A la poursuite du fantôme de Marcello
ACTEUR.- C’est une comédienne coiffée d’une lourde perruque blonde qui se prépare dans sa loge. Elle s’apprête, sous les cris d’une cinéaste hystérique, à tourner quelques plans dans une fontaine… parisienne. On a compris d’emblée le clin d’oeil à la Dolce Vita et à Marcello Mastroianni sinon que l’actrice malmenée qui ressemble à une Anita Ekberg du pauvre n’est autre que Chiara Mastroianni, la fille de son père. Et d’ailleurs, pendant un casting où elle joue une scène avec Fabrice Luchini, la cinéaste, en l’occurrence Nicole Garcia, après moult hésitations, lui suggère de l’incarner « plutôt Mastroianni que Deneuve »… Rien d’étonnant alors qu’un soir, dans sa salle de bain, Chiara soit prise de malaise en voyant dans sa glace le visage de son père se dessiner à la place du sien. Alors, le temps d’un été, chahutée dans sa propre vie, elle se raconte qu’elle devrait plutôt vivre la vie de son père. Elle s’habille désormais comme lui, parle comme lui, respire comme lui et elle le fait avec une telle force qu’autour d’elle, les autres finissent par y croire et se mettent à l’appeler « Marcello ». Au premier chef, Fabrice Luchini, ami par excellence, trop heureux d’être au côté de Marcello. Si Benjamin Biolay ne s’offusque pas trop de la chose, Melvil Poupaud, lui, ne supporte pas cette transformation…
Marcello mio (France – 2h01. Dans les salles le 21 mai), le dernier film en date (en compétition officielle à Cannes) de Christophe Honoré, tombe bien sûr à pic en cette année où l’on célèbre le centième anniversaire de la naissance de Marcello Mastroianni. Si le réalisateur de Plaire, aimer et courir vite salue l’immensité et l’intensité de l’acteur d’Une journée particulière, son idée de départ « était, dit-il, de raconter le quotidien des acteurs quand ils ne sont pas en train de travailler sur un tournage. Ce temps « mort » occupe quand même 95% de leur vie. Mais un acteur ne cesse pas de l’être quand il ne tourne pas. C’est un rapport au monde si particulier… »
Alors, on observe Chiara Mastroianni, l’actrice préférée du cinéaste, dans ce troublant exercice où il faut bien dire qu’elle ressemble de manière impressionnante, à Marcello Mastroianni. Emporté(e) par son élan, Marcello/Chiara entraîne le spectateur dans une mise en abime du métier de comédien, l’histoire aussi d’une actrice qui se demande si pour elle une carrière d’acteur est possible. Pourtant cette histoire de fou totalement ludique qui jongle avec les identités, va petit à petit se mettre à tourner à vide. Certes l’épisode romain de l’émission de téléréalité est agréablement satirique mais ensuite, la fable ou l’illusion s’évapore doucement.
Pour finir, Honoré envoie tous ses personnages se baigner dans la mer à la suite de Chiara qui a abandonné ses oripeaux paternels. Une manière de bain de jouvence pour une fantaisie cinématographique, un film de maturité juvénile, vaguement schizophrénique… Esprit de Marcello, es-tu là ?
HUMANITE.- La Fraise et Paulo, père et fils, sont des braqueurs qui s’attaquent à une bijouterie. Ils réussissent leur casse mais, dans leur fuite, ils constatent que leur voiture, laissée sur un parking handicapé, a été mise en fourrière. Pour échapper à la police qui débarque de toutes parts, ils se glissent dans un bus en partance pour une colonie de vacances pour jeunes adultes en situation de handicap mental. A bord, ils deviennent Sylvain et Orpi, le premier se faisant passer pour un pensionnaire et le second pour son éducateur spécialisé. Commence alors une extravagante cavale faite d’emmerdes mais surtout d’une inestimable expérience humaine qui va changer à jamais le duo de bandits.
Un p’tit truc en plus (France – 1h39. Dans les salles le 1er mai), c’est la comédie française qui fait courir les foules. Plus de 4,5 millions de spectateurs ont déjà vu, en salles, la première mise en scène pour le grand écran d’Artus qui a réalisé, avec 500.000 entrées en trois jours, le meilleur démarrage de l’histoire du cinéma français depuis Bienvenue chez les Ch’tis (2008). Bien sûr, cette comédie a peu de chances d’entrer dans le palmarès BFI des cent meilleurs films de l’histoire du 7eart. En même temps, on se doute bien que l’ambition d’Artus (qui incarne Paulo/Sylvain) est ailleurs. « J’ai toujours eu envie, dit le cinéaste, de montrer ce dont sont capables les personnes porteuses d’un handicap mental : elles ont un imaginaire incroyable, une magie, ou une folie, qu’on ne rencontre pas ailleurs. C’est avec elles que je voulais faire un film. Pas sur elles. » Effectivement, le film, c’est une colonie de vacances, avec tous les moments de vie que cela suppose, mais puissance mille parce que l’histoire, est portée et jouée, par des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma.
De fait, les comédiens professionnels (Artus, Clovis Cornillac, Alice Belaïdi en tête) sont entourés d’onze acteurs en situation de handicap mental. Et la grande réussite d’Un p’tit truc… c’est qu’on s’attache très rapidement à Arnaud, fan de Dalida et de… Marie, à Baptiste, fan de Ronaldo, Alexandre, fan de Sarkozy, à Sofian et à son regard lumineux ou encore à Ludo, complètement sans filtre. Tous ensemble, ils embarquent le spectateur dans une sympathique comédie sur l’inclusion sociale où les rôles s’inversent. Au bout de quinze minutes de film, les pensionnaires ont compris que Sylvain joue l’handicapé. Ils deviennent alors complices et, dit Artus, ce sont les éducateurs, valides, qu’on prend pour des cons…
WESTERN.- Dans l’Ouest américain des années 1860, l’aventure est partout. Et le danger aussi. Jeune femme résolument indépendante, Vivienne Le Coudy fait la rencontre d’Holger Olsen, un immigré d’origine danoise. Elle choisit de quitter son Québec natal pour le suivre dans le Nevada et vivre avec lui. Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen, qui fut un soldat exemplaire, ne conçoit pas de ne pas s’engager au côté de l’Union pour défendre sa patrie. Restée seule dans sa petite maison, Vivienne cherche du travail. Elle en trouve au saloon de la ville voisine. Mais elle va devoir face au maire corrompu, à un important propriétaire terrien et surtout à Weston, gaillard brutal et imprévisible, qui la presse d’avances plus qu’insistantes. Quand Olsen rentre du front, il découvre un petit garçon au côté de Vivienne. Désormais, ils vont devoir réapprendre à se connaître pour s’accepter tels qu’ils sont devenus…
Après Falling (2020), drame familial inspiré par la disparition de sa mère, Viggo Mortensen revient derrière la caméra avec Jusqu’au bout du monde (USA – 2h09. Dans les salles le 1er mai), un western aux accents fortement contemplatifs qui est aussi un beau portrait de femme. Dans la mythologie westernienne, la femme occupe une place réduite. Souvent mère anxieuse, volontiers femme fatale ou entraîneuse de saloon. Ici, le comédien américano-danois, tout en adoptant les codes esthétiques du western classique, a réussi, avec le personnage de Vivienne, à dessiner une femme résolument indépendante et moderne qui refuse de se plier aux conventions sociales de son époque et connaîtra le pire dans un monde d’hommes traversé par la tension entre désir, vengeance et pardon. Découverte sur le plan international grâce à Phantom Thread (2017), Vicky Krieps est remarquable de sensibilité dans le rôle de Vivienne. Pour sa part, Mortensen incarne un Olsen taiseux et toujours à l’écoute de la femme qu’il aime…
SECRET.- La vie simple de Sylvia est réglée comme du papier à musique. Elle s’occupe avec attention de sa fille adolescente, travaille dans un centre d’aide pour handicapés adultes et suit avec régularité les réunions des Alcooliques anonymes. Elle, que rien ne semble devoir faire sortir de ses rails, accepte un soir, à l’instigation de sa sœur aînée, d’assister à une fête organisée par les anciens de son lycée. Sylvia s’y ennuie ferme mais lorsqu’un homme vient s’asseoir à ses côtés, elle se lève et rentre chez elle. L’homme la suit dans la rue, le métro et jusqu’à sa porte. Au matin, l’homme est toujours là, endormi sous des sacs de plastique. Sylvia décide d’aller voir qui est ce mystérieux individu…
Dans un premier temps, Michel Franco songeait à tourner un polar sur le thème de la vengeance autour d’un homme qui suit une femme dans la rue. Et puis il a changé complètement son fusil d’épaule pour, avec en référence le Minnie and Moskowitz (1971) de Jon Cassavetes, filmer une sorte de love story entre deux solitudes bouleversées, l’une par un terrible secret, l’autre par une démence qui gagne, même si Saul Shapiro est encore lucide et sa mémoire émotionnelle intacte. Huitième long-métrage du cinéaste mexicain, Memory (USA – 1h42. Dans les salles le 29 mai) apparaît alors comme une « parenthèse enchantée » où Sylvia et Saul vont doucement aller l’un vers l’autre. Engoncée volontairement dans une stricte routine quotidienne qui est une forme de thérapie, Sylvia va d’abord intervenir, avec l’accord de la famille Shapiro, comme aide à la personne. Mais le fragile et tendre Saul va parvenir à « attendrir » Sylvia au point d’entrer ensemble, aux accents de A Whiter Stade of Pale de Procol Harum, dans une relation amoureuse. Couronné meilleur acteur à la Mostra de Venise 2023 pour sa sensible interprétation de Saul, Peter Sarsgaard donne la réplique à une remarquable Jessica Chastain. Visage dur et émacié, sa Sylvia est une bonne personne que la vie (et sa famille) a rudement maltraité.