Une traque, une femme-flic en danger et la NASA, version comédie
CRIMINELS.- Un camion bâché brinquebale dans le désert. Arrêté au milieu de nulle part, des soldats en font descendre des hommes usés, affaiblis, hagards, apeurés. Sous la menace de leurs armes, ils les chassent vers les sables… On retrouve l’un d’eux, Hamid, sur un chantier de construction de Strasbourg où, avec d’autres exilés, il manie la pelle et la pioche. Pour Hamid, ce travail est une couverture. Il en effet membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Dans la capitale européenne, Hamid est sur la piste de son ancien bourreau, un homme qui l’a torturé dans la prison de Saidnaya, à une trentaine de kilomètres au nord de Damas.
Premier long-métrage de fiction de Jonathan Millet (qui a, par ailleurs, une belle carrière de documentariste au long cours), Les fantômes (France – 1h45. Dans les salles le 3 juillet) est construit comme un véritable film d’espionnage. Le cinéaste entraîne le spectateur dans une traque palpitante durant laquelle Hamid ne lâche quasiment jamais sa cible. D’abord pour réunir les éléments qui lui donneront la certitude que Harfaz, l’universitaire spécialiste en chimie, est bien le tortionnaire recherché. Ensuite, pour permettre son arrestation et son passage devant la justice. Tout cela en étant en contact permanent avec les membres de son organisation basée en Allemagne avec laquelle il communique dans un langage codé tout en jouant à des jeux vidéo de guerre…
« Je voulais, dit le cinéaste, filmer l’écoute, le tactile, l’odeur en reléguant hors-champ toutes les images sursignifiantes comme la guerre ou la torture, qui n’est appréhendée que par des enregistrements. » Du coup, la mise en scène immerge le spectateur dans l’intériorité d’Hamid, personnage torturé au propre et au figuré. Car on découvre qu’outre son passage dans l’ « abattoir humain » de Saidnaya, Hamid a perdu sa femme et sa fillette dans le conflit. Pour Millet, les sensations prédominent, ici, telle la perception amplifiée ou déformée des sons, l’odeur de la sueur, la puissance du toucher (comme dans la séquence où Yara, une compatriote, lui pose un pansement) ou le kaléidoscope des couleurs sur les étals du marché de Beyrouth où Hamid (l’acteur franco-tunisien Adam Bessa au jeu d’une impressionnante intensité) se rend pour apporter des médicaments et apercevoir sa vieille mère, réfugiée dans le camp de la Bekaa.
Retenu pour faire l’ouverture de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, le cinéaste réussit brillamment à raconter la Grande Histoire à travers l’intime d’un personnage dont le tourbillon des pensées, les doutes constituent le théâtre des opérations du récit.
C’est en menant un gros travail de documentation que Jonathan Millet entend parler de réseaux souterrains, de chasseurs de preuves, de groupes qui traquent en Europe pendant des mois les criminels de guerre. Cette découverte est concomitante avec la parution en avril 2019 dans Libération de deux articles sur un mystérieux groupe d’activistes réfugiés, la cellule Yaqaza (un nom qui signifie réveil). Ces anciens membres de l’opposition syrienne, exilés eux aussi en Europe, se sont donné pour mission de débusquer d’anciens membres du groupe terroriste qui tenteraient de se faire oublier.
« Ce qui m’a le plus frappé dans leur quête, dit Millet, c’est son urgence, son absolue contemporanéité. Les bourreaux décrits existent, dans cette vie, aujourd’hui, en France et en Allemagne. Les enjeux de migration dont ils débattent sont ceux qui se jouent actuellement. Leur histoire n’est pas un miroir de notre monde, c’est notre monde. »
CONFLIT.- Dans les rues d’une ville, à l’appel de noms, différentes personnes masquées viennent s’allonger sur le sol. Ces noms scandés, ce sont ceux de policiers morts dans l’exercice de leurs fonctions. Et leurs collègues, qui entonnent la Marseillaise, en ont plus que marre d’être pris pour cible et d’être montrer du doigt par la vindicte « populaire ». Parmi les manifestants, on remarque Lucie Muller, un officier de police attaché au service de police technique et scientifique.
Si elle donne le change dans son boulot (alors même que son chef la pousse à quitter la police), Lucie Muller est cependant une femme meurtrie depuis que Slimane, son compagnon, également policier, s’est suicidé un an auparavant parce qu’il n’en pouvait plus de ses mauvaises conditions de travail. Le quotidien solitaire de Lucie est troublé par l’arrivée dans sa zone pavillonnaire de Julia et Yann, un jeune couple, parents d’une petite Rose. Alors qu’elle se prend d’affection pour ses nouveaux voisins et noue des liens avec la mère, professeur de lycée et la fillette, Lucie découvre que Yann Durieux, le père, artiste peintre, est aussi un activiste anti-police au lourd casier judiciaire et assigné à résidence départementale.
Avec Les gens d’à-coté (France – 1h25. Dans les salles le 10 juillet), André Téchiné, 81 ans, vétéran du cinéma français, signe son 25e long-métrage et propose la chronique d’un conflit moral. Car Lucie va se retrouver prise entre sa conscience professionnelle et son amitié naissante pour une sympathique famille.
Comme souvent dans ses films, le cinéaste s’attache d’abord à ses personnages qu’il saisit, ici, dans le cadre quotidien d’une cité périphérique et banale. Autour d’une intrigue minimaliste (mais qui fera pourtant vaciller en profondeur les certitudes de Lucie), Téchiné interroge, au plus près des émotions, l’articulation entre le métier et les affects. Au moment où Lucie révèle à Yann la profession qu’elle exerce, elle dit : « C’est vrai qu’on vit pas dans le même monde mais on pourrait peut-être essayer d’y parvenir. ».
Bien longtemps après Les sœurs Brontë (1979), Isabelle Huppert renoue avec le cinéma de Téchiné. Elle s’empare, avec son habituelle maîtrise, d’un personnage fragile car sa Lucie est du côté de l’ordre tout en ayant ses zones d’ombre. La rencontre avec ses voisins va l’amener à se demander quel sens donner à la place que l’on occupe. Au côté d’Isabelle Huppert, Hafsia Herzi (Julia) et Nahuel Perez Biscayart (Yann) sont, tous les deux, d’une parfaite justesse.
ESPACE.- Dans l’Amérique des années cinquante-soixante, la question spatiale se pose toujours sous l’angle de la Guerre froide. Surtout depuis que les Russes ont mis en orbite, en octobre 1957, leur Spoutnik 1, ouvrant ainsi le début de l’ère spatiale. Une ère que les USA vont vivre comme une tragédie lorsque l’explosion d’Apollo 1, lors d’une répétition au sol, en janvier 1967, entraîne la mort des astronautes Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee. Du côté de la NASA, on sait désormais qu’on a plus le choix. En 1961, JFK avait fixé l’objectif : poser un équipage US sur la Lune avant la fin de la décennie et démontrer la supériorité des États-Unis sur l’Union soviétique. Pour ce faire, le gouvernement Nixon veut redorer l’image de l’Agence spatiale auprès du public. Un conseiller du président recrute l’étincelante Kelly Jones, experte en marketing et la colle dans les pattes de Cole Davis, le directeur de la mission. Davis exècre les méthodes de pub de Kelly mais il va s’étouffer lorsque la Maison-Blanche estime que le projet est trop important pour échouer et confie à Miss Jones un certain Projet Artemis, en l’occurrence la réalisation, dans un studio secret au coeur de Cap Canaveral, d’un faux alunissage du LEM sur la Lune. Tout cela en guise de plan B au cas où Neil Armstrong ne pourrait poser vraiment le pied sur la Lune…
Mêlant à la fois des éléments très réalistes sur la vie à la NASA à l’heure d’Apollo 11 et de la pure comédie romantique, To the Moon (USA – 2h11. Dans les salles le 10 juillet) atteint clairement son objectif même si le film aurait gagné à être plus ramassé.
On suit donc les efforts de l’expert en pub pour vendre le projet spatial américain à un marchand de montres de luxe, à une marque de tee-shirts ou à une firme de cornflakes. C’est assez savoureux d’autant que Cole Davis doit, lui, se bagarrer avec des moyens limités, tenter de convaincre des sénateurs de soutenir la mission ou répondre aux médias actionnés par Miss Jones.
Bien entendu, ces deux-là, après s’être détestés, vont apprendre à se connaître et même à faire leur chemin ensemble. Connu pour avoir réalisé des comédies comme Le club des coeurs brisés (2000), Bébé mode d’emploi (2010) ou Love, Simon (2018), l’Américain Greg Berlanti se tire bien de ce projet, évidemment, formaté en jouant la carte des dialogues aiguisés, de la musique (de To Love Somebody des Bee Gees à Nothing Can Change this Love de Sam Cooke en passant bien sûr par le standard Fly me to the Moon) et, in fine, du casting.
Scarlett Johansson, parfaite en menteuse, doublée aussi d’une femme forte et Channing Tatum avec les plus beaux maxillaires d’Hollywood, la jouent sur le registre Spencer Tracy/Katharine Hepburn. Woody Harelson se régale d’un homme de l’ombre de Nixon et Jim Rash est Lance Vespertine, un réalisateur tellement diva qu’il fera dire à Kelly : « On aurait dû prendre Kubrick », allusion aux théories complotistes affirmant que l’alunissage a été tourné en studio à Hollywood par le cinéaste de 2001.