L’homme qui marche et le chef qui goûte
CULPABILITE.- Comme tous les matins depuis longtemps déjà, Harold Fry s’apprête à prendre son petit-déjeuner avec Maureen, son épouse. Une vie tranquille certes, maussade aussi dans laquelle il ne se passe rien. Tout va changer lorsque le facteur dépose un courrier au nom d’Harold Fry. Il apprend ainsi que sa vieille amie Queenie est mourante, quelque part dans une unité de soins palliatifs… Harold lui écrit une lettre et part la poster. Dans une station-service, il bavarde avec une jeune femme qui lui raconte que la foi a permis à sa tante de survivre plus longtemps à son mal. Harold décide alors de prendre la route. « Je vais marcher et tu vivras », se dit-il dans son for intérieur. La route sera longue puisque Queenie est hospitalisée à quelque 800 kilomètres de chez lui. Au grand dam de Maureen qui ne comprend pas ce qui le pousse à faire ça, Harold s’élance. Il n’a pas l’habitude de marcher puisque, comme grince son épouse, les seuls pas qu’il fait sont pour rejoindre sa voiture. Qu’importe, Harold Fry se sent investi d’une mission et il prend la route au rythme d’une manière de mantra : « You will not die. Die you will not. »
A la tête d’une solide filmographie (dans laquelle on trouve des œuvres des Monty Python, Mike Leigh, Baz Luhrmann ou Spielberg sans oublier le personnage d’Horace Slughorn dans la série Harry Potter), Jim Broadbent est un formidable comédien britannique que l’on voit au théâtre, à la télévision et au cinéma où il a été naguère Kempton Bunton, le mystérieux et sympathique voleur du Portrait du duc de Wellington dans The Duke (2020). C’est lui qui, à 74 ans -qui pourrait être l’âge du personnage de Fry- incarne cet homme modeste et banal qui décide, sur un sorte de coup de tête, de donner un sens à sa vie. Avec L’improbable voyage d’Harold Fry (Grande-Bretagne – 1h48. Dans les salles le 31 mai), la cinéaste Hettie Macdonald adapte le best-seller de la romancière Rachel Joyce qui signe d’ailleurs le scénario du film. « Quand j’ai découvert, dit la cinéaste, le merveilleux roman de Rachel Joyce, La Lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi, je l’ai immédiatement trouvé attachant. Rachel y aborde la souffrance, le deuil, la culpabilité et la réparation : j’y ai décelé des thèmes majeurs et profondément universels, et Harold m’est apparu comme un héros extraordinaire. En s’aventurant courageusement dans l’inconnu, il montre qu’il est possible d’aller vers la guérison lorsqu’on fait confiance au destin. »
The Unlikely Pilgrimage of Harold Fry (titre original) commence un peu à la manière des comédies sociales britanniques façon Loach ou Leigh avant de virer doucement au conte philosophique. Car, pendant ce long chemin qui s’apparente à un pèlerinage, Harold va enfin réussir à faire face à la tragédie d’une relation échouée avec son fils vingt-cinq ans plus tôt. Une étape nécessaire pour lui pour le rétablissement d’une relation saine avec sa femme…
Si on peut s’inquiéter parfois d’une tendance « fantastique » (ah, les lumières saint-sulpiciennes sur le chemin de Fry !), le film charme néanmoins à cause du charisme de cet homme simple et aussi pour quelques belles rencontres sur sa route, ainsi l’homosexuel qui se demande s’il peut offrir une paire de baskets à son jeune ami ou encore cette femme médecin, venue de Slovaquie, qui recueille, quelques heures, Fry pour panser ses plaies aux pieds et qui lui avoue qu’elle ne trouve du boulot en Angleterre que comme femme de ménage…
SAVEURS.- Chef étoilé saumurois de grande renommée, Gabriel Carvin se voit remettre sa troisième étoile de cristal par un critique culinaire. Mais le coeur n’y est plus. Et, d’ailleurs, le soir même sa femme, Louise, le quitte. La séparation est brutale et la crise familiale est inévitable même si Gabriel peut quand même compter sur ses deux fils et notamment Jean qui le seconde aux fourneaux de leur grand restaurant. Ayant perdu le goût de la grande cuisine, Gabriel décide, pour se changer les idées, de partir au Japon. Une manière de renouer avec les plaisirs simples de l’amitié et d’essayer de découvrir les mystères de l’umami… Carvin s’est aussi mis en tête de retrouver Tetsuichi Morita, le chef japonais qui l’avait battu à un concours de cuisine quarante ans plus tôt à Paris. Ce voyage culturel et culinaire va l’amener à faire le point sur sa vie.
Pour Umami (France – 1h31. Dans les salles le 17 mai), son réalisateur Slony Sow a quasiment tout fait. Il signe la réalisation, le scénario, le montage, les décors (dont l’abbaye de Fontevraud dans le Maine-et-Loire et son restaurant étoilé) et il est partie prenante de la production. Ce second long-métrage de Slony Sow est une belle déambulation poétique, subtile et évidemment savoureuse qui repose sur la passion du cinéaste pour le Japon où il vit depuis cinq ans maintenant. C’est dans un restaurant de Tokyo où il déjeune avec des amis que le réalisateur entend pour la première fois parler de l’umami. En japonais, umami peut se traduire par savoureux et le terme désigne une cinquième saveur de base avec le sucré, l’acide, l’amer et le salé.
« Contrairement à mes quatre convives, dit Slony Sow, je ne savais pas de quoi ils parlaient. (…) Mais quand je leur ai demandé de définir cette saveur, ils ont été incapables de se mettre d’accord. En dehors de son aspect purement gustatif, j’ai compris que la notion d’umami relevait de la métaphysique. Je ne sais pas pourquoi — parce qu’à dire vrai, il n’y avait rien de visuel là-dedans—, l’idée m’est soudain venue de faire un film autour de cette « saveur », plutôt immatérielle par essence, mais quand même suffisamment «identifiable » puisque des millions de gens se la partagent avec délice depuis la nuit des temps.»
Avec ses variations sur Alexandrie Alexandra, la chanson de Claude François et ses multiples péripéties (le vieil ami mareyeur de Carvin est drôle et touchant et l’éleveuse japonaise de porcs qui leur joue du rock est loufoque à souhait), le périple nippon de Gabriel peut donc s’apparenter à une quête d’un Graal de la saveur ineffable…
Il n’est plus de bon ton aujourd’hui d’apprécier Gérard Depardieu. D’ailleurs, à l’occasion de la sortie même de ce film, le comédien a été « dispensé » de participer à la promotion. En cause des accusations de violences sexuelles révélées par Mediapart et que Depardieu conteste. Il n’en reste pas moins que le comédien apporte une vraie et belle épaisseur à son chef. On a toujours un peu l’impression qu’il est question de Depardieu lui-même mais, dans le même temps, il propose une véritable interprétation… Pour la bonne bouche, on notera que Umami recompose deux fameux couples de cinéma, en l’occurrence le duo Sandrine Bonnaire-Depardieu de Sous le soleil de Satan de Pialat et le tandem Pierre Richard-Depardieu de La chèvre de Francis Veber.