Marthe, le peintre, le cinéaste et la puissance du désir
COUPLE.- « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »
Dans le Paris de 1893, le crayon de Pierre Bonnard dessine, dans un trait léger, le contour d’un visage… « Ca vous arrive souvent de ramasser des filles dans la rue ? » lui lance son modèle. « Vos seins, s’il vous plaît ! » Marthe de Méligny est surprise. Bonnard tente de l’embrasser. Elle le gifle avant de tomber dans ses bras dans une vive étreinte physique. Entre Pierre et Marthe, c’est désormais à la vie à la mort… Et même si le peintre des Nabis connut d’autres femmes comme la pétulante Misia (Anouk Grinberg) ou la fine Renée (Stacy Martin), il reviendra toujours à cette muse énigmatique qui occupe, à elle seule, presque un tiers de son œuvre… Même si Marthe se désole (« Pourquoi mon visage est -il toujours flou ? ») elle appartient pleinement, et de toute éternité, à l’oeuvre magistrale de Bonnard.
C’est la petite nièce de Marthe Bonnard qui, persuadée qu’on ne mesurait pas assez le rôle fondamental qu’elle a tenu pour Bonnard, parla d’elle à Martin Provost alors qu’il venait de montrer Séraphine (2008). Mais le cinéaste n’avait pas envie de faire un autre film sur la peinture. Il se tourna vers d’autres sujets (Violette en 2013, Sage femme en 2017 ou La bonne épouse en 2020) avant, au temps du covid, de repenser à Bonnard Pierre et Marthe (France – 2h03. Dans les salles le 10 janvier) et de se mettre au travail, lui qui venait de s’installer à la campagne, tout près de la célèbre Roulotte et dans les paysages magnifiés par le regard de Bonnard…
Dans un cinéma qui fait la part belle à la lumière, à la couleur et à la nature, Martin Provost sonde, ici, le mystère Bonnard, un mystère, quasiment une quête, du moins un chemin intérieur, qui s’incarne dans la représentation obsessionnelle du corps de Marthe, dans le lien indissociable qui les unit. Si le film (qui avoue prendre des libertés avec le parcours de Pierre et Marthe) peut se voir comme un biopic sur le peintre, c’est bien l’omniprésence de Marthe qui fascine. Offerte, énigmatique, lumineuse, impudique, puis peu à peu, alors qu’elle devient folle, repliée sur elle-même, le plus souvent dans sa baignoire, éternellement jeune, et éternellement fuyante. Dans cette histoire envoûtante par la puissance du désir créatif et charnel qui s’en dégage, on voit passer Claude Monet ou Edouard Vuillard venus croiser, amicalement, le chemin du « peintre du bonheur ». Martin Provost a, enfin, trouvé pour incarner, deux comédiens en verve. Magistralement, Vincent Macaigne s’est métamorphosé en Bonnard. Quant à Cécile de France, elle est touchée par la grâce et donne une interprétation, parfois franchement bouleversante lorsqu’elle souffre d’être cantonnée au rôle de muse ou d’égérie, d’une Marthe qui partage pour toujours l’éternité de Bonnard…
TOURNAGE.- « On est parti pour quarante jours de tournage… » Le ton est-il enjoué ou inquiet ? Pour l’heure, tout va plutôt bien sur le nouveau film de Simon, réalisateur aguerri, qui s’apprête à raconter le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Mais le cinéaste, qui passe ses soirées dans sa chambre, devant FaceTime, à tenter de renouer les liens de son couple, va devoir affronter une série de tempêtes. Car les financiers du studio veulent que le film se termine bien tandis que le producteur accumule les magouilles, que les comédiens se prennent la tête, notamment parce qu’Alain, la vedette, a une fâcheuse propension à tirer la couverture à lui. Dans cette aventure qui semble prendre un tour infernal, le seul allié de Simon pourrait bien être un jeune figurant auquel le metteur en scène va confier la réalisation du making of…
Après l’excellent Procès Goldman, sorti fin septembre 2023, Cédric Kahn, tel un… Quentin Dupieux, enchaîne déjà avec ce Making Of (France – 1h54. Dans les salles le 10 janvier) qui pourrait bien être sa Nuit américaine à lui même s’il préfère citer, comme référence, Ca tourne à Manhattan (1995) de Tom Di Cillo. Comme Truffaut en 1973, Kahn passe de l’autre côté de l’écran pour montrer, à travers les affres d’un réalisateur, l’envers du décor. Nous voilà donc dans les coulisses d’un tournage qui va, petit à petit, prendre l’eau. Pour Cédric Kahn, son film, sous-titré Le monde merveilleux du cinéma, est un projet ancien qu’il caresse de faire depuis ses années de stagiaire. « Ce n’est pas un film sur le cinéma en tant qu’objet d’art ou de fantasme mais sur le cinéma en tant que travail (…) beaucoup de choses que je raconte dans ce film pourraient sûrement se transposer ailleurs. Le cinéma est un microcosme social comme un autre et les rapports de classe qui s’y exercent, y sont similaires. »
A la fois drôle et dramatique, Making Of s’avère virtuose dans l’emboîtement de différents niveaux de fiction. La virtuosité est aussi du côté des comédiens avec, en tête, Denis Podalydès en cinéaste en dépression et Jonathan Cohen en vedette à l’ego imposant. Mais autour d’eux, on remarque aussi Xavier Beauvois, Emmanuelle Bercot, Souheila Yacoub ou Stephan Crepon. Tous font passer, avec fluidité, cette histoire où, in fine, l’équipe se dit qu’elle a bien de la chance d’être là.
APPLI.- Tandis qu’il la manipule vigoureusement, l’ostéopathe d’Iris l’interroge : « Comment ça va, la vie ? » En se rendant bien compte qu’il écoute à peine sa réponse, Iris constate que tout va bien. Elle a un mari formidable, deux filles parfaites, un cabinet dentaire florissant . La question que l’ostéo ne pose pas : « Depuis quand n’avez-vous pas fait l’amour ? » Comme si elle lisait les pensées qui troublent Iris alors qu’elle attend son tour pour un rendez-vous parent/prof, une femme lui suggère : « Rien de plus simple que de prendre un amant ! » Deux clics sur une banale appli de rencontre et le tour est joué. C’est le bon coin du sexe sans prise de tête. Les messages bipent à tour de bras. Les hommes se bousculent… Comme s’il en pleuvait !
Avec Iris et les hommes (France – 1h38. Dans les salles le 3 janvier), on retrouve à la fois Caroline Vignal et Laure Calamy qui, en 2020, avaient réussi, derrière et devant la caméra, le réjouissant Antoinette dans les Cévennes. Sur les chemins de Stevenson, Antoinette (et son âne) cherchait son amant. Ici, Iris part à la chasse des hommes parce qu’elle est bien obligée de constater qu’elle s’ennuie dans son couple. Bien sûr, Stéphane (Vincent Elbaz) est adorable mais il a la tête ailleurs. Dans le lit conjugal, Iris a beau lire Femme désirée, femme désirante, rien n’y fait. Alors, Iris décide alors de se reconnecter avec son désir. Au grand dam de son adolescente de fille qui affirme qu’il faut savoir dire non, Iris objecte qu’il faut apprendre à dire oui. Jouer la carte du poly-amour, jouir enfin.
Comédie de mœurs plutôt souriante, le film permet essentiellement à Caroline Vignal de concocter un rôle sur mesure pour Laure Calamy qui, à travers Iris, dévoile sa fragilité qui est aussi celle de beaucoup de femmes, à l’approche de la cinquantaine. D’une scène à l’autre, elle incarne une femme mûre, « rangée des voitures », qui aurait prématurément renoncé à l’amour, une toute jeune fille à fleur de peau, une femme adulte en pleine possession de ses moyens, de sa puissance sexuelle. Enfin et surtout, dans le regard des hommes, Iris est une femme magnifique, bouleversante, infiniment désirable.