L’engagement, la famille, la création, le désir et les fantômes d’Hercule
PASSION.- « Y’en a beaucoup qui bloquent ? » C’est le prof de maths qui pose la question à sa classe. Benjamin débute dans le métier, lui qui se destinait à des études de médecine pour faire plaisir à son père, se retrouve maintenant à embrasser le boulot de sa mère tout en menant, tant bien que mal, une thèse de physique. Comme sa classe est bruyante, son voisin, Pierre, vient restaurer le calme, non sans prendre Benjamin pour un surveillant. Pierre est un vieux de la vieille. Il a tout vu, tout bu, tout lu. Mais aujourd’hui, il s’inquiète. Et si son cours de français était ennuyeux ? Avec Meriem, Fouad, Sophie, Sandrine, Alix et Sofiane, Pierre forme un groupe d’enseignants engagés et soudés. Ils seront présents pour aider Benjamin, rapidement confronté aux affres du métier. A leur contact, le petit nouveau va découvrir combien la passion de l’enseignement demeure vivante au sein d’une institution pourtant fragilisée…
Thomas Lilti s’est fait remarquer avec Hippocrate (2014), Médecin de campagne (2016) et Première année (2018), trois films de cinéma (il a aussi signé trois saisons d’Hippocrate en série télé) qui traitent de la médecine. On est donc aussi surpris que ravi de le retrouver avec Un métier sérieux (France – 1h41. Dans les salles le 13 septembre) qui aborde l’univers des profs et de l’enseignement. Ravi parce que, comme pour ses précédentes œuvres, Lilti aborde une nouvelle fois la fiction par le réel. Mais aussi par sa volonté de continuer à interroger la question de l’engagement à travers un (beau) métier. De fait, on sent dans Un métier sérieux une attention particulière à rendre le monde scolaire et la vie d’un collège les plus réalistes possibles. « L’école, dit le réalisateur, reste au cœur de nos vies que l’on soit enfant, adultes, parents, au fil des générations. Chacun y trouve une madeleine de Proust nous rappelant combien l’école est au centre de nos vies. » Sur la chanson de Sam Cooke, What A Wonderful World, le générique, avec ses images d’antan, nous le rappelle avec un soupçon de nostalgie.
Dans un récit éclaté, Thomas Lilti livre, ici, des portraits qui sonnent juste. Ses profs ne sont pas des saints mais des êtres qui ont la passion d’enseigner chevillée au corps. Ils ont la grandeur de ceux qui permettent de partager le savoir. Ils ont des faiblesses simplement humaines quand ils craquent devant des élèves assez paumés pour devenir insultants ou agressifs. On se plonge agréablement dans cette histoire d’autant plus qu’elle est défendue par des comédiens brillants : Vincent Lacoste, François Cluzet, Adèle Exarchopoulos, Louise Bourgoin, William Lebghil, Lucie Chang, Théo Navarro-Mussy, Léo Chalié. On est prêt à retourner en classe avec eux.
PARCOURS.- Dans la voiture où s’empilent littéralement ses cinq enfants (qui va prendre place dans le -vaste- coffre?), Toni craque devant les « Ouais ! » et les « Mais j’ai rien fait ». Elle crie qu’elle ne veut plus les entendre et menace : « Je vais changer de famille ». Mots en l’air ! Parce qu’Antonia, dite Toni, les aime trop. Même si Mathilde, Marcus, Camille, Timothée et Olivia lui donnent bien du fil à retordre. Parce que ce sont simplement (?) de petits et de grands adolescents. Alors Toni fait face. Elle occupe tous les jobs de mère au foyer, tâche de joindre les deux bouts et, le soir, chante dans le bar d’une amie. Mais, force est de constater, que Toni est épuisée. Ses deux grands s’apprêtent à quitter la maison, l’une pour une compagnie de danse à Budapest, l’autre pour l’université. Alors Toni s’interroge : que fera-t-elle quand toute sa progéniture aura quitté le foyer ? A 43 ans, est-il encore temps de reprendre sa vie en main ?
A 18 ans, Nathan Ambrosiani signait son premier long-métrage (Les drapeaux de papier en 2018) et il enchaîne, ici, avec Toni en famille (France – 1h36. Dans les salles le 6 septembre) une très belle chronique familiale portée par le personnage, à la fois drôle et pathétique, de Toni. Le cinéaste peaufine un portrait tout en nuances de cette Toni qui a connu la gloire avec une chanson qui a très bien marché au box-office. Mais c’était il y a 20 ans et elle ne regrette rien. Aucune nostalgie pour son ancienne notoriété. Elle continue à chanter parce que c’est son gagne-pain. Et elle regrette de laisser ses enfants seuls le soir pour aller faire ce travail dont elle n’a plus envie. Lorsqu’elle décide de devenir enseignante, c’est une nouvelle course d’obstacles qui se présente à elle. Voilà le temps des bilan de compétences, des demandes de soutien financier… Mais Toni s’accroche. Entre grosse fatigue et éclats d’énergie, Camille Cottin, tout en langueur mêlée d’autorité et de tendresse, est remarquable et porte parfaitement cette aventure intime.
CHAOS.- Rude journée pour Marc Becker ! En réunion avec ses financiers, le cinéaste s’entend dire, tout de go, que son film est un pur navet. Et qu’on arrête les frais. Bien sûr, il accuse le coup mais Becker n’est pas prêt à se laisser abattre. Avec ses deux collaboratrices, il n’hésite pas une seconde. Il embarque tout le banc de montage, le charge dans une camionnette et en route pour la campagne française, entre Lozère et Gard. Il débarque dans le petit village cévenol où vit sa tante Denise (la merveilleuse Françoise Lebrun). Notre artiste, qui décide de noter ses pensées dans son livre des solutions, est alors assailli par un million d’idées, toutes plus baroques les uns que les autres qui le plongent dans un absolu chaos !
C’est dans la maison de sa tante Suzette (qu’il a filmé dans son film L’épine dans le coeur) et qui est sa plus grande et sa plus inconditionnelle admiratrice que Michel Gondry a tourné Le livre des solutions (France – 1h42. Dans les salles le 13 septembre). Avec son douzième long-métrage, le réalisateur de Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) et Soyez sympas, rembobinez (2008) évoque un épisode lors de la post-production de L’écume des jours (2013) où il était sous médicaments et assailli d’obsessions intenses l’empêchant carrément de vivre. Lorsqu’il entreprend le montage du film, il arrête son traitement. Et son esprit explose dans un mélange de mégalomanie et de terreur. Par moments, il se sent faire partie de l’Histoire et capable de créer des choses totalement innovantes. Peu après, un psychiatre le diagnostique bipolaire. Tout cela figure en longueur dans Le livre des solutions, comédie bien barrée (qui aurait sans doute gagné à être plus rythmée) dans laquelle Pierre Niney, le regard halluciné, s’en donne à coeur joie dans le délire créatif. Autour de lui, Charlotte (Blanche Gardin) et Sylvia (Frankie Wallach) comptent les coups, tentent de le suivre et baissent la tête sous les assauts d’un créateur en total lâcher-prise ! C’est déroutant, burlesque, loufoque, poétique, parfois un peu pathétique…
LIAISON.- « Tu as bu de l’alcool ? » La gamine renifle et reconnaît. « Avec combien de garçons, tu as couché ? » La jeune fille mouche de plus belle. Dans un souffle : « Sept ». Avocate pénaliste renommée et spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineurs, Anne s’occupe de ce dossier qui finira aux assises où « souvent les victimes passent pour des accusés ». Et elle donne un conseil : « Toujours dire la vérité ». Anne vit en harmonie avec son mari Pierre et leurs fillettes de 6 et 7 ans. Un jour, Théo, 17 ans, fils de Pierre (Olivier Rabourdin) d’un précédent mariage, emménage chez eux. Théo aime à se montrer odieux. Mais il s’adoucit au contact d’Anne. Un jour, au gré d’une histoire de tatouages, Théo effleure le coude d’Anne. Entre les deux, s’installe un jeu de séduction qui les amène à une puissante relation charnelle…
Dix après Abus de faiblesse (2013) où elle racontait l’histoire d’une cinéaste qui, à la suite d’une hémorragie cérébrale, devient hémiplégique (ce qui est son cas dans la vraie vie), Catherine Breillat est de retour au cinéma avec L’été dernier (France – 1h44. Dans les salles le 13 septembre. Avertissement : Ce film qui présente une emprise amoureuse dans un cadre familial entre deux protagonistes d’âges différents peut troubler un jeune public) qui fut en compétition en mai dernier à Cannes.
La réalisatrice de films jugés sulfureux (Breillat déteste le mot) comme Romance (1999) ou Anatomie de l’enfer (2004), reprend (librement) le thème d’un film danois (Queen of Hearts en 2019) et propose la chronique d’un amour « interdit » dans le contexte d’un milieu de nantis sans problème. Si on peut trouver que le drame bourgeois prend parfois des accents chabroliens, il faut dire que Catherine Breillat s’y entend pour filmer le désir et le plaisir dans de longs plans qui dilatent la sensation. En cédant à son beau-fils, Anne se précipite dans une liaison à laquelle elle voudra vite mettre fin. Mais Théo ne l’entend pas de cette oreille et il intrigue auprès de son père, flairant qu’Anne demeure bouleversée par leur liaison. Enfin la cinéaste peut compter sur un fin duo d’acteurs avec Samuel Kircher en grand ado à la gueule d’ange et Léa Drucker brillante en executive woman énigmatique mais dévastée par une divine extase…
FANTOMES.- Dans la Venise de 1947, à la veille de la Toussaint, Hercule Poirot a choisi de prendre une retraite paisible, se contentant de déguster des sucreries transalpines livrées à demeure dans sa belle demeure de la Cité des Doges. Le célèbre détective belge repousse fermement tous ceux qui sollicitent ses services. Mais il accepte cependant de prêter l’oreille à Ariadne Oliver, la plus grande écrivaine de romans policiers au monde. Mais sa visite n’a rien à voir, dit-elle, avec un crime. Elle souhaiterait que Poirot l’accompagne à une séance de spiritisme et lui permette de prouver qu’il s’agit d’une imposture. Intrigué, l’enquêteur accepte à contrecœur d’y assister et se retrouve alors dans un vaste palais décrépi, appartenant à la célèbre cantatrice Rowena Drake.
Après Le crime de l’Orient-Express (2017) et Mort sur le Nil (2022), Kenneth Branagh s’attaque donc pour la troisième fois à l’oeuvre d’Agatha Christie en adaptant Hallowe’en Party (distribué en français sous le titre La fête du potiron), un roman tardif publié en 1969. Mystère à Venise (USA – 1h44. Dans les salles le 13 septembre) se démarque légèrement du livre de la « reine du crime » puisqu’il transpose l’action d’un manoir anglais à un palazzo vénitien mais le scénario de Michael Green s’appuie volontiers sur le goût de la romancière pour le surnaturel.
C’est donc par une sombre nuit de tempête que Poirot se retrouve dans une maison (soit-disant) hantée… La séance de spiritisme n’impressionne pas plus que cela le détective qui va vite en débusquer les artifices. Mais lorsque Joyce Reynolds, la voyante, se retrouve empalée sur une statue, le détective doit convenir que l’enquête prend une vilaine tournure. Il fait boucler toutes les portes. Le piège est refermé. L’assassin est dans les lieux… Bientôt une seconde mort brutale survient… Avec un récit soigné et des images léchées, Branagh réussit un agréable huis-clos où, comme à son habitude, il réunit un large casting (Kelly Reilly, Michelle Yeoh, Riccardo Scamarcio, Camille Cottin, Jamie Dornan, Tina Fey) et s’offre, avec une évidente gourmandise, un Poirot à l’accent français appuyé. Ah oui, Poirot va résoudre l’énigme !