans, s’empare avec une impressionnante justesse d’un personnage tout en délicatesse, en tendresse et en résilience, qui évolue de manière imperceptible, prend des coups sentimentaux avec une capacité incroyable à encaisser. Quel plus bel hommage pouvait rendre les Larrieu à Karim Leklou en disant : « Physiquement, Karim amène un imaginaire expressionniste, proche du cinéma muet. Pour nous, c’est Peter Lorre chez Murnau. » Il faut voir le regard d’Aymeric chavirer lorsqu’il entend, au téléphone, le petit Jim dire : « C’est toi, mon vrai papa ! »
LE ROMAN DE JIM Comédie dramatique (France – 1h41) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau, Bertrand Belin, Noée Abita, Andranic Manet, Eol Personne, Mireille Herbestmeter, Suzanne de Baecque, Sabrina Seyvecou, Robinson Stévenin. Dans les salles le 14 août.