Les silences de Delia, les mots d’Edith et les combines de Rachel
COMBAT.- Dans la Rome populaire de la seconde moitié des années quarante, un couple se réveille dans son lit. Et avant même d’avoir échangé deux mots, Ivano colle une méchante gifle à Delia, son épouse et mère de ses trois enfants. Debout à côté de la table du petit déjeuner, en tablier, Delia est aux petits soins pour tous. Pour Marcella, sa grande fille, qui flirte avec Giulio, le fils du glacier Moretti. Pour ses deux fils qui n’arrêtent pas de se chamailler. Pour Ottorino, le vieux grand-père infirme. Pour Ivano, évidemment, qui lui lance : « Tâche de faire un truc bien, aujourd’hui ! » De fait Delia s’active. Elle fait des piqûres à domicile, de la retouche de vêtements, de la réparation de parapluies. Bien sûr, elle met un peu d’argent de côté sur ses gains mais c’est pour la bonne cause, en l’occurrence offrir une belle robe de mariée à Marcella. Hors de chez elle, Delia cultive quelques petits jardins secrets. Elle bavarde avec William, un soldat américain de la Military Police qui patrouille dans les rues de la Cité éternelle et lui offre des barres de chocolat qui lui vaudront une torgnole supplémentaire du jaloux Ivano. Elle partage quelques instants avec Nino, le garagiste qui fut son amour de jeunesse. Seule son amie Marisa partage avec elle de courts moments de légèreté… Et puis, un jour, arrive une lettre spécialement adressée à Delia. Une mystérieuse missive qui va bouleverser son existence…
Réalisé par la Romaine Paola Cortellesi, Il reste encore demain (Italie – 1h58. Dans les salles le 13 mars) a provoqué une raz de marée dans les salles obscures transalpines, cumulant plus de cinq millions d’entrées et s ‘accompagnant d’un mouvement important de contestation des violences faites aux femmes dans la péninsule. La cinéaste explique qu’elle avait « le désir de mettre en scène, à travers Delia, les femmes que j’ai imaginées en m’inspirant des récits de mes grands-mères; des histoires dramatiques racontées avec la volonté d’en sourire ; des histoires de vies dures, partagées avec toutes dans la cour de l’immeuble. Joies et peines, sur la place publique, allaient toujours de pair. »
Dans une Rome partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever, Paola Cortellesi raconte une femme ordinaire, modeste, étouffée, prisonnière de son foyer et totalement soumise à un mari infâme et violent. Bien sûr, elle lit dans le regard de Marcella -son unique grand amour- un muet appel à la rébellion. Mais sa réponse est terrible : « Et j’irais où ? » Cependant, lorsque Delia constaste que Marcella risque de vivre le même enfer qu’elle avec son fiancé, elle ne laissera plus faire.
Glissant du rire aux larmes, avec d’étonnants accents rock’n roll (et parfois quelques afféteries de mise en scène) C’è ancora domani s’inscrit à la fois dans la tradition du néo-réalisme italien comme de la comédie italienne. On songe bien sûr à Rossellini et Rome ville ouverte (1945) d’une part et à Affreux, sales et méchants (1976) de Scola pour traiter d’un drame qui a pris une dimension considérable, celui des violences faites aux femmes. Et puis, côté référence, on apprécie aussi le clin à De Sica et au Voleur de bicyclette (1948) avec un colleur d’affiches à l’oeuvre…
Face à un Valerio Mastandrea excellent en macho et brute épaisse, Paola Cortellesi, humoriste, chanteuse et comédienne de théâtre et de cinéma, campe une Delia que n’aurait pas renié Anna Magnani ou Sophia Loren. Une Delia, dit encore la cinéaste, qui est « notre grand-mère, notre arrière-grand-mère. Qui sait si elles avaient envisagé elles aussi un demain possible. Pour Delia, demain existe. »
INJURES.- Le Littlehampton de 1920 n’est pas encore une station balnéaire à la mode dans le sud de l’Angleterre. Mais on y vit plutôt paisiblement. Lorsque des lettres anonymes chargées d’injures commencent à arriver chez Edith Swan, l’accusant des pires turpitudes, la petite communauté ne tarde pas à être bouleversée. Et tout le monde pointe rapidement du doigt Rose Gooding, la voisine de la famille Swan. Pourtant Rose et Edith semblaient être des amies. Mais il est vrai que cette rousse Irlandaise a le verbe haut et coloré, l’esprit vif et ne se prive pas de dire crûment leur fait aux importuns… Pour les policiers locaux, la culpabilité de Rose ne fait aucun doute. Seule, l’officière de police Gladys Moss, suivie peu à peu par quelques femmes du village, décide de mener sa propre enquête. Et s’il y avait anguille sous roche ? Rose pourrait-elle être la victime des préjugés de son époque, plutôt que la véritable coupable ?
Comédie truculente et irrévérencieuse, Scandaleusement vôtre (Grande-Bretagne – 1h 41. Dans les salles le 13 mars) s’inspire de faits réels qui se sont déroulés dans les années 1920 à Littlehampton. Les protagonistes se nommaient effectivement Rose Gooding, Edith Swan et Gladys Moss, cette dernière ayant été la première femme nommée officier de police dans le Sussex en 1919.
Rose Gooding fut condamnée à deux peines de prison, notamment de douze mois de travaux forcés en 1921. Comme des lettres injurieuses continuaient à circuler, elle fut alors innocentée, libérée et dédommagée. Grâce à l’enquête de Gladys Moss, les soupçons se portèrent alors sur Edith Swan. Arrêtée à la suite d’un flagrant délit, Edith Swan fut d’abord acquittée par le tribunal et finalement condamnée en 1923, après une autre série de lettres, à un an de travaux forcés.
Sur fond de « Fesses de singe », de « Baiseur de lapins » et on en passe de plus salées, la réalisatrice Thea Sharrock réussit un délicieux triple portrait de femmes qui confère à ce film d’époque un touche contemporaine bienvenue. Jessie Buckley, la native de Killarney, s’empare avec drôlerie d’une Rose Gooding, forte en gueule mais qui cache un secret familial. Quant à Olivia Colman, oscarisée pour La favorite (2018) de Yorgos Lanthimos, elle se régale manifestement de son Edith Swan. Vieille fille coincée et infantilisée par ses vieux parents (Gemma Jones et Timothy Spall, grands comédiens britanniques), elle devient hystérique quand elle prend la plume pour aligner goulument les invectives les plus crues. Comme une manière de s’offrir une impossible liberté. Enfin, on découvre Anjana Vasan, comédienne d’origine indiienne, dans le rôle de la maligne Gladys, jeune flic écrasée par le mépris de sa hiérarchie. Savoureux !
FAMILLE.- Un agréable dîner en ville tourne quasiment au drame lorsqu’un convive s’étouffe à cause d’un oedème de Quincke. Dame, il y avait de l’ail dans le goulasch et on ne le savait pas. Sauf Rachel, l’employée de maison, qui avait concocté le plat. Et, en même temps, un braquage dans l’immeuble d’en face où habite l’un des invités, collectionneur d’oeuvres d’art de son état… Car Rachel est une manière de Ma Dalton qui a élevé ses fils Sam et Jérémie, ainsi que son petit-fils Nathan, dans l’art de l’arnaque.
Mais rien à voir avec les « artistes » d’Ocean Eleven ! Eux, ce sont des petits bras, des malfrats à la petite semaine, de parfaits branquignols… Alors, quand lors du braquage, Sam, Jérémie et Nathan mettent la main sur La musicienne, une grande toile de Tamara de Lempicka et qu’ils la volent sans en connaître la valeur, les embrouilles commencent. Nathan se fait arrêter et purge trois ans à la Santé tandis que Sam, son père, se ronge les sangs. Jérémie, lui, a complètement disparu de la circulation avec le tableau. Et voilà qu’entre en piste la belle Céleste, une détective rusée et charmeuse, devenue Nelly pour les besoins de l’enquête. Sam tombe sous son charme mais pas Rachel qui n’apprécie pas du tout cette pièce rapportée…
Avec Les rois de la piste (France – 1h56. Dans les salles le 13 mars), Thierry Klifa, ancien journaliste au magazine Studio, signe son cinquième long-métrage en forme de comédie tendre et loufoque en suivant les tribulations des pieds-nickelés du clan Zimmermann. Au-delà de la fantaisie du propos, le cinéaste interroge les liens du sang : « C’est, dit-il, une source inépuisable de sentiments contradictoires, d’éclats de rire ou de coups de sang, de claques comme de caresses, de chagrins comme de bonheurs… On s’en éloigne. On s’en rapproche. » Ici, c’est autour de la figure de Rachel Zimmermann, mère juive dans toute sa splendeur, que s’articule cette aventure qui aurait gagné à être parfois plus ramassée. Au milieu de ses « princes sans royaume », Fanny Ardant s’en donne à coeur-joie avec un personnage qui excelle autant dans les Zimmetkuchen que dans la manipulation de sa troupe. Une troupe composée de Nicolas Duvauchelle dans un numéro queer (les féministes n’ont pas grincé des dents), de Ben Attal, le prince héritier, comme l’écrit Le Monde, de la dynastie Attal-Gainsbourg-Birkin, en petit-fils rebelle et Mathieu Kassovitz en fils dépressif constamment sous cachets. Ce qui n’empêche évidemment pas son Sam de tomber amoureux de Céleste/Nelly à laquelle Laetitia Dosch apporte son habituel grain de fantaisie. Un divertissement « qualité France » comme aurait dit, en d’autres temps, François Truffaut.