Mademoiselle Pove et Gus battent la campagne
Devant une salle comble zébrée par les stries éclatantes des projecteurs, un chauffeur de meeting s’égosille : « Voici celui que tout le pays attend ! Pierre-Henri Mercier ! Notre futur président ! » Dans le véhicule qui l’emporte après le meeting, le candidat voit s’afficher sur son téléphone des messages aussi sybillins qu’inquiétants : « Se doute de quelque chose », « Attention à vous », « Gardez votre sang froid ». Soudain une violente explosion souffle la voiture. Difficilement, le candidat s’extrait du véhicule sur le toit. Alentour, la rue est défoncée, des blessés gisent sur les trottoirs. Une explosion de gaz, d’après les premiers éléments relayés par les médias…
Dans la rédaction d’une chaîne de télévision, Mademoiselle Pove, une grande bringue frisée à lunettes, est à mille lieux de l’actualité politique. Enfin, elle a bien connu le domaine mais une bêtise (un reportage à charge sur les actionnaires de la chaîne) lui a valu de tomber en disgrâce et d’être mutée au football. Pourtant son téléphone sonne. C’est Super Connard, en l’occurrence Robard, le patron de la chaîne. Faute de journalistes disponibles, celui-ci a décidé de mettre la journaliste sur les derniers jours de la campagne présidentielle. Ce n’est pas un choix très risqué car la campagne ronronne et le candidat s’achemine tout droit vers la présidence. Mais on prévient quand même Mlle Pove : elle ne posera que les questions qu’on lui aura préparées… Toujours flanquée de son fidèle Gus, cameraman, preneur de son et monteur, la reporter n’arrive pas à croire vraiment au côté bien trop lisse du candidat. Mieux, ses souvenirs remontent fugitivement à la surface. Jeune lycéenne, elle a cotoyé PHM… Alors, elle en est convaincue : « Il doit avoir des failles, ce mec ! »
Avec Second tour, Albert Dupontel passe pour la huitième fois derrière la caméra et signe un film étonnant et parfois déroutant où se mêle la chronique politique, le thriller mais aussi une manière de fable écologique. Le cinéaste confie que l’idée du film lui est venue en visionnant un documentaire très sérieux, Bobby Kennedy for Président, sur la campagne de Robert Kennedy en 1968 et sa tragique conclusion : « Son discours à Indianapolis dans un ghetto black où il annonce la mort de Martin Luther King m’a ému et impressionné car pour la première fois je voyais la puissance d’une parole politique improvisée donc sincère, sa puissance émotionnelle et poétique (…) À partir de là, mon esprit rocambolesque a eu envie de bâtir une fable : Et si Robert Kennedy n’avait rien dit de ses véritables intentions politiques et sociales ? Quelques semaines avant son assassinat, Romain Gary l’avait averti « Est-ce que vous vous rendez compte qu’ils vont vous tuer ? ». Robert Kennedy avait répondu qu’il le savait. Cette détermination à la fois héroïque et résignée a été le point de départ de mon personnage imaginaire Pierre-Henry Mercier. »
Dans un réjouissant réseau d’histoires qui se croisent et s’enrichissent au fur et à mesure, Dupontel brode une sorte de bande dessinée très rythmée avec une lumière contrastée, des mouvements de caméra, des focales variées dans une même scène, un montage souvent très cut ou encore une musique très présente. Quel que soit le sujet -politique, justice, monde consumériste- le réalisateur s’ingénie à rendre belles des choses qui sont parfois rustiques. Ici, la politique, avec ses discours formatés, ses hommes politiques passés dans le même moule, ses hommes de main, ses meetings, son grand débat, n’est pas tant un « univers impitoyable » qu’un immense foutoir.
Alors le cinéaste d’Adieu les cons (gros succès dans les salles avant et après le Covid avec deux millions d’entrées) s’en donne à coeur-joie et se régale avec le savoureux duo Mlle Pove/Gus peu à peu embarqué dans une aventure de plus en plus loufoque, voire délirante où les coups de feu pleuvent, où passent deux agents du Mossad, un garde du corps mutique, un geek encapuchonné mais aussi un étrange et doux apiculteur…
Toujours acteur dans la peau, Dupontel qui a pris en charge le personnage du candidat, réunit Cécile de France et Nicolas Marié, un véritable complice présent pour la septième fois dans son cinéma. Si Cécile de France, laissant de côté avec beaucoup de finesse sa gouaille, campe une journaliste plutôt cérébrale, voire minérale mais toujours déterminée et pugnace, Nicolas Marié occupe le rôle de l’Auguste. Avec son air pas fut-fut, son Gus s’y connaît pourtant en lecture labiale et il fournit à sa collègue un précieux indice lorsqu’il déchiffre un « Fils de pute » sur les lèvres d’un proche du candidat. Cette compétence de Gus lui vient de sa longue fréquentation du ballon rond. On peut, ici, soupçonner Albert Dupontel (mais on peut aussi se tromper) de ne pas être un grand fan de football. Car, chaque fois qu’il en est question, le cinéaste tacle avec une manifeste jubilation. Ainsi l’entraîneur incarné par Bouli Lanners est solidement crétin tandis que le passe-temps de Gus -un casque de réalité virtuelle sur la tête- consiste à choisir son gardien de but pour avoir le plus de chance de marquer son penalty !
Dédié à Bertrand Tavernier, Jean-Paul Belmondo et Michel Deville, Second tour, sans avoir la prétention d’être un film à message, se penche avec un humour grinçant, sur les maux et les dysfonctionnements de notre société mais en imaginant cependant un plan B. Et si l’on parle à Dupontel de sa vision du monde de demain, il cite Hannah Arendt : « Je me prépare au pire en espérant le meilleur ».
SECOND TOUR Comédie dramatique (France – 1h37) de et avec Albert Dupontel et Cécile de France, Nicolas Marié, Uri Gabriel, Philippe Uchan, Catherine Schaub Abkarian, Gilles Gaston-Dreyfus, Scali Delpeyrat, Christine Millet, Florence Monge, Bouli Lanners, Philippe Duquesne, Jacky Berroyer, David Marsais. Dans les salles le 25 octobre.