Le désir de Lydia et la belle rencontre de Marie-Line
MATERNITE.- Sale coup pour Lydia… Alors qu’elle ne s’y attend pas, son copain lui laisse entendre qu’il a eu une aventure amoureuse avec une autre fille. Blessée, Lydia coupe les ponts et trouve soutien et refuge chez sa meilleure amie Salomé. Celle-ci lui apprend qu’elle est enceinte. Les femmes enceintes, c’est le quotidien de Lydia, sage-femme dans un hôpital de la région parisienne et très investie dans son travail… Mais la jeune femme va se retrouver dans un état vague, sans doute lié à sa rupture et à la prochaine maternité de Salomé. En tout cas, Lydia rentre de moins en moins chez elle. Elle traîne la nuit dans la ville et y rencontre le taiseux et insomniaque Milos, machiniste de la RATP d’origine serbe. Entre les deux, le courant semble passer. Mais lorsque Salomé accouche dans le service de Lydia, celle-ci, qui dit souvent « Je m’occupe plus des mamans que des bébés », est bouleversée par le nourrison. C’est même Lydia qui va proposer un prénom pour la fillette : Esmée, autrement dit celle qui est aimée. Mais qui aime le plus la petite Esmée ? Ses parents ou Lydia ? Cette dernière va alors s’enfermer dans une dramatique spirale de mensonges…
Avec Le ravissement (France – 1h37. Dans les salles le 11 octobre), Iris Kaltenbäck passe pour la première fois au long-métrage. Après des études de droit, elle se tourne vers le cinéma, entre à la Femis, section scénario, réalise des courts, travaille contre scénariste et chargée de développement dans une société de production… « Ce qui m’a tout de suite interpellée, dit la cinéaste, c’est l’amitié qu’on devine entre ces deux femmes. J’ai moi-même vécu ce décalage étrange quand, il y a quelques années, une amie très proche est devenue mère à un moment où je ne me sentais moi-même pas du tout concernée par cela. On parle beaucoup de ce que provoque l’arrivée d’un enfant dans un couple, mais moins de ce que ça déclenche dans une amitié. » Iris Kaltenbäck va alors suivre au plus près cette Lydia qui fuit devant ce qui la fragilise pour s’enfermer dans la solitude et le mensonge. Celui-ci ne peut que s’imposer à la sage-femme à partir du moment où elle incarne une image d’Epinal de la maternité. Très seule et avec un besoin fou d’être aimée, Lydia se perd alors dans le regard des autres. Ainsi le regard de Milos change au moment où il la voit comme une mère. Malheureusement pour elle, Lydia se laisse happer par ce regard et la redoutable spirale des affabulations va l’emporter. La cinéaste signe un beau récit porté de bout en bout par la voix off de Milos qui interroge sa place de complice inconscient dans l’histoire. Elle peut compter évidemment sur une comédienne brillante en la personne d’Hafsia Herzi. Elle donne corps, douloureusement, à une Lydia qui s’enlise dans le faux avant de voir naître, dans le mensonge, une vérité. Et de la mystification initiale vont surgir de vrais sentiments.
Autour de Hafsia Herzi (on se souvient toujours de sa danse aux confins de la transe dans La graine et le mulet en 2007 mais aussi du beau Tu mérites un amour, sa première réalisation en 2019), Nina Meurisse (vue dans Camille en 2019 et Les algues vertes en 2023) est une Salomé confrontée au bouleversement de la maternité et à la violente solitude du post-partum. Quant à Alexis Manenti (Les Misérables en 2019), son Milos est un travailleur de nuit, sans grand désir d’avenir jusqu’à sa rencontre avec Lydia…
CONTE.- Tatouée de toutes parts, les cheveux un peu trop roses, la jupette un peu trop courte, Marie-Line Leroy, 20 ans, n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler une fille classe. Mais cette serveuse, aussi énergique qu’un peu trop bruyante d’un bar du Havre, n’est pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Elle vit dans une modeste maison avec un père (Philippe Rebbot) amputé d’une jambe à la suite d’un accident du travail dans le port. Sa sœur aînée a fui le domicile familial lorsque la mère de famille a mis fin à ses jours. Un jour, Marie-Line croise le regard d’Alexandre. Il est séduisant en diable. Marie-Line tombe folle amoureuse. Las, Alexandre cultive des rêves de cinéma et cite Truffaut dans toutes ses phrases. Pour Marie-Line, Truffaut, c’est une… jardinerie. Un soir, les deux s’engueulent. Marie-Line pousse Alexandre (Victor Belmondo) dont la tête tape un capot de voiture. La police intervient. En comparution immédiate, Marie-Line se retrouve devant le tribunal correctionnel. Et le président n’est pas des plus affables…
C’est là où Le ravissement s’achève que commence Marie-Line et son juge (France – 1h43. Dans les salles le 11 octobre), c’est-à-dire dans une geôle où l’héroïne du nouveau film de Jean-Pierre Améris attend de paraître devant la Justice pour les voies de fait sur Alexandre… Elle sera condamnée à une amende qu’elle est bien en peine de payer. Et si la solution venait de… Gilles d’Outremont, le magistrat qui a condamné Marie-Line? En s’appuyant sur Changer le sens des rivières, le roman de Murielle Magellan publié en 2019 chez Julliard, le cinéaste des Emotifs anonymes livre un conte de fées urbain où Marie-Line et Gilles, alors même qu’ils appartiennent à des mondes qui ne sont pas faits pour se rencontrer… sinon à la barre, vont réussir à faire un bout de chemin ensemble. Car, sous ses dehors rigides, le magistrat trimballe un drame qui l’empêche de conduire une voiture. Il embauche donc Marie-Line comme chauffeur. Jamais cynique, Jean-Pierre Améris aime les humbles, les gens modestes sur lesquels il pose un regard plein d’humanité et de chaleur. Bien sûr, on pourra trouver ça trop mignon, carrément plan-plan si, justement, le cinéaste n’avait, dans cet éloge de la rencontre, cette tendresse empathique pour ses personnages. Il trouve en Michel Blanc un magistrat parfait et complexe dont la vie n’a pas été rose et qui s’est enfermé dans une tour d’ivoire avant d’éclore au contact d’une Marie-Line bien moins cruche qu’il n’y paraît. Avec douceur et malice, Louane Eméra (révélée au cinéma par La famille Bélier en 2014) s’approprie cette prolo à l’anglo-saxonne, bien partie pour s’émanciper !