Mahito à travers les mondes
Dans la nuit, un enfant se réveille… Dans sa maison, c’est le branle-bas de combat. Car, justement la guerre et ses bombardements ont provoqué l’incendie d’un hôpital. Par les fenêtres, on aperçoit de terribles rougoiements. Le rouge des flammes embrase tout le ciel. Même si son père lui ordonne de ne pas sortir de sa chambre, Mahito, 11 ans, s’habille en hâte et fonce, à travers les rues et la foule en panique, vers l’établissement où sa mère est hospitalisée… Tragiquement, il lui faudra admettre que sa mère est morte. Face aux ravages de la guerre, son père décide de quitter Tokyo pour partir vivre dans le petit village où sa défunte épouse a grandi. A la gare, c’est Natsuko qui les accueille. Cette belle femme lui glisse : « Je vais être ta nouvelle maman » mais le gamin remarque furtivement que son père et Natsuko sont très proches… Tandis qu’il se morfond dans sa chambre, Mahito observe le manège d’un héros gris cendré qui passe et repasse devant ses fenêtres. L’étrange oiseau lui adressera la parole avant de devenir son guide et de l’aider, au fil de ses découvertes et questionnements, à comprendre le monde qui l’entoure et percer les mystères de la vie…
Au grand dam de ses admirateurs, Hayao Miyazaki avait annoncé, par la voix du président du légendaire Studio Ghibli, lors de la Mostra de Venise 2013, qu’il prenait sa retraite. Mais, en 2016, le cinéaste japonais, aujourd’hui âgé de 82 ans, indiquait travailler sur un nouveau long-métrage. Selon son producteur Toshio Suzuki, Miyazaki travaille sur ce film pour son petit-fils afin de lui faire comprendre que « son grand-père part bientôt pour un autre monde mais laisse ce film derrière lui car il l’aime »… Mais le maître nippon a avoué aussi que, seule, la mort pourrait le stopper.
D’emblée, on lui sait donc gré de proposer un nouveau périple fantastique dans lequel le spectateur peut se régaler des méandres d’une aventure qui traverse toutes une série de mondes.
Le garçon et le héron (qui a demandé à son auteur sept années d’efforts) n’est « que » le douzième long-métrage de Miyazaki et pourtant cette œuvre est une merveille foisonnante d’imaginaire visuel autant que de moments de pure émotion. Tout a commencé en 1979 avec Le château de Cagliostro pour se poursuivre avec des pépites comme Le château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988), Le voyage de Chihiro (2001) ou encore Le château ambulant (2004) pour lequel le cinéaste s’est inspiré des décors de… Colmar afin de représenter la ville natale du personnage de la jeune modiste Sophie. Dans cet ensemble, le cinéaste considère que, seul Porco Rosso et son cochon aviateur (1992) est un film conçu spécialement pour les enfants.
De fait, quand on entre dans Le garçon et le héron, on s’abîme rapidement, tout en étant emporté par le brio et la magie des images, dans un film qui invite à une véritable réflexion sur le sens de la vie, sur les choix à faire dans l’existence, sur la nécessité de construire un monde meilleur et plus bienveillant ou moins malveillant…
Plus qu’un film testamentaire ou un film-somme, Le garçon et le héron est une nouvelle pierre, aux multiples motifs souvent récurrents ainsi la passion du maître pour la nourriture et la représentation du repas japonais comme valeur de partage. Ici, Miyazaki semble aussi se retrouver à la fois dans le jeune héros qui cherche désespérément sa mère (un thème central chez Miyazaki) et le grand-oncle, vieux sage inquiet de l’avenir du monde, qui est en quête d’un successeur pour construire un monde d’abondance, de paix et de beauté.
On se régale, ici, d’univers où les portes s’ouvrent et se ferment sur des mondes différents. On meurt dans l’un, on renaît dans l’autre. Mais on est néanmoins en pays de connaissance tant les films de Miyazaki racontent presque tous une catastrophe annoncée déjouée par un héros au coeur pur. C’était le cas précisément dans Princesse Mononoké (1997) comme dans Ponyo sur la falaise (2008). La catastrophe, ici, est clairement évoquée avec la guerre du Pacifique (on voit les cockpits d’avion sortir de l’usine du père qui participe à l’effort de guerre) mais c’est bien à notre époque que pense le cinéaste philosophe avec les angoissantes incertitudes actuelles sur la paix.
Alors, comme il l’avait déjà fait dans Le vent se lève (2013), Miyazaki fait sien le vers de Paul Valéry dans Le cimetière marin : « Il faut tenter de vivre ».
Mahito, qui s’est blessé lui-même à la tête tant son désespoir était immense, va relever la tête, affronter les dangers, rencontrer un étrange bestiaire (des warawara aux perruches militaires en passant évidemment par l’ami héron) et de belles personnes, à l’instar des malicieuses mamies du manoir ou encore la rude et courageuse Kiriko qui fend les flots comme elle fend les flancs d’un énorme poisson et, in fine, Himi, la fille du feu, qui deviendra son alter-ego…
Avec Kiriko, Mahito vogue aux abords d’une crique envahie de bateaux fantômes peuplés d’êtres sans visage… On a l’impression alors d’aborder sur la fameuse Ile des morts représentée en 1886 par le Bâlois Arnold Böcklin. En matière d’onirisme et de fantastique, Miyazaki connaît ses classiques. Quant au monolithe magique du grand-oncle, il fait irrésistiblement songer à Magritte. C’est à côté du monolithe que le vieux sage confie à Mahito une poignée de pierres aux formes géométriques. Comme le souligne Bernard Génin, enseignant spécialisé dans l’animation, leur assemblage, réussi ou non, fera du monde, une abomination ou une merveille…
LE GARCON ET LE HERON Animation (Japon – 2h03) de Hayao Miyazaki. Dans les salles le 1er novembre.