Un bref désir d’ailleurs
Les premiers plans sur les flancs brossés d’un énorme taureau charolais incitent à penser que La ritournelle sera une variation sur le monde rural contemporain. De fait, à l’heure d’un concours agricole où le taureau de l’élevage Lecanu remportera la plus haute distinction, on entre d’emblée dans l’univers d’un couple d’agriculteurs normands. Elle, Brigitte, un peu fantasque (elle aimerait bien mettre un diadème à l’imposant Ben Hur), lui, Xavier, les pieds sur terre, qui lui envoie: « On va être disqualifié. Range-moi ça et continue à brosser… »
Si Marc Fitoussi qui signe, ici, son quatrième long-métrage (après le drolatique Copacabana et le léger Pauline détective), a tenu à être juste et précis en évoquant la vie d’un couple de fermiers du pays de Caux, ce n’est pas ce côté naturaliste qui, évidemment, l’intéresse. Deux éléments du scénario nous amènent alors au fond des choses. Brigitte présente, sur la poitrine, une grosse plaque rouge d’eczéma. Un excès de stress pour Xavier… Et puis il y a cette petite lumière qui s’allume dans l’oeil de Brigitte lorsqu’un groupe de jeunes gens vient fêter, dans la maison d’en face, un anniversaire. D’autant plus que le sémillant et brun Stan préfère la compagnie de Brigitte à celle des « gamines » de son âge. Lorsque Brigitte se glisse dans la danse, elle ne dépare pas dans le tableau. Mieux, Brigitte (qui s’est maquillée pour l’occasion) semble véritablement renaître. Lorsqu’au bout de la nuit, elle revient, doucement éméchée, dans le lit conjugal, Xavier fait mine de dormir. Sans doute a-t-il deviné qu’il lui faudra faire face, non point à la fuite de son épouse, mais assurément à son envie de croquer un peu dans la vie.
Isabelle Huppert, Jean-Pierre Darroussin et les charolais de « La ritournelle ». DR
Car Brigitte n’a pas envie de prendre pour de bon la tangente. Elle veut répondre à cet instinct de vie qui la pousse à la fugue. La fugue, ce sera deux journées à Paris. Où elle croisera Stan mais aussi Jesper, un parodontiste danois en congrès dans la capitale.
Avec La ritournelle, Marc Fitoussi signe l’un de ces films auxquels on n’a rien envie de reprocher. Parce qu’ils déploient ce qu’il faut de tendresse et d’émotion dans l’évocation, dans le cas précis, de l’usure et de la routine au sein d’un couple. L’exploration intimiste de la fugue de Brigitte et du mal-être de Xavier repose alors sur une judicieuse inversion des rôles. Tandis que Brigitte donne brièvement corps à ses désirs d’ailleurs, c’est Xavier qui se dévoile en s’effaçant devant le « coup de folie » de sa femme. Le fermier-« dandy » bourru au look british révèle alors sa bonté, sa fragilité, sa blessure… Et s’il fait à son tour le voyage à Paris et s’il voit Brigitte en compagnie de Jesper, il se contentera cependant d’aller errer au musée d’Orsay…
Le plaisir que l’on prend à suivre le regard croisé masculin/féminin de La ritournelle repose, bien sûr, sur Isabelle Huppert et Jean-Pierre Darroussin. La première, volontiers associée à des personnages parisianistes et à un cinéma cérébral, se glisse avec aisance dans la peau de Brigitte à laquelle sa toque de fourrure donne un petit air d’héroïne russe. Quant à Darroussin, on a l’impression qu’il a toujours vécu à la ferme et que le vêlage est, pour lui, un jeu d’enfant. Ce qui, bien entendu, est un compliment. Et puis il y a de bien jolis moments dans ce film… Celui où Brigitte découvre la carte postale du tableau « Le retour du troupeau » peint, à la fin des années 1880, par Charles Sprague Pearce et comprend que Xavier est venu à Paris au moment où elle y était… Cette autre séquence, véritable hommage à La femme du boulanger où le taureau Big Jim a remplacé la fameuse Pomponnette. Celle, enfin, où Xavier s’arrête à l’école du cirque où s’entraîne son fils Grégoire et découvre avec émotion le beau talent de ce dernier… Et puis on remarquera qu’aimer, ce n’est pas forcément regarder ensemble dans la même direction mais flotter en harmonie dans la mer Morte.
LA RITOURNELLE Comédie dramatique (France – 1h38) de Marc Fitoussi avec Isabelle Huppert, Jean-Pierre Darroussin, Michael Nyqvist, Pio Marmaï, Jean-Charles Clichet. Dans les salles le 11 juin.