Quelques jours… avec Alice
On ne peut pas dire que Mathieu aille bien. Pourtant, à la belle cinquantaine joliment grisonnante, c’est un acteur de cinéma qui tourne beaucoup et que le public apprécie. Mais voilà le comédien a le bourdon. « J’ai hésité entre la Suisse et le suicide assisté et une thalasso… » Il a choisi la Bretagne.
Le voilà donc débarquant d’un taxi dans un hôtel immaculé. On lui attribue une suite prestige Océan spirit et va pour le peignoir blanc, les bains à remous, les soins et les massages. Dans sa chambre, un chat chinois en céramique lui fait mécaniquement bonjour et une machine à café (très) sophistiquée lui donne du fil à retordre autant d’ailleurs que les bottes de drainage qui l’empêchent d’atteindre son portable. La petite masseuse, elle, se sert du sien pour s’immortaliser dans un selfie. « J’ai vu tous vos films… » Pour parler à sa femme restée à Paris à cause de son travail à la télévision, c’est plus compliqué pour Mathieu…
Avec Hors-saison, Stéphane Brizé plante un décor à la Tati dans lequel Mathieu a l’air bien emprunté. Tout cela serait d’ailleurs assez burlesque si le comédien n’éclatait pas en sanglots. Il est vrai que l’appel du metteur en scène de la pièce de théâtre que Mathieu a laissé en plan à un mois de la générale, n’est pas sympathique : « On a cru en toi. Ce que tu as fait, c’est violent et minable. C’est pas classe. Tu es un petit mec… » Pas de quoi aller pavoiser dans le sauna !
Et puis l’histoire bascule avec un message déposé à la réception et envoyé par Alice. Elle a dépassé la quarantaine, est mariée et a une fille adolescente. Elle donne des leçons de piano non loin de la thalasso. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps a passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu.
On a remarqué Stéphane Brizé avec Mademoiselle Chambon en 2009 qui lui valut le César de la meilleure adaptation et on l’a suivi ensuite avec sa trilogie sociale : La loi du marché (2015), En guerre (2018) et Un autre monde (2022). Autant dire qu’on est un peu surpris de retrouver ce cinéaste militant, donnant une authentique chronique sentimentale. Pourtant le réalisateur note que c’est un même sentiment qui traverse tous ses films, en l’occurrence la désillusion. « Tous ces personnages, dit Brizé, ont cru en quelque chose, ils avaient toutes et tous une certaine idée du monde et de l’Homme. Et puis, leur regard a été changé après la trahison et l’abandon. Que cela vienne de l’entreprise ou de la famille… » et de constater : « Cela représente finalement pas mal d’années à faire intimement le même parcours que mes personnages et donc à prendre symboliquement les mêmes coups qu’eux. J’ai de toute évidence écrit et réalisé ces films pour acquérir plus de clairvoyance. Mais il n’y a pas d’avantages sans inconvénients et la clairvoyance fragilise. J’ai alors eu besoin de questionner ce moment où j’étais épuisé par la colère sur laquelle s’étaient construits ces films. »
Mais Stéphane Brizé ne perd jamais de vue Alice et Mathieu. Guillaume Canet (qui prend la suite de Vincent Lindon, acteur-fétiche de Brizé) incarne cet acteur en plein doute face à cette Alice (excellente Alba Rohrwacher) qui a masqué son désarroi derrière un sourire poli. Une femme qui a renoncé à ce qui l’habite profondément pour se réfugier dans une vie avec un homme aimant qui ne lui fera jamais de mal. Depuis quinze ans, elle s’est protégée en se réfugiant dans une existence rangée. Mais le pansement commence aujourd’hui à se décoller. Alice se révèle une femme audacieuse qui décide de se mettre en danger. C’est elle qui pose tendrement sa main sur la nuque de Mathieu. On songe même à une scène fameuse entre Meryl Streep et Clint Eastwood dans Sur la route de Madison. Ici, c’est la mer qui prend la place des vastes espaces ruraux de l’Iowa mais il en va aussi d’une brève rencontre, de quelques jours avec Alice.
On croit entendre alors les paroles de la chanson (signée Delerue/Colpi en 1961) qu’Alice fait chanter aux pensionnaires de l’Ehpad où elle intervient…
Trois petites notes de musique
Ont plié boutique
Au creux du souvenir,
C’en est fini de leur tapage
Elles tournent la page
Et vont s’endormir.
Mais un jour, sans crier gare
Elles vous reviennent en mémoire.
Toi, tu voulais oublier
Un p’tit air galvaudé
Dans les rues de l’été.
Toi, tu n’oublieras jamais
Une rue, un été,
Une fille qui fredonnait :
La, la, la, la, je vous aime,
Chantait la rengaine
La, la, mon amour,
Des paroles sans rien de sublime
Pourvu que la rime
Amène toujours
Une romance de vacances
Qui lancinante vous relance.
HORS-SAISON Comédie dramatique (France – 1h55) de Stéphane Brizé avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura, Emmy Boissard Paumelle, Lucette Beudin, Hugo Dillon, Johnn Rasse, Jean Boucault. Dans les salles le 20 mars