Un pigeon sur une péniche
Le cinéma de Bruno Podalydès est un cinéma qui aime à musarder. Verbe intransitif qui se définit de la sorte : Passer son temps à rêvasser, flâner en s’attardant à des riens. Et c’est bien ce qui caractérise cette petite vadrouille dont on connaît avec précision, le rythme auquel elle avance. Exactement 9 km/heure, la vitesse maximale autorisée sur les canaux français. On n’a pas vérifié l’info mais on se plaît à croire sur parole le capitaine Jocelyn, tout blanc et tout plein de lui-même à la barre de La Pénichette.
Il est beaucoup question d’argent dans les premières séquences du quinzième film de l’aîné de la fratrie Podalydès. Parce que d’un côté, nous avons un gros investisseur et patron assez content de lui qui peut mettre quatorze mille euros dans un week-end insolite en amoureux et, de l’autre, une troupe de solides pieds-nickelés qui se disent, avec un bel enthousiasme, qu’il y a sûrement une bonne marge à se faire pour remettre à flot leurs comptes bien défaillants.
Lorsque Franck, le patron, confie une épaisse enveloppe à Justine, sa collaboratrice avec mission d’organiser le fameux week-end, la jeune femme, Albin, son mari et leurs amis vont organiser une fausse croisière romantique. Mais tout se gâte lorsque la « proie » de Franck n’est pas celle que l’on croit. Mais, pour Albin et Justine, impossible de faire machine arrière. Ils n’ont pas dit toute la vérité à leur bande d’amis sur la manière de se partager le potentiel pactole…
Ce sont de petites croisières fluviales en famille à bord d’une péniche qui ont donné, voilà longtemps déjà, à Bruno Podalydès, l’idée de son film : « J’ai adoré ce mode de vacances. Petit à petit, j’ai découvert une multitude de canaux – il est extrêmement facile de circuler en bateau du sud de la France jusqu’en Allemagne, et même au-delà, tant le réseau de ces canaux est riche. Mais il faut un rapport au temps apaisé pour ce genre de voyage. Je rêvais d’une histoire qui puisse se dérouler dans ce rythme et ce cadre… »
Le cinéaste a donc bâti une comédie complètement fantaisiste dans laquelle il invite à embarquer en compagnie de personnages évidemment loufoques. Il y a bien sûr le capitaine Jocelyn, uniforme immaculé et son inénarrable « Enjoy ! » lancé à Franck mais aussi Albin, faux organisateur mais vrai ronchon, Justine en executive woman qui ne se laisse pas faire tout en étant quand même un rien déstabilisée, Sandra en cantinière gitane, Rosine en serveuse « spécialiste »… de l’hypnose sur les réseaux sociaux ou encore Caramel qui joue les éclusiers tout en étant un gardien de musée peu banal puisqu’il profite de son job pour exposer l’une ou l’autre de ses propres toiles sans oublier Ifus le mousse mutique qui va faire lien avec d’autres plaisanciers.
Sur leur route, les gens de La Pénichette vont en effet rencontrer un groupe de jeunes gens à bord d’un voilier. D’emblée le capitaine Jocelyn constate, en voyant le voilier, doubler son bateau, « Ben, quoi, ils ne respectent même pas la vitesse réglementaire ! » Petite observation réac de héros renvoyés à leur finitude. Car, au nom du « Puisque tout est foutu, tout est permis », ces gamins réunis sous la bannière Epilogue vont vers la mer, vers l’avenir, affrontant un monde de tourments avec lucidité et poésie tandis que la vieille bande, d’écluse en écluse, suit un chemin plus attendu. Comme le dit encore le metteur en scène : « Ils nous révèlent ce sur quoi tous nous cliquons à chaque entrée sur un site : « Continuer sans accepter ». Ils ne cherchent pas à améliorer les choses, plutôt à créer, ouvrir une autre voie. C’est un peu ce qu’on espère des jeunes, non ? »
Cette friction générationnelle un brin nostalgique envolée, on vogue encore un peu avec La Pénichette, pour le plaisir aussi d’écouter La petite vadrouille. Depuis un bout de temps, précisément depuis Bancs publics (2009), Bruno Podalydès a renoncé à la b.o. pour puiser dans un répertoire de musiques et de chansons qui agrémentent agréablement son propos. On entend ainsi aussi bien L’Hymne à la joie de la 9e de Beethoven que le très marin Santiano d’Hugues Aufray en passant par Ah !, le petit vin blanc, le tube des guinguettes ou l’immortel Elle était si jolie d’Alain Barrière qui s’intègre à l’intrigue…
Même si, depuis quelques films (Wahou, le dernier en date, était une toute petite chose), Bruno Podalydès semble ronronner, demeure enfin le plaisir d’admirer des comédiens en joie. On pense évidemment aux habitués que sont Denis Podalydès, Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté, rejoints depuis trois films, par Sandrine Kiberlain. Le nouveau-venu, ici, c’est Daniel Auteuil plutôt en roue libre.
Et si nous avions là un paisible éloge de la lenteur dans un monde qui va toujours plus vite ?
LA PETITE VADROUILLE Comédie (France – 1h36) de et avec Bruno Podalydès et Sandrine Kiberlain, Daniel Auteuil, Denis Podalydès, Florence Muller, Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté, Dimitri Doré. Dans les salles le 5 juin.
Elle était si jolie
Que je n’osais l’aimer,
Elle était si jolie,
Je ne peux l’oublier.
Elle était trop jolie
Quand le vent l’emmenait,
Elle fuyait ravie
Et le vent me disait…
Elle est bien trop jolie
Et toi je te connais,
L’aimer toute une vie,
Tu ne pourras jamais.
Oui mais elle est partie,
C’est bête mais c’est vrai.
Elle était si jolie,
Je n’oublierais jamais…