Un héros discret et des chevaliers venus d’ailleurs
MEMOIRE.- Fin septembre 1938, Hitler, en champion du principe des nationalités, décide de « libérer les Allemands des Sudètes » de l’« oppression » tchécoslovaque et exige de Prague l’annexion au Reich de cette région frontalère stratégique. Ainsi, dit-il aux Français et aux Britanniques, ce problème territorial résolu, « l’Europe connaîtra ensuite la paix pour mille ans ».
Mais, du côté de la capitale tchèque, nul n’est dupe des visées du Führer. Et les familles juives ne doutent pas de la solution finale même si elle ne sera formellement décrite qu’en 1942 à la conférence de Wannsee… Pourtant, en 1938, entre Londres et Prague, un courtier britannique (Johnny Flynn en Winton jeune) décide de tout mettre en œuvre, dans les mois précédents la déclaration de guerre, pour sauver le plus d’enfants tchécoslovaques. Il se rapproche du Comité britannique pour les réfugiés de Tchécoslovaquie et s’active pour obtenir des visas, de l’argent pour le transport et un accueil dans des familles de Grande-Bretagne. Cet homme, Nicholas Winton, on le retrouve, dans l’Angleterre de 1987, dans sa belle maison avec piscine… Même âgé, Winton ne cesse de penser aux autres en militant dans des associations caritatives. Son épouse, elle, se désole de voir s’accumuler partout des cartons de documents, d’autant qu’ils attendent la venue de leur fille qui a récemment accouché. Alors Nicholas décide de tout brûler. Mais pas question de faire disparaître une mallette en cuir. Elle contient le précieux « livre de Prague » avec des coupures de presse, des courriers, des listes avec des milliers de noms et surtout les photos des visages tristes des enfants tchèques…
Pour son premier long-métrage, le cinéaste anglais James Hawes donne, avec Une vie (Grande-Bretagne – 1h49. Dans les salles le 21 février) un bon biopic qui, même s’il n’est pas extraordinaire dans sa mise en images, réussit d’une part à rendre hommage à Nicholas Winton dont l’action, durant la dernière guerre, n’était guère connue et d’autre part à provoquer l’émotion, notamment grâce au jeu sensible de cet immense comédien qu’est Anthony Hopkins. Il incarne le vieil homme qui se retourne sur ses souvenirs, hanté par les noms et les photos des enfants qu’il n’a pu arracher à l’ignominie nazie. Un homme qui, dans la tourmente guerrière, s’est dit : « Je dois le faire ! » Et qui entendra un rabbin praguois qu’il doit convaincre de lui donner une liste d’enfants juifs à emmener vers l’Angleterre, lui enjoindre : « Si tu commences, tu achèves ! » Avec fougue et peut-être même un peu d’ingénuité, Nicholas Winton sauvera 669 enfants juifs.
Une vie, fondé sur le livre écrit par Barbara, la fille de Winton, reprend aussi l’événement qui a conduit à faire connaître cet Oskar Schindler britannique du grand public. En 1988, l’émission That’s Life de la BBC consacre une partie de son programme à Winton et à son « livre de Prague » qu’il avait confié à Betty, l’épouse française de Robert Maxwell, le magnat de la presse anglaise, avant de le déposer au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. A cette occasion, Winton (disparu en 2015 à l’âge de 106 ans) retrouvera des enfants, désormais adultes, qui ont survécu grâce à lui.
Alors, on peut entendre la litanie des noms des « enfants de Nicky » : Elsie, Petr, Jan, Marta, Esther, Vera, Hanus…
APOCALYPSE.- Jeune marin-pêcheur sur la mer du Nord, Jony mène une existence paisible auprès de sa mère et de son jeune fils, le blond Freddy. A proximité de sa maison donnant sur les dunes, passe parfois la mignonne et assez délurée Line, constamment en train de se filmer avec son portable. Ce jour-là, son ex-femme, accompagné d’un certain Rudi, passe récupérer Freddy. Las, leur voiture fait soudain des tonneaux dans un champ. Alors que Freddy est indemne, sa mère est éjectée du véhicule et git, mourante, dans l’herbe. C’est alors que Rudi dégaine un sable laser et décapite la jeune femme… L’apocalypse serait-elle en marche ?
Avec L’empire (France – 1h50. Dans les salles le 21 février), Bruno Dumont est de retour sur le grand écran après un France (2021) qui nous avait quelque peu laissé sur notre faim. En son temps, à Cannes, le cinéaste avait sacrément défrayé la chronique avec des films remarqués comme La vie de Jésus (1997) et L’humanité (1999), tous deux primés sur la Croisette. Ici, il ne va manquer d’être très clivant, comme on dit aujourd’hui… Car, dans cette réflexion sur l’amour et la mort mais aussi sur la lutte du Bien et du Mal, le nouveau film de Bruno Dumont tient tout à la fois d’une aventure… galactique et d’une chronique du Boulonnais avec ces petites gens de la Côte d’Opale et des Hauts de France auquel le cinéaste est très attaché. « Le Bien et le Mal, dit Dumont, n’existent pas en soi ; dans le réel et le commun, c’est juste l’humain qui se dresse ou s’abaisse, ici et là. La conduite morale n’est pas une balance : c’est une bascule…. »
S’il risque assurément de défriser les tenants purs et durs de la saga Star Wars, Bruno Dumont s’amuse cependant à dézinguer les mythes dans une guerre des mondes burlesque. On est alors invité à le suivre dans une narration volontiers bouffonne et parfois franchement hilarante. Mais comme le film a aussi des coups de moins bien, on peut être enclin alors à décrocher. Reste à se délecter de situations loufoques, du passage de vaisseaux spatiaux ou d’un cyclone mais essentiellement de personnages que le cinéaste trousse avec une belle aisance surtout lorsqu’il s’agit d’individus constamment décalés comme le couple de gendarmes en civil déjà présents dans la mini-série P’tit Quinquin (2014). Autour de Jony (Brandon Vlieghe), on remarque deux jeunes femmes, potentiellement dangereuses mais très séduisantes, incarnées par Lyna Khoudri et Anamaria Vartolomei. Au passage, Dumont montre qu’il n’a rien de sa capacité à filmer des scènes purement sexuelles… Camille Cottin fait une apparition en reine/maire mais c’est surtout Fabrice Luchini qui s’en donne à coeur-joie. Délaissant la retenue adoptée naguère dans La petite de Guillaume Nicloux, Luchini apparaît complètement en roue libre dans un Belzébuth ricanant et vociférant et portant un invraisemblable pyjama molletonné. Le dernier mot appartient au petit Freddy qui, apaisé, lâche : « C’est tout ».