Les ambulanciers de nuit et les copines en goguette

"Black Flies": Rut (Sean Penn) et Cross (Tye Sheridan). DR

« Black Flies »: Rut (Sean Penn)
et Cross (Tye Sheridan). DR

PARAMEDIC.- Dans la nuit, l’ambulance du FDNY fait virevolter du rouge et du blanc sur les murs de New York. Dans le vacarme de la sirène, Rut et Cross sont en route pour une intervention. La radio de bord a grésillé : « Blessures par balles »… Pour les paramedics, une nuit comme les autres. Dans un quartier chaud, un homme est allongé dans son sang. Autour, ses amis vocifèrent, voire bousculent les secouristes. Les ambulanciers préparent le blessé pour un transfert à l’hôpital. Cross s’occupe d’un type blessé au pied. Ses collègues l’engueulent : « Laisse-le ! C’est un code jaune ! On a trois codes rouges là-bas… » Ollie Cross est un rookie dans le metier. Ce débutant, qui vit en colocation à Chinatown, travaille comme ambulancier en attendant de pouvoir repasser ses examens de médecine… A ses côtés, il peut compter sur Gene Rutkovsky, le vétéran qui machouille éternellement un cure-dents. Rut est constamment amer et mal embouché mais il ne laisse pas Cross dans la panade quand il est sur le point de perdre un patient…
S’il est né à Paris en 1968, le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire vit à New York depuis 2009. Fasciné depuis toujours par Big Apple, le cinéaste note : « J’ai fini par m’installer dans une maison abandonnée dans le quartier de Bushwick à Brooklyn, et j’y ai monté un cabaret, le Bizarre. Et dès que je me suis installé dans ce quartier, j’ai eu envie de filmer et capturer ce New York que je sentais disparaître, un New York nostalgique encore emprunt des années 90, populaire, avec son extraordinaire diversité, ses mélanges de cultures, de religions, son énergie incroyable mais aussi son chaos, loin de Soho et Time Square. »
Troisième long-métrage de fiction de Sauvaire, Black Flies (USA – 2h. Dans les salles le 3 avril) est une adaptation du roman 911 (publié en 2008) de Shannon Burke, lui-même ambulancier dans le Harlem de l’épidémie de crack des années 1990. Pour le cinéaste français, relater l’enfer quotidien de deux ambulanciers new-yorkais était une aubaine pour explorer New York, parcourir ses artères, y capturer le monde et la réalité de l’époque, en situant l’action dans l’après-pandémie, une période durant laquelle les ambulanciers ont joué un rôle primordial. Avec le quotidien très chaotique de Ruth et Cross, New York est comme une ligne de front. De fait, les urgentistes du Fire Department sont au contact permanent de la misère sociale. Se côtoient aussi bien l’alcoolisme, la drogue, la guerre des gangs, les violences conjugales qu’un accouchement qui finira mal et entraînera les deux ambulanciers dans un funeste vertige. « On est là pour aider et sauver les gens, remarque Ollie Cross, et parfois on fait complètement le contraire… »

"Black Flies": Mike Tyson incarne Burroughs, le patron des urgences. DR

« Black Flies »: Mike Tyson incarne
Burroughs, le patron des urgences. DR

Tye Sheridan, découvert chez Malick dans The Tree of Life (2011) et dans Mud : sur les rives du Mississippi (2012) ou chez Spielberg dans Ready Player One (2018), incarne, avec un air buté, le jeune Ollie Cross, bouleversé voire torturé jusque dans son intimité amoureuse, par toute la détresse humaine. Et Cross devra s’interroger sur des choix cruciaux. Est-il bien nécessaire, se demande l’un de ses coéquipiers (Michael Pitts), de secourir des malheureux qui vous couvrent d’insultes et n’ont aucune volonté de trouver leur place dans la société ? Quant à Gene Rutkovsky, il est bien au-delà de ces questions. Traumatisé par ce qu’il a vécu en première ligne dans les attentats du 11 septembre, Rut a déjà rendu les armes. Sean Penn, le masque buriné et la démarche hésitante, est remarquable en type face à la désolation.

"Drive-Away Dolls": Jamie (Margaret Qualley) et Marian (Geraldine Viswanathan). DR

« Drive-Away Dolls »: Jamie (Margaret Qualley) et Marian (Geraldine Viswanathan). DR

OLISBOS.- Un type complètement tétanisé attend dans un bar glauque quelqu’un qui ne viendra pas. Il serre contre lui une mallette en métal dont on se dit qu’elle doit contenir quelques millions de dollars. Las d’attendre, le nommé Santos s’en va, suivi par le serveur du bar. Santos finira sauvagement assassiné dans une ruelle sombre de Philadelphie. Et la mallette sera emportée par les truands. Planquée dans le coffre d’une voiture, elle doit retrouver son propriétaire à Tallahassee (Floride). Tout se gâte lorsque la jeune et charmante Jamie, en pleine rupture amoureuse avec sa compagne Sukie, se présente dans une agence de covoiturage et demande une voiture pour… Tallahassee ! C’est là que Curlie, le responsable de l’agence, fait l’erreur de sa vie. Il confie les clés de la Dodge Arie à la jeune femme. Et là voilà en route vers la Floride… avec Marian, sa nouvelle petite amie. Avec bientôt un trio de truands à ses trousses.
Depuis quatre décennies, les cinéphiles font fête au duo de cinéastes formé par les frères Joël et Ethan Coen. Et reviennent alors les souvenirs savoureux d’Arizona Junior (1987) à Inside Llewyn Davis (2013) en passant par des moments magiques comme Barton Fink (1991), Fargo (1996), O’Brother (2000), No Country for Old Men (2007) sans oublier le monument que constitue The Big Lebowski (1998).
Pour Drive-Away Dolls (USA – 1h24. Dans les salles le 3 avril), c’est Ethan Coen, en solo, qui est aux manettes, avec l’appui au scénario de Tricia Cooke, son épouse. Cet autre duo a concocté une fable loufoque, évocatrice d’une littérature de gare, qui va suivre deux amies lesbiennes traversant chacune une mauvaise passe et qui décident qu’un road trip leur ferait le plus grand bien. Se définissant comme queer, Tricia Cooke note que l’écriture d’un film avec deux lesbiennes dans les rôles principaux coulait de source. Elle précise cependant: «La grande majorité des films qui mettent en scène des lesbiennes sont des drames, éloquents et sérieux. A contrario, on voulait des héroïnes queer dont la sexualité n’est pas le propos du film. On voulait un film qui traite du sexe avec légèreté, cmme dans les films de série B, pas un film à message sur la sexualité. »

"Drive-Away Dolls": Colman Domingo, C.J. Wilson et Joey Slotnick, le trio de truands. DR

« Drive-Away Dolls »: Colman Domingo, C.J. Wilson et Joey Slotnick, le trio de truands. DR

De fait, il ne faut pas chercher une once de vraisemblance dans cette histoire qui, bien évidemment, ne se prend pas au sérieux. On va, ici, de rebondissements en rebondissements au fur et à mesure que les truands, joyeusement bas du front, cherchent la piste de Jamie et Marian. La première, décidée et gourmande, profite de sa cavale pour collectionner les expériences amoureuses tant dans des bars lesbiens que dans une pyjama-party avec toute une équipe de football féminin. Le tout sous le regard courroucée de Marian qui se meurt d’amour pour Jamie. Et lorsqu’à l’hôtel, Jamie dévore, au propre comme au figuré, une conquête, la pauvre Marian s’en va lire, à la réception, Les européens d’Henri James. Il est vrai que, totalement coincée, elle part de loin, elle qui, adolescente, se servait de son trampoline pour s’élever et voir, par-dessus la clôture, sa pulpeuse voisine dans le plus simple appareil au bord de sa piscine. On en passe des pires et des meilleures jusqu’au moment où la mallette révèle son contenu. Une superbe collection de godemichés !
On ne saurait rien prendre au sérieux dans cette (très) légère mais gentiment coquine bluette. Sinon que Margaret Qualley en Jamie libre d’esprit et Geraldine Viswanathan en Marian pudique, réservée et frustrée s’amusent avec leurs personnages. Et que ceux-ci donnent, ici, des lesbiennes, une vision trash, tonique et malicieuse.

 

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