Le charme de Fifi, la fuite de Trish et la quête de Charlotte
AMITIE.- Nancy, début de l’été, il fait chaud et Sophie, dite Fifi, 15 ans, est coincée dans son HLM au coeur d’une famille pour le moins chaotique. Entre une mère borderline et ses enfants, ça crise et ça s’engueule ferme même si tout ce petit monde s’aime quand même beaucoup. Pourtant, lorsque Fifi croise par hasard son ancienne amie Jade, sur le point de partir en vacances, elle va sauter le pas. Lasse de la promiscuité de son HLM, elle pique en douce les clefs de la belle maison de la famille de Jade. Désertée pour l’été, la demeure cossue du centre-ville devient un refuge bien agréable. Fifi, qui rêve « d’être ailleurs », boit des bières et, comme une Boucle d’or moderne, essaye les canapés et se plonge dans délices dans un bain moussant. « T’es qui, toi ? » Voilà que Stéphane, 23 ans, le frère ainé de Jade, revient de manière impromptue. Surpris par la présence de Fifi, Stéphane n’en fait pourtant pas une histoire. Au lieu de chasser Fifi, il lui laisse porte ouverte et lui permet de venir se réfugier là quand elle veut…
Venue présenter Fifi (France – 1h48. Dans les salles le 14 juin) en avant-première aux Rencontres du cinéma de Gérardmer début avril, Jeanne Arslan, co-réalisatrice du film avec Paul Saintillan, évoquait l’envie de parler des quartiers où elle a grandi, pour sa part à Verdun et notait : « Avec Paul, nous voulions vivre avec le personnage de Fifi, avancer avec elle par le beau et non par le drame. C’est ce que ces deux-là vont s’apporter… » De fait, Fifi apparaît rapidement comme un film touché par une manière de grâce. Les deux cinéastes réussissent, avec aisance, à faire entrer le spectateur dans un univers estival qui est aussi, dans le cadre d’une bulle clandestine, une parenthèse enchantée. C’est d’abord une forme d’amitié inattendue qui s’installe entre une adolescente et un garçon un peu plus âgé qu’elle.
C’est la confrontation aussi de deux milieux, celui proche de la précarité sociale de Fifi et celui, beaucoup plus bourgeois, de Stéphane. Mais Arslan et Saintillan désamorcent astucieusement les clichés en faisant des parents de Stéphane, de joyeux foutraques à l’instar du père (savoureux Laurent Poitrenaud) qui accueille Fifi avec humour. Et puis, au fil de quelques notes de Schubert au piano, s’esquisse une romance dont on ignore si elle ira loin mais qui porte cependant un petit couple touché par l’amour…
Pour porter cette relation tissée comme de la dentelle, faire avancer subtilement un sentiment amoureux et suivre pas à pas comment Sophie et Stéphane vont traverser ce temps rêvé, il fallait des comédiens au diapason. En choisissant Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire qui présentent la même différence d’âge que leurs personnages, le duo Arslan/Saintillan a mis dans le mille. Découverte à sept ans en 2009 dans Les éblouis de Sarah Suco en gamine perturbée par l’engagement de sa famille dans une communauté charismatique sous l’emprise d’un gourou, Céleste Brunnquell est une Fifi lumineuse. A ses côtés, Quentin Dolmaire, révélé en 2015 par Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Despleschin, est un « grand frère » peu à peu troublé par le charme de Fifi. Dans une approche atemporel et dépouillée d’un souci réaliste documentaire, voici un film solaire et romantique même au stade de l’amitié et jusqu’à la nuit féérique du premier baiser de Fifi…
ODYSSEE.- « Je rentre demain… » Il est tard. Le bar d’un grand hôtel quelque part dans un pays d’Amérique centrale ne va pas tarder à fermer. La belle Trish avise un grand type blond. Probablement britannique. Elle lui fait un peu de rentre-dedans. Ils boivent quelques verres et finissent dans un grand lit pour une nuit d’amour torride. Se présentant comme une journaliste américaine, Trish est surtout une jeune femme en détresse bloquée sans passeport dans le Nicaragua d’aujourd’hui en pleine période électorale. Daniel, le voyageur anglais, lui semble être l’homme rêvé pour l’aider à fuir un pays où elle a noué, avec un vieil homme politique ou un policier barbu, des fréquentations plus que suspectes.
Arrivée sur le devant de la scène cinématographique en 1988 avec Chocolat, immédiatement sélectionné en compétition officielle à Cannes, Claire Denis (qui fut auparavant assistante de Wenders, Jarmusch ou Costa-Gavras), signe, avec Stars at Noon (France – 2h17. Dans les salles le 14 juin) son quinzième long-métrage, lui aussi présenté, en 2022 sur la Croisette où il décrocha le prestigieux Grand prix. Pour ce film, la cinéaste adapte Des étoiles à midi de l’Américain Denis Johnson, paru en 2002. Le romancier, disparu en 2017 et qui tenta, jeune, de vivre de sa plume de journaliste en Amérique centrale, présentait son récit comme une histoire d’amour entre deux personnes qui développent une relation uniquement en raison du contexte de la révolution. Claire Denis ajoutant : « Il s’agit aussi de la peur et de la terreur de l’amour, de la peur de l’échec ».
Tourné au Panama (la cinéaste estimant « immoral » de filmer dans le Nicaragua du président-dictateur Daniel Ortega), ce thriller part d’une rencontre fortuite qui devient de l’amour, une attirance sexuelle qui dévore et aveugle. Trish va alors se rendre compte qu’elle entre au côté de Daniel dans un monde plus trouble et plus dangereux.
Si on a du mal à saisir les tenants et les aboutissants du récit ainsi que les motivations des personnages secondaires même si on devine que la CIA s’ingénie à tirer les ficelles dans un paradis des spéculateurs où chacun entend ramasser la mise, Claire Denis réussit à rendre palpable l’atmosphère moite du pays. Et surtout la cinéaste concentre son attention sur cette Trish qui se prostitue pour survivre alors que Daniel n’est pas contre une relation sexuelle tarifée sans lendemain. Bien entendu, cet « accord conventionnel » d’une nuit avec Daniel explose instantanément une fois dans la chambre. Peau à peau, peu de mots, pas mal d’ironie pour masquer le trouble… Ces deux-là ne vont plus se lâcher…
Sur une bonne bande son des Britanniques de Tindersticks, Stars at Noon doit beaucoup à son couple d’interprètes. Connu pour son rôle du soldat dans Un jour dans la vie de Billy Lynn (2016) d’Ang Lee, le Londonien Joe Alwyn est un Daniel perdu et inquiétant. Quant à l’Américaine Margaret Qualley, découverte dans Once Upon a Time… in Hollywood (2019) de Quentin Tarantino, elle campe avec brio et un charme très sensuel, une Trish décidée à connaître « les dimensions exactes de l’enfer ».
DEBAT.- Une chambre aux rideaux tirés… Le docteur Grammel vient de délivrer un certificat de décès. Un prêtre est mort. Mais on a appelé à la rescousse, Charlotte, la chancelière de l’évêché, car manifestement quelque chose ne va pas. « Y’a une erreur là ! » dit cette « fonctionnaire » de l’Église. Sombre, le médecin rétorque : « Non, vous pouvez vérifier… » Abasourdis, les responsables du diocèse, et à leur tête Monseigneur Mevel, découvrent que le prêtre était une… femme ! Sans que personne ne s’en doute, elle exerçait sa vocation depuis des années. Consterné, l’évêque s’angoisse : « Si le Vatican découvre que nos séminaires sont infiltrés par des femmes, ce serait une apocalypse ! » Et de cela, il ne saurait être question. Mgr Mevel confie donc à la chancelière une enquête secrète pour comprendre comment et avec quelles complicités, une telle imposture a été possible… Mais bientôt Charlotte va devoir se confronter à d’autres problèmes. Thomas, son jeune fils explose en voyant sa mère batailler pour trouver des réponses à une aventure qui embarrasse, voire terrifie l’Église. Le gamin, lui, voudrait des réponses sur l’existence d’un père inconnu…
Avec Magnificat (France – 1h37. Dans les salles le 21 juin), la cinéaste Virginie Sauveur (ça ne s’invente pas!) adapte librement, en compagnie du scénariste Nicolas Silhol (auteur notamment des scénarios des Eblouis et de Sentinelle sud), Des femmes en noir, le roman d’Anne-Isabelle Lacassagne paru en 2017 aux éditions du Rouergue. « Les femmes en Occident, dit la cinéaste, même s’il reste des progrès à faire, peuvent aujourd’hui exercer tous les métiers à l’exception de la prêtrise, qui reste le dernier bastion. En 1994, Jean-Paul II a même opposé un « non éternel » à l’ordination des femmes prêtres. Ça, c’était formidable d’un point de vue dramatique. Raconter cette transgression, c’était raconter une héroïne qui fait fi de cette interdiction pour vivre pleinement son appel. »
Avec ce premier long-métrage de cinéma, Virginie Sauveur, qui a déjà réalisé des épisodes des séries Engrenages ou Kaboul Kitchen pour Canal+, aborde un sujet de société qui ne cesse de faire débat. A des hauts représentants de l’Église, notamment un évêque auxiliaire spécialement cynique, Charlotte lance : « Il y a des femmes rabbins, pasteurs, imams… L’Église doit évoluer sinon elle mourra ! » En optant pour la forme de l’enquête mâtinée (légèrement) de thriller, Magnificat, avec une bonne Karin Viard en Charlotte troublée puis déterminée et un François Berléand matois à souhait en évêque, réussit à poser quelques questions intéressantes mais dommage que le propos se délaye dans la seconde histoire de la quête du père dans la communauté gitane des Saintes Maries de la Mer…