La collégienne et l’icône rock
Dans l’Allemagne de 1959, Priscilla, collégienne de 14 ans, s’ennuie ferme. Elle a suivi sa mère et son père Paul Beaulieu, officier de l’US Air Force, d’origine franco-canadienne, sur une base militaire américaine de la Hesse. Un jour, dans un café où elle sirote un Coke, un militaire lui propose de venir à une soirée où se trouvera Elvis Presley qui fait alors son service dans la 3e division blindée basée à Friedberg. Les parents Beaulieu ne l’entendent pas du tout de cette oreille. Mais la gamine obtiendra néanmoins le droit d’aller à cette party qui changera son existence…
Pour porter à l’écran son huitième long-métrage, Sofia Coppola s’est appuyé sur Elvis and Me, les mémoires de Priscilla Presley, aujourd’hui âgée de 78 ans, écrites en 1985 en compagnie de Sandra Harmon. « En lisant l’histoire de Priscilla pour la première fois, raconte la cinéaste, j’ai été frappée de voir à quel point on pouvait s’identifier à elle, bien qu’elle évolue dans un environnement peu commun. Je me suis rendue compte que nous la voyions comme une présence inattendue aux côtés d’Elvis, mais que nous ne la percevions pas au-delà de cette apparence. Priscilla était considérée dans l’univers des tabloïds comme « la femme-enfant d’Elvis », mais j’avais le sentiment qu’il y avait une histoire bien plus intéressante à raconter… »
De fait, la réalisatrice de Virgin Suicides (1999), Lost in Translation (2003) ou Marie-Antoinette (2006) s’intéresse, ici, au rêve éveillé d’une gamine qui devient réalité. A Elvis qui lui demande ce qu’écoutent les jeunes de son âge, elle sourit : « Bobby Darin, Fabian et… toi ! » Bouleversé et fragilisé par la mort toute récente de sa mère bien-aimée, Presley va immédiatement s’intéresser à cette timide adolescente qui lui avoue que sa chanson préférée est Heartbreak Hotel dont le King fit, en 1956, un tube planétaire… Mais pas question pour Elvis, conscient de leur différence d’âge, d’aller plus loin. D’ailleurs les parents de Priscilla veillent au grain. Une soirée, entendu, mais on s’en tiendra là. C’est sans compter cependant sur le désir de la collégienne de revoir celui qui n’est déjà plus tout à fait une star pour elle…
Lorsque Presley rentre aux Etats-Unis, l’univers de Priscilla s’effondre, d’autant qu’elle reste sans nouvelles de lui. En feuilletant, le coeur lourd, des magazines qui racontent la vie et les frasques de la star du rock, Priscilla est persuadée qu’Elvis l’a oubliée. Pourtant, en 1962, Elvis se manifeste et invite Priscilla à venir lui rendre visite dans sa maison de Graceland. Dans le courrier, un billet d’avion aller-retour en première classe… Dans l’immense bâtisse de Memphis, Priscilla rencontre la famille et les amis d’Elvis qui l’emmène passer un week-end à Las Vegas… Alors que la jeune fille doit retourner en Allemagne, le chanteur parvient à convaincre les parents Beaulieu de laisser leur fille venir s’installer chez lui pour y terminer ses études secondaires dans une école catholique voisine…
C’est de l’intérieur que Sofia Coppola choisit de montrer la vie de Priscilla. Le récit se déroule à la manière d’un conte vécu sur fond de souvenirs, d’abord enfantins, quasiment idéalisés avant que l’horizon ne s’élargisse tandis que « Cilla » mesure, peu à peu, combien son univers est à la fois tentateur mais surtout étouffant. Au fur et à mesure des absences d’Elvis parti à Hollywood pour jouer dans des comédies musicales souvent indigentes que le colonel Parker, son redoutable et vorace imprésario, lui ordonne de tourner, Priscilla erre, seule et fantomatique, dans un Graceland aux allures de mausolée.
La jeune femme -dont Elvis a remodelé la silhouette en choisissant ses tenues et en lui demandant de se teindre les cheveux en voir- va devenir adulte en expérimentant à la fois une immense célébrité et une profonde solitude. Sofia Coppola, avec de superbes images nimbées dues au directeur de la photo français Philippe Le Sourd, saisit parfaitement cette « bulle » dans laquelle Priscilla est prise et qu’il lui faudra faire exploser pour « revivre » malgré l’amour réel qu’elle porte à Elvis.
Sans jamais appuyer le trait, en donnant constamment à la figure zombiesque d’Elvis (on ne le voit jamais chanter sur scène) une position extérieure au parcours de Priscilla, la cinéaste fournit des éléments biographiques comme leurs relations chastes jusqu’au mariage en 1967, la naissance de Lisa Marie, la dépendance du chanteur aux médicaments et la manière dont il initie sa compagne aux amphétamines ou encore la souffrance de Priscilla lorsqu’elle découvre, dans les médias, les aventures d’Elvis avec Ann-Margret ou Nancy Sinatra… Mais, grâce à la forte interprétation de Cailee Spaeny (couronnée meilleure actrice à la Mostra de Venise), Priscilla apparaît comme un vrai personnage de chair et de sang qui va s’inscrire pleinement, au côté d’Elvis, dans l’histoire culturelle américaine.
Lasse de vivre « des vies séparées », Priscilla Presley, qui a pris de plus en plus son existence en main, quittera Elvis en 1972 avant de divorcer l’année suivante…
Sofia Coppola achève son Priscilla en montrant la jeune femme quittant Graceland au volant de sa voiture tandis que s’élève la voix de Dolly Parton chantant le célèbre I Will Always Love you dans un mélange de chagrin et d’excitation. « Je tenais à cette chanson, dit Sofia Coppola, parce qu’il me semblait important que l’on entende une voix de femme à la fin du film. L’émotion de la chanson épouse parfaitement ce moment dans la vie de Priscilla. Même si elle l’aime toujours, il est temps pour elle de quitter Elvis et de renoncer au rêve que représente Graceland pour aller mener sa propre vie ».
PRISCILLA Comédie dramatique (USA – 1h53) de Sofia Coppola avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Dagmara Dominczyk, Ari Cohen, Tim Post, Lynne Griffin. Dans les salles le 3 janvier.