Teresa, Lucia, Prudenza, Bettina, Marietta, Juliette, Lou et Jackie
L’une est italienne, l’autre française, la troisième britannique. Trois réalisatrices dont les films sortent au même moment et qui donnent le sentiment que le mouvement MeToo influe désormais largement sur le cinéma. Et d’ailleurs, la semaine prochaine, dans le même rythme, on attend, cette fois, Jessica Palud et Maria sur la trajectoire tragique de la comédienne Maria Schneider.
MUSIQUE.- Dans la Venise du 18e siècle, l’Institut Sant’Ignazio bruisse des courses et des cris des jeunes pensionnaires. Depuis l’annonce de la visite imminente du nouveau Pape, c’est l’effervescence car les autorités de la cité des Doges ont demandé qu’un grand concert soit donné en l’honneur du pontife. Las, le maestro Perlina est incapable d’écrire une nouvelle partition pour cet événement. Dans le même temps, dans la cave de cet orphelinat qui se double d’un conservatoire de musique pour jeunes filles, Teresa, une jeune domestique silencieuse et solitaire, fait une découverte exceptionnelle qui va révolutionner la vie de Sant’Ignazio : un piano-forte. Bientôt les pensionnaires, avec à leur tête Lucia et ses soeurs, vont se trouver en concurrence avec Teresa pour décider qui pourra se mettre au clavier. Mais c’est ensemble qu’elles s’élèveront dans la musique.
Pour son premier passage derrière la caméra, Margherita Vicario signe ce beau Gloria! (Italie – 1h46. Dans les salles le 12 juin), véritable célébration de la musique et plus encore de la place des femmes dans cet art. Actrice, auteure, compositrice et interprète, l’artiste romaine de 36 ans explique qu’elle a été confrontée pendant des années à la même question : que pensez-vous de la place des femmes dans la musique aujourd’hui ? La fille de Rosanna Podesta, vedette du cinéma italien populaire des années cinquante, se lance alors dans des recherches qui l’amèneront à écrire Gloria !
« En retraçant l’histoire des compositrices italiennes et européennes, dit la cinéaste, la découverte qui m’a le plus intriguée a été le monde fascinant des quatre Ospedali, les orphelinats de Venise et des Figlie di Choro, les filles de chœur. »
Les orphelinats étaient des institutions d’aide aux femmes qui dispensaient une formation musicale de haut niveau (le plus connu d’entre eux, l’Ospedale della Pietà, a eu Vivaldi comme enseignant). Etrangement, les seules personnes qui pouvaient se permettre d’étudier la musique au plus haut niveau, à l’apogée de la splendeur de la Venise baroque du 18e siècle, étaient les nobles et les orphelins ! Mais, malgré leur excellente formation, ces artistes ne pouvaient pas faire de la musique leur profession. Alors que les musiciens professionnels étaient formés dans des conservatoires masculins de Naples, les jeunes femmes des orphelinats vénitiens ne pouvaient aspirer qu’à un bon mariage ou à jouer toute leur vie pour la gloire de Dieu.
Persuadée qu’il était impossible qu’il n’y ait pas eu d’ambitions créatives chez ces filles, Margherita Vicario a donc écrit une vibrante composition musicale et imaginé une fiction autour de cette Teresa à l’oreille fine et à la perception musicale libre. A travers cette rencontre magique de Teresa (la belle Galatéa Bellugi), avec un piano, c’est une exploration de la créativité dans sa dimension la plus pure, en dehors des canons de son époque, à laquelle nous invite la cinéaste. Dans une Venise grise, loin des images touristiques, Gloria ! est une ode aux femmes artistes et un grand cri de liberté qui éclate dans une musique libre, joyeuse, irrévérencieuse !
FAMILLE.- Jeune illustratrice de livres pour enfants, Juliette débarque à la gare de Sant André de Corcy, au coeur des Dombes, dans l’Ain. Elle revient vers sa famille et s’installe chez Léonard son père auquel elle confie : « J’ai fait un genre de dépression. Mais ça va mieux maintenant. » Pudique, le père constate : « C’est vrai que c’est pas facile, la vie ». Au fil de quelques jours, Juliette va retrouver Marylou, sa sœur aînée, une mère de famille débordée par un quotidien qui la dévore. Alors cette belle femme ronde se risque à des parenthèses charnelles. Et puis il y a Nathalie, la mère de Juliette et Marylou, une artiste-peintre qui croque la vie à pleines dents, sans oublier Simone, dite Nona, la grand-mère chérie qui perd un peu pied… Comme Nona est maintenant installée dans une maison de retraite, on s’apprête à vendre sa maison. Et puis un échange à propos de cette grande demeure va amener Juliette à découvrir un secret qui traumatise depuis toujours la famille…
Avec Juliette au printemps (France – 1h36. Dans les salles le 12 juin), la cinéaste Blandine Lenoir réalise son quatrième long-métrage après Zouzou (2014), Aurore (2017) et Annie Colère (2022), trois films qui faisaient déjà la part belle à des personnages féminins : d’abord une sexagénaire qui annonce à ses trois filles qu’elle a un homme dans sa vie, puis une quinquagénaire divorcée qui a perdu son travail et se prépare à être grand-mère, enfin, une ouvrière d’usine confrontée à une grossesse non désirée…
Ici, en adaptant Juliette, les fantômes reviennent au printemps, le roman graphique de Camille Jourdy, paru chez Actes Sud, Blandine Lenoir s’inscrit plus dans une chronique familiale qui joue tout à la fois la carte de la tendresse, de la mélancolie et de la comédie pour aborder une série de sujets comme la dépression, la place qu’on occupe dans une famille sans parvenir à la déplacer malgré les années, la pudeur, l’amour, la sexualité, le deuil, la maternité… « Je suis tombée, dit la réalisatrice, sous le charme de cette histoire riche en dialogues sur une famille qui ne parvient pas à communiquer, et des personnages de Camille Jourdy, très bien dessinés, fantaisistes et désespérés, pétris d’imperfections. »
Le récit choral s’ordonne alors d’un père (Jean-Pierre Darroussin) si pudique qu’il ne peut s’exprimer qu’en blagues et d’une grande fille (Izïa Higelin) qui est comme arrêtée dans sa vie. On croise aussi, dans ce joyeux bazar, une drôle de grand-mère (Liliane Rovère), une aînée hyperactive (magnifique Sophie Guillemin), Pollux, un jeune homme poétique et attachant et même un sautillant petit canard. Agréablement touchant.
PASSION.- C’est un club de gym perdu au milieu de nulle part. Pas l’établissement bon chic bon genre mais plutôt l’entrepôt assez miteux. Ce qui n’empêche pas des costauds de pousser de la fonte. Frêle jeune femme, Lou gère la salle et on la découvre, accroupie dans les toilettes, en train de déboucher difficilement une cuvette… Un soir, alors qu’elle ferme la boîte, elle remarque, sur le parking désert, Jackie, une ravissante culturiste. Immédiatement amoureuse, Lou l’invite à venir s’entraîner au club. Rapidement, les deux femmes vont être emportées dans une liaison explosive. Bientôt aussi, les ennuis commencent dans une spirale de pure violence où les morts brutales s’enchaînent.
Second long-métrage de la cinéaste anglaise Rose Glass, Love Lies Bleeding (USA – 1h44. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 12 juin) n’y va pas avec le dos de la cuillère. Parce que les étreintes passionnées de Lou et Jackie ne seront rien à côté de l’enfer qui s’ouvre devant elles. Embauchée comme serveuse dans un club de tir, Jackie découvre que Langdon, le patron, n’est autre que le père de Lou avec lequel cette dernière est complètement en froid. Il faut dire que ce type au crâne chauve et aux longs cheveux dans le cou (le vétéran Ed Harris) est un vrai et dangereux fêlé qui cultive le goût des armes. Tandis que Lou tente de sauver son aventure avec Jackie, celle-ci rêve de participer à un concours de body-building à Las Vegas.
Love Lies… semble condenser, dans l’Amérique de 1989, l’ambiance hot de Bound, le côté gore des films de zombies et l’atmosphère très roady de Thelma et Louise, le tout avec un traitement visuel qui puise ses références chez Cronenberg et Lynch. Et quand, soudain, le personnage de Jackie devient gigantesque, on songe à L, sinon que Katy O’Brian qui l’incarne, est charmante. En face d’elle, Kristen Stewart s’empare avec force d’une Lou malmenée par les mauvais coups de la vie.
Ces deux-là, malgré un scénario souvent défaillant, tiennent brillamment la baraque. Rose Glass: « Je voulais surtout m’interroger sur ce que signifiait réellement un ‘personnage féminin fort’. Je voulais faire quelque chose autour d’une bodybuildeuse, un personnage féminin fort, à la fois mentalement et physiquement, mais aussi montrer comment sa force peut être exploitée et manipulée. » Loufoque, disparate, inquiétant, troublant.