La triste et tragique histoire de Maria S.
C’est l’histoire d’une belle adolescente brune de 16 ans qui vit chez sa mère dans le Paris des années 68. Une mère avec laquelle elle va se prendre très sérieusement la tête lorsqu’elle lui annonce qu’elle a retrouvé son père. « J’ai vu Daniel » dit la jeune Maria et sa mère de rétorquer : « Il n’a jamais voulu de toi ! » Le père de cette jeune femme n’est autre que le comédien Daniel Gélin. Qui ouvrira les portes des plateaux de cinéma à celle qui allait devenir, à son corps défendant, une actrice très sulfureuse à cause du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci.
Avec Maria, son second long-métrage après Revenir (2019) qui obtint le prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise, la cinéaste française Jessica Palud s’empare d’une aventure tragique, celle de Maria Schneider, belle actrice dont la trajectoire fut complètement saccagée, un jour de 1972, lors du tournage du Dernier tango à Paris.
Porté par une Anamaria Vartolomei vibrante, farouche et fragile et un épatant Matt Dillon en Marlon Brando, le film prend évidemment une résonance particulière en ces temps où le cinéma français, comme le cinéma américain avant lui à partir de l’affaire Weinstein, traverse de sérieuses turbulences liées à la fois à la question du consentement sur un tournage ou au cours d’un casting mais aussi, plus globalement, aux affaires de violences sexuelles.
Si le scénario de Maria a parfois des allures de fiche Wikipedia et si la mise en scène est gentiment classique, le film de Jessica Palud a cependant la vertu de nous tenir en haleine parce que la cinéaste nous entraîne dans une redoutable mécanique qui va broyer la jeune comédienne. Et pourtant, tout commence sous les meilleurs auspices. Bertolucci dit à celle qui sera sa Jeanne dans une relation torride et impossible: « Je vois en vous une page blanche, quelqu’un de blessé qui me plaît beaucoup ! »
La réalisatrice fait le choix, en s’appuyant librement sur Tu t’appelais Maria Schneider (2018 chez Grasset et Fasquelle), le roman de Vanessa Schneider, journaliste au Monde et cousine de l’actrice, de se focaliser sur son personnage central : « Être dans son regard et ne jamais l’abandonner, faire la traversée avec elle. Le film est donc raconté uniquement à travers les yeux de Maria Schneider. Elle est de toutes les séquences. Il y a quelque chose chez elle qui me touchait profondément, sa liberté, ses choix et leurs conséquences. Maria est une des premières comédiennes à avoir parlé, elle a dénoncé les abus, et personne ne l’a écoutée. »
Tandis que nous reviennent en mémoire les images du Tango bertoluccien, on retrouve une époque où il était impossible de remettre en cause la parole, la position de certains réalisateurs, de l’artiste tout puissant, ni même de seulement évoquer la place de la femme dans le cinéma oue les dérives que l’on passait sous silence au nom de l’art. La création, interroge ainsi Jessica Palud, peut-elle émerger de l’humiliation, de la douleur et du mépris ?
Longtemps assistante mise en scène (et stagiaire sur The Dreamers de… Bertolucci), la cinéaste explique que l’histoire de l’actrice l’a percutée, sans doute parce qu’elle faisait écho à son expérience des plateaux de tournage : « Il y a encore une dizaine d’années, sur un plateau, il y avait peu de femmes. J’étais souvent la plus jeune et toujours entourée d’hommes. J’ai assisté à des scènes compliquées, des acteurs et des actrices humiliés et j’ai ressenti moi-même l’emprise dont certains réalisateurs abusaient. J’ai vécu des situations qu’aujourd’hui je qualifierais d’anormales, sans pour autant parvenir à m’exprimer. Alors, c’est vrai que l’histoire de Maria Schneider m’a bouleversée. Je ne cherche pas à accuser, ni à juger, mais à faire avec l’héritage et à offrir un portrait de cette société, à travers un regard inédit, celui de Maria Schneider. »
Si l’on se souvient du Dernier tango comme d’un grand poème plus funèbre que sexuel porté par la musique de Gato Barbieri, il apparaît clairement que ce film a fini par se résumer à cette fameuse scène dite du beurre. D’ailleurs, à l’époque, certains spectateurs demandaient, à la caisse des cinémas, « le film du beurre » !
C’est donc bien cette scène qui est centrale dans Maria. Jessica Palud précise : « J’ai eu accès au scénario original du Dernier tango à Paris, l’exemplaire utilisé sur le plateau et annoté par la scripte. La scène n’était pas dans le scénario. Telle qu’elle est écrite, cette séquence devait s’arrêter sur un geste violent. Mais le jour du tournage, la scripte fait des annotations dans la marge, pour consigner tout ce qui a été ajouté. Avant de tourner, Bernardo Bertolucci a seulement dit à Maria que ça irait plus loin. Il avait l’habitude de rajouter des scènes, de susciter l’improvisation, de chercher «l’accidentel» qui nourrit le cinéma. Mais là, avec le beurre, il y a une limite franchie. Lorsque Marlon Brando baisse le pantalon de Maria et prend le beurre, ce n’est pas écrit. La jeune femme est prise par surprise et plaquée au sol. Bernardo Bertolucci lui-même, dans ses propos à posteriori, l’a reconnu clairement. Il a dit qu’il voulait les vraies larmes de Maria, une réelle humiliation… »
La cinéaste va filmer le ressenti d’une actrice dominée par deux regards masculins, le basculement de la scène, la violence envers Maria Schneider et surtout le silence du plateau. D’ailleurs la séquence s’achève avec un panoramique, évidemment imaginé par Jessica Palud, sur l’équipe technique autour de Bertolucci et des visages inquiets, troublés, atterrés, bouleversés.
L’après-Tango, ce sera la campagne de promotion du film qui tourne au tribunal médiatique condamnant « une putain universelle » et la descente aux enfers de la drogue pour Maria Schneider. Malgré le soutien de son amie Noor avec laquelle elle entretient une relation amoureuse, la comédienne ne reprendra jamais vraiment le dessus dans une carrière brinquebalante dont elle ne retiendra que le beau Profession reporter (1975) d’Antonioni et la classe généreuse de Jacques Rivette avec lequel elle tourne Merry-Go-Round en 1982.
Jessica Palud souligne enfin que la trahison et la manipulation ne sont pas des outils nécessaires à la mise en scène de cinéma. « Tout le monde – moi y compris – cherche la magie au tournage, l’accident, l’émotion qui surgit. Mais je suis certaine qu’on peut y parvenir sans humiliation. Je pense même que cette forme de direction d’acteur est d’autant plus passionnante : chercher et y arriver ensemble, sans recourir à une quelque forme de violence que ce soit. »
Dans une ultime scène, alors que Maria Schneider enchaîne les interviews dans un press-junket, on lui glisse à l’oreille que Bertolucci est dans un salon voisin. Veut-elle qu’on organise une rencontre, une séance photo ? Elle lâche : « Je ne sais pas qui est cet homme. »
MARIA Comédie dramatique (France – 1h40) de Jessica Palud avec Anamaria Vartolomei, Matt Dillon, Céleste Brunnquell, Giuseppe Maggio, Yvan Attal, Marie Gillain, Jonathan Couzinié, Stanislas Merhar, Judith Henry. Dans les salles le 19 juin.