Pas de gentillesses pour Lanthimos
On avait découvert Yorgos Lanthimos en 2015 avec The Lobster et on avait été immédiatement séduit par l’univers sérieusement barré du cinéaste grec. Sans (déjà) fournir de clé à son public, il distillait une fable sur les avatars de la question amoureuse. On avait ensuite remonté le temps pour voir son Canine (2009), étrange et inquiétant huis-clos familial…
A partir de là, on attendait les moments où Lanthimos se manifestait, le plus souvent dans des festivals comme à Cannes 2017 avec Mise à mort du cerf sacré. Et enfin, on allait fêter, dans les grandes largeurs, le réalisateur avec La favorite (2018), savoureuse semi-biographie de la boulimique et instable reine Anne dans l’Angleterre du 18e siècle. Trois femmes se livraient là à un formidable jeu de massacre qui permettaient à Olivia Colman, Emma Stone et Rachel Weisz de distiller le meilleur de leur talent.
Quant à Pauvres créatures (2023), on écrivait, ici, que le cinéaste « maîtrise avec aisance la démesure (la surenchère, diront certains) de ce conte de fées mâtiné de fantastique, de science-fiction et d’horreur. Bien sûr, on peut trouver ça un peu too much mais aussi se laisser embarquer dans ce périple joyeusement coloré. »
Tout cela pour dire que Kinds of Kindness nous a, cette fois, laissé de marbre. Tout commence pourtant bien avec Sweet Dreams, ce bon vieux tube d’Eurythmics qui coule sur les images du générique. Mais ce bref sentiment de satisfaction musicale s’estompe dans une perplexité grandissante. Et là, déjà, on se dit, avec une perplexité anxieuse, qu’on est parti pour 164 minutes de film. Et à n’y rien comprendre.
Dans ces cas-là, on est tenté de recourir à quelques béquilles comme la lecture du dossier de presse de Kinds… Où l’on relève qu’ « une grande partie du travail de Yorgos consiste à explorer la façon dont les gens vivent leur existence en fonction de leurs propres règles et de celles que la société ou une autorité supérieure leur imposent. Ces thèmes sont souvent portés à des niveaux absurdes (proches de l’humour noir) et sont au centre du film. »
Le producteur Ed Guiney poursuit : « Chaque histoire joue avec les notions de foi et de confiance dans les relations humaines. Toutes se déroulent dans un lieu non spécifique paraissant éloigné du nôtre, ce qui accroît notre intérêt. Les scénarios de Yorgos et Efthimis traitent toujours de la dynamique du pouvoir dans les relations humaines, utilisant le comportement des personnages pour nous forcer à réfléchir à nos propres vies, nos relations et à ce que nous croyons être vrai. »
Présenté au Festival de Cannes, en compétition officielle, Kinds of Kindness (traduction littérale : Sortes de gentillesses) se présente comme une fable en triptyque qui suit : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et semble une personne différente, enfin une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux.
Le metteur en scène qui affirme : « Vous passez à côté d’un pan entier de l’expérience humaine si vous vous prenez trop au sérieux », nous embarque donc dans trois univers successifs, marqués par des chapitres (La mort de RMF, RMF vole et RMF mange un sandwich) et souhaite nous faire rire, sachant qu’une des caractéristiques de l’être humain est de rire face à l’adversité. Las, encore, cet humour nous passe à des lieues au-dessus de la tête.
On cherche alors à comprendre pourquoi Robert, type complètement sous emprise, doit absolument éliminer un pauvre type qu’il finira quand même par écraser sous les roues de son 4×4 ou encore pourquoi Emily s’ingénie à trouver une femme capable de « réveiller » un mort…
Dans ce fatras quand même très indigeste sur le pouvoir, le contrôle, le libre arbitre et la dynamique des relations humaines, seul le chapitre central pourrait, à la rigueur, tirer son épingle du jeu. Daniel, le brave flic un peu bas du front, s’inquiète -légitimement- de la disparition de sa femme partie pour une expédition en mer. Il s’inquiète encore plus quand Liz, indemne, est de retour à la maison mais qu’il remarque la taille anormale de ses pieds et son goût inattendu pour le gâteau au chocolat, dessert qu’elle exécrait jusque là… Pour ne pas gâcher le plaisir des fans absolus de Lanthimos (et qui, donc, iront voir Kinds…) on se contentera de dire que la fin de cette séquence est étrangement animale et résolument fantastique.
Que nous reste-t-il alors à faire en attendant que Kinds of Kindness se déroule sur l’écran ? Regarder les performances d’acteur dont les trois principaux jouent, chacun, trois personnages différents? L’excellent Willem Dafoe semble complètement perdu dans cette galère. Emma Stone, actrice fétiche de Lanthimos avec lequel elle décrocha l’Oscar de meilleure actrice pour Pauvres créatures, en fait beaucoup, ici, sans convaincre vraiment. Celui qui parvient à tirer son épingle du jeu, c’est Jesse Plemons. Vu dans une courte mais terrifiante apparition récemment dans Civil War et couronné meilleur acteur à Cannes pour ses trois personnages de Kinds…, le comédien américain impose une impressionnante masse quasiment minérale.
Un cinéaste qui a -aussi- joué quelques matches dans la première division grecque de basket-ball (celle du Panathinaïkos, de l’Aris, de l’AEK ou de l’Olympiakos) mérite notre respect. Autant dire qu’on attend maintenant avec impatience son prochain opus. Pour rapidement oublier celui-là.
KINDS OF KINDNESS Drame (USA – 2h44) de Yorgos Lanthimos avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe, Margaret Qualley, Hong Chau, Joe Alwyn, Mamoudou Athie, Hunter Schafer. Dans les salles le 26 juin.