L’éclatante vengeance de Bernie
Décidément le politique occupe actuellement le grand écran français ! Après l’évocation par Cédric Kahn de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, braqueur et coqueluche de la gauche intellectuelle des seventies, c’est une autre figure emblématique -de la droite française, cette fois- qui est priée, sur le mode de la franche comédie, d’attirer l’attention des spectateurs des salles obscures.
C’est d’ailleurs une sorte de choeur à mi-chemin entre l’antiquité avec des coryphées clownesques qui auraient croisé une chorale de gospel de Harlem qui ouvre le film. L’impression est un peu étrange mais elle donne le ton de ce que Léa Domenach revendique clairement comme une fiction.
De fait, par son rythme, son allure et une certaine alacrité du propos, Bernadette a les atours d’un spectacle presque burlesque par moments sinon qu’il est bien question de Bernadette Chirac et de la place qu’elle a occupée dans la trajectoire de son président de mari…
Nous sommes le 7 mai 1995 et Jacques Chirac remporte, avec 52,64 % des suffrages, l’élection présidentielle face à Lionel Jospin. La droite a reconquis le pouvoir et s’ouvre, après deux mandats de François Mitterrand, les portes de l’Elysée. Chirac goûte pleinement son succès, reçoit longuement les vivats de la foule… A deux pas du président, Bernadette Chirac savoure, elle aussi, l’instant. Parce qu’elle sait quelle fut sa part dans l’accession de son mari à l’Elysée, parce qu’elle pense aussi obtenir enfin la place qu’elle mérite. Mais Jacques Chirac va plutôt la refroidir lorsqu’il lance « Souvenez-vous de la chance de m’avoir épousé ! » Bernadette avale une couleuvre de plus.
Il est vrai que Bernadette, née Chodron de Courcel, élevée dans une famille catholique pratiquante, a reçu une éducation stricte et sévère. Chez les Chodron, une fille, ça se tait et ça écoute. Elle rencontre son Jacques en 1951 lorsqu’ils sont, tous les deux, étudiants à Sciences Po. Ils se marient en mars 1956 malgré les réticences de la famille de la mariée. Bien des années plus tard, Bernadette dira que ce n’était « pas qu’un mariage d’amour mais un mariage d’ambition ».
C’est une femme effacée, cantonnée à un rôle qui ne lui convient pas, à laquelle s’attache, pour son premier long-métrage de fiction, Léa Domenach. Née dans une famille de journalistes (son père Nicolas a beaucoup écrit sur Chirac), la cinéaste avait l’impression de bien le connaître lui mais beaucoup moins sa femme. D’ailleurs, biberonnée aux Guignols de l’Info, elle avoue en avoir eu une image assez négative. « Je l’ai découverte drôle et affranchie, dit Léa Domenach, très loin de l’idée que je pouvais m’en faire et surtout avec un parcours qui méritait d’être raconté. La vie de Bernadette Chirac ressemble à celle de beaucoup de femmes, qui sont tout aussi éduquées que leurs maris et qui finissent par se mettre en retrait pour leur laisser la place. C’est cette histoire que je voulais raconter et qui me rappelait celle de mes grands-mères. Une histoire qui me parlait alors que l’on n’est pas de la même génération, du même milieu, du même bord politique… »
En choisissant la comédie pour garder une bonne distance par rapport aux faits et à la vraie histoire, Léa Domenach se concentre sur un personnage qu’elle ne perd jamais de vue. Bernadette Chirac est toujours au centre de ce récit où elle apparaît d’abord écrasée par son entourage, délaissée aussi, toujours reléguée dans l’ombre avant d’entamer une véritable éclosion. Tandis que Claude, conseillère en communication de son père, et Jacques Chirac forment un duo fusionnel entièrement centré sur la conquête du pouvoir, Bernadette va trouver, en Bernard Niquet, un allié qui va favoriser une véritable révélation. Et pourtant les débuts ne sont pas brillants. Faute d’avoir pu trouver les moyens de réaliser un sondage d’opinion, Niquet a interrogé le personnel de l’Elysée. Résultat : Madame Chirac est jugée ringarde, froide, austère, acariâtre, revêche. « Bon, ça va, j’ai compris » lâche, sèche, une Bernadette Chirac habillée pour l’hiver et qui a aussi droit aux plaintes de son couturier fétiche, Karl Lagerfeld : « Avec vous, on a l’impression que je n’ai plus rien créé depuis dix ans ». Bref, il est temps de passer à l’action. La première dame sort du bois, prend le taureau par les cornes et s’impose comme une personnalité incontournable dans la galaxie Chirac. Bernie n’a pas sa langue dans la poche et Claude tance sa mère : « Tu ne peux plus dire tout ce que tu penses ! »
En jouant habilement sur le look et les sons des années 90 et 2000 mais aussi sur les images réelles des archives dans lesquelles les acteurs sont intégrés grâce à des fonds verts, Bernadette se déguste comme une satire bienveillante et volontiers attachante. S’étant rendue compte sur le tard qu’on ne la prenait pas au sérieux parce qu’elle était une femme, Bernadette Chirac, en montrant ses crocs, va affirmer un certain féminisme, le film apportant son point de vue sur une histoire que tout le monde connaît.
Pour porter son personnage, Léa Domenach ne pouvait trouver meilleure interprète que Catherine Deneuve. On suit avec bonheur la manière dont la brillante comédienne « réveille » littéralement sa Bernadette et comment celle-ci va acquérir, quitte à être bafouée (le film évoque une liaison entre le président et une actrice italienne) une véritable autonomie qui passe notamment par des opérations comme les Pièces jaunes mais aussi la création de la Maison de Solenn, une fondation s’occupant de jeunes atteints d’anorexie mentale, maladie dont souffrit Laurence, la fille aînée des Chirac.
Autour de la grande Catherine, on remarque l’excellent Bruno Podalydès en savoureux Niquet/Mickey, son compère de la Comédie française Michel Vuillermoz en président ou encore Sara Giraudeau en Claude Chirac.
Si on n’a guère de mal à s’attacher au personnage de Bernadette Chirac et avec elle, à celui de Bernard Niquet, les deux formant une sorte de couple de losers magnifiques, le film est moins tendre pour Jacques Chirac qui ne semble jamais conscient de l’importance de sa Bouriquette têtue mais qui sera la seule à avoir la lucidité de voir que le Front national serait présent au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Du coup, la classe politique, aussi triviale que suffisante, se fait joliment étriller, Dominique de Villepin ayant droit, ici, sur fond de dissolution, à un traitement de faveur ! In fine, Bernadette Chirac, préoccupée de l’après-présidence de son mari et des affaires à venir, se révèle fine stratège en apportant son soutien à Nicolas Sarkozy tandis que Jacques Chirac tempête contre le traître… Qui a dit que la politique sentait mauvais ? Bernadette nous réconcilie (quasiment) avec elle…
BERNADETTE Comédie (France – 1h32) de Léa Domenach avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Sara Giraudeau, Laurent Stocker, François Vincentelli, Maud Wyler, Barbara Schulz, Lionel Abelanski, Artus, Olivier Breitman, Juliette Pirotte. Dans les salles le 4 octobre.