LA CHUTE D’UNE CHEFFE ET LE BERGER DANS LA MONTAGNE SARDE
TAR
Brillante, géniale et insupportable, Lydia Tar est une star. Elle a tout pour elle. Comme cheffe d’orchestre, elle a foulé l’estrade des Big Five, les cinq plus prestigieux orchestres symphoniques des États-Unis (New York, Boston, Chicago, Philadelphie et Cleveland), tout en continuant à composer. Pour faire bonne mesure, elle a parallèlement remporté quatre récompenses majeures de la profession: l’Emmy, le Grammy, l’Oscar et le Tony… La cheffe avant-gardiste s’est donnée corps et âme à la musique et se retrouve désormais à la tête d’une importante institution. Pourtant cette position va mettre à jour ses faiblesses et de fâcheuses ombres. Elle se fait la championne de règles qu’elle ne respecte pas elle-même, avec ce qui semble être une absence totale de conscience de soi. Alors qu’elle travaille la 5e de Mahler à Berlin, son univers s’effondre. Insatisfaite de sa carrière, son assistante (Noémie Merlant) la lâche, son couple avec Sharon, violoniste à l’orchestre de Berlin, bat de l’aile à cause d’une jeune et ravissante soliste russe. Les réseaux sociaux vont la mettre plus bas que terre. Dans le milieu (faussement feutré) de la musique classique, l’Américain Todd Field, cinéaste rare (depuis 2001, il n’a réalisé que trois films dont l’excellent Little Children avec Kate Winslet) se livre à une observation virulente des mécanismes du pouvoir. Pour porter son film, le cinéaste (qui a expliqué qu’il n’aurait pas fait Tar sans elle) a trouvé en Cate Blanchett une interprète exceptionnelle. De fait l’actrice australo-américaine de 53 ans porte cette chronique musicale à bout de bras. Elle est dans quasiment tous les plans et sa composition de la cheffe d’orchestre est d’autant plus époustouflante qu’elle passe par tous les états de la satisfaction professionnelle, de la gourmande prédatrice, du bonheur personnel et de la tragédie. Ainsi ce moment où, dans une salle comble, devant l’orchestre, celle qui disait « Notre maison, c’est l’estrade » rate la marche du podium et chute lourdement… Métaphore de toutes les déceptions et de tous les drames qui l’attendent… (Universal)
BANDITS A ORGOSOLO
Michele, un berger, doit fuir avec son petit frère, Peppedu, après avoir été accusé à tort d’un vol de cochons et du meurtre d’un carabinier. Défiant envers les représentants de l’autorité italienne, il ne souhaite ni s’innocenter ni se rendre. Il parcourt la montagne avec son troupeau, qu’il ne se résigne pas à abandonner. Fasciné par la Sardaigne et ses habitants qu’il immortalisa en 1958 dans deux courts-métrages documentaires, Bergers d’Orgosolo et Une journée en Barbagie, le cinéaste Vittorio De Seta décide d’y tourner, deux ans plus tard, son premier long-métrage, Bandits à Orgosolo, une mise en fiction de la réalité sarde envisagée du point de vue d’un berger. Comme il l’indique en voix-off au début du film, le réalisateur souhaitait filmer la fierté des hommes et des femmes de la Barbagia : il s’intéresse au mythe du bandit sarde et cherche à comprendre quelle réalité il recouvre à partir de la narration d’un vol de bétail, courant à l’époque du tournage. À une époque où les cinéastes italiens se détournent de plus en plus du néoréalisme, De Seta (1923-2011) revendique haut et fort l’héritage de ce courant. Cousin rural du Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, Bandits à Orgosolo a été consacré Meilleur premier film à la Mostra de Venise 1961. Après Bandits…, le cinéaste s’éloignera de l’esprit du néoréalisme pour se tourner vers la psychanalyse pour décrire les désarrrois de personnages à la croisée des chemins. Dans son hommage à Vittorio De Seta, paru dans le magazine Positif, l’historien et spécialiste du cinéma transalpin Jean A. Gili souligne : « Il montre pour la première fois avec rigueur les problèmes des paysans pauvres amenés à devenir des hors-la-loi. En tournant Padre padrone, les Taviani se souviendront de la leçon de De Seta. » (Carlotta)
LA FAMILLE ASADA
Dans la famille Asada, chacun a un rêve secret : le père aurait aimé être pompier, le grand-frère pilote de F1 et la mère se serait bien imaginée en épouse de yakuza ! Masashi, lui, a réalisé le sien : devenir photographe. Grâce à son travail, il va permettre à chacun de réaliser que le bonheur est à portée de main. Depuis l’âge de 12 ans, initié par son père, Masashi capture des moments de vie, comme une façon de figer le temps et de donner une âme à des souvenirs éphémères. Lorsqu’il constate que sa famille a abandonné ses propres passions, il décide de les mettre en scène devant son objectif. Voilà sa mère en femme de yakuza ou son frère en chevronné pilote de F1. Grâce à la créativité de Masashi, tous se réapproprient une part de sa propre histoire. Lorsque le Japon est frappé par le tsunami dévastateur de 2011, les photos de Masashi prennent une dimension nouvelle. Elles témoignent de la tragédie, de la force et de la résilience du peuple japonais face à l’adversité. A travers les yeux de Masashi, dans une comédie drôle et touchante, le cinéaste nippon Ryota Nakano montre un Japon intime et touchant, où la photographie est une façon de se connecter à soi-même et aux autres. Une œuvre qui invite à réfléchir sur la valeur des passions, sur la force des liens familiaux et sur la capacité de l’art à transcender les épreuves de la vie. (Art House)
ASTERIX & OBELIX: L’EMPIRE DU MILIEU
C’est dans la lointaine Chine que les deux plus célèbres Gaulois de la planète s’exportent pour secourir, en l’an 50 avant J.-C., l’impératrice de Chine, emprisonnée à la suite du coup d’État de Deng Tsin Quin, un prince félon. Aidée par Graindemaïs, le marchand phénicien, et par sa fidèle guerrière Tat Han, la princesse Fu Yi, fille unique de l’impératrice, s’est rendue en Gaule pour demander de l’aide à Astérix et Obélix. La charmante Fu Yi n’ignore pas que les deux compères peuvent faire preuve d’une force surhumaine grâce à la très fameuse potion magique concoctée par Panoramix. Les voilà donc tous en route pour l’Empire du milieu. Mais, toujours en soif de conquêtes, Jules César a pris aussi la direction de la Chine… Après Zidi (1999), Chabat (2002), Forestier et Langmann (2008) et Tirard (2012), c’est donc donc au tour de Guillaume Canet d’adapter au grand écran les aventures des héros chers à Goscinny et Uderzo. Le réalisateur coiffe aussi le casque d’Astérix succédant à Clavier, Cornillac et Baer. Quant à Gilles Lellouche, il a un beau défi à relever : prendre la suite de Depardieu… Dans son ensemble, la critique n’a pas été tendre avec la grande entreprise de Canet et son budget à plus de 60 millions d’euros. On peut reprocher à ce 5e opus quelques gags prévisibles, des chutes de rythme et l’attendue kyrielle des acteurs qui viennent faire un petit tour… Cependant, ce divertissement familial qui n’a évidemment pas la verve délirante et loufoque de la version d’Alain Chabat, a été vu, en salles, par plus de 4,5 millions de spectateurs… (Pathé)
LA MONTAGNE
Ingénieur parisien, Pierre se rend dans les Alpes pour son travail. Irrésistiblement attiré par les montagnes, il s’installe un bivouac en altitude et décide de ne plus redescendre. Larguer en somme les amarres… Là-haut, il fait la rencontre de Léa (Louise Bourgoin) et découvre de mystérieuses lueurs. Découvert avec l’étonnant Vincent n’a pas d’écailles en 2014, Thomas Salvador (qui incarne Pierre) signe à nouveau une œuvre singulière en brossant le portrait d’un homme en quête de soi et d’une épiphanie. Le cinéaste réussit à captiver avec une aventure intérieure qui convoque brillamment le fantastique… Le personnage de Pierre n’a rien d’un hurluberlu excentrique. Pourtant, cet homme normal choisit de larguer les amarres, de se mettre la tête dans les étoiles et de contempler le monde (les lumières de Chamonix, en l’occurrence) d’en haut. Dans une impressionnante économie narrative, le cinéaste filme un personnage qui se met dans un état de disponibilité et d’éveil à la compréhension au monde… (Le Pacte)
UN PETIT FRERE
Arrivée en France depuis la Côte d’Ivoire, Rose s’est installée en banlieue parisienne avec ses deux fils, Jean et Ernest. Du couple ivoirien initial, le mari a disparu, deux des enfants sont restés dans leur pays. Femme de chambre dans l’hôtellerie, Rose se démène en célibataire (même si elle a des aventures sentimentales) pour que sa famille tienne. A ses enfants, elle répète : « Il faut être des champions ! » tout en leur intimant l’ordre de ne jamais pleurer… Récompensée de la Caméra d’or à Cannes 2017 pour son premier long-métrage Jeune femme, Léonor Serraille raconte ici la construction et la déconstruction d’une famille, de la fin des années 80 jusqu’à nos jours dans une solide saga sociétale en forme de trajectoire, volontiers chaotique, de l’intégration. Avec une belle lucidité dépouillée de tout pathos, la cinéaste s’attache à la destinée de trois protagonistes tout en questionnant l’arrachement au pays et l’exil… Dans le rôle de Rose, Annabelle Lengronne est une belle révélation. (Le Pacte)
RADIO METRONOM
Ana a 17 ans dans la Roumanie de 1972. Bucarest, sous l’ère Ceausescu, est une ville morose et sans joie pour une adolescente (Mara Bugarin) qui rêve autant d’amour que de liberté. Un soir, elle rejoint ses amis à une fête où ils décident de faire passer une lettre à Metronom, l’émission que Radio Free Europe diffuse clandestinement en Roumanie. C’est alors que débarque la redoutable Securitate, la police secrète de Ceausescu. « J’avais 20 ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus âge de la vie » disait le philosophe Paul Nizan. Ancien collaborateur de son compatriote Cristian Mungiu, Alexandru Belc met en scène une aventure intime et sobre qui confronte les rêves hippies de la jeunesse roumaine à la réalité d’une société dure et verrouillée. Sur fond de Janis Joplin, Jim Morrison et Led Zeppelin, Ana, simple lycéenne en butte à des parents qui ne veulent pas la laisser sortir avec ses amis, va perdre ses illusions. Elle fait la fête, danse à perdre haleine, connaît sa première fois avec Sorin… Quelques heures dans la vie d’Ana ! Quand, après le bonheur de la musique, la nuit bascule et la peur s’empare d’une adolescente, évidemment incapable de faire face à la machine dictatoriale… (Pyramide)
DIVERTIMENTO
« Je veux être cheffe ! » À 17 ans, Zahia Ziouani cultive-t-elle un rêve impossible ? Mais cette jeune habitante de Seine Saint-Denis, dont la sœur jumelle, Fettouma, est violoncelliste professionnelle, est bercée depuis toujours par les beautés de la musique classique. Leurs parents, passionnés de musique symphonique, soutiennent les deux filles dans leurs projets. Toutes deux sont admises en classe terminale au prestigieux Lycée Racine, où elles vont rencontrer des condisciples issus de milieux sociaux favorisés et se heurter au mépris de classe de certains d’entre eux. L’un des élèves, Lambert Lallemand, souhaite également devenir chef d’orchestre et s’entraîne en vue du concours de Besançon en dirigeant l’orchestre formé par ses camarades. La direction de cet orchestre est dans un premier temps partagée entre Lambert et Zahia, avant que Zahia ne s’en trouve écartée par le directeur de l’école qui estime que Lambert a davantage de potentiel qu’elle. Lorsque le prestigieux chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache (Niels Arestrup) vient à Racine, il commence par dire à Zahia que chef d’orchestre n’est pas un métier pour une femme. Mais il accepte de la prendre comme élève après l’avoir vue à l’œuvre. Zahia décide de créer son propre orchestre, qui réunit des élèves de Racine et des élèves du Conservatoire de Stains, sa ville, et de l’appeler Divertimento. Elle se démène pour convaincre le maire de la commune de la soutenir, et pour que ses camarades issus des beaux quartiers de Paris acceptent de franchir le boulevard périphérique pour aller répéter en Seine Saint-Denis… Autour de l’histoire vraie de Zahia Ziouani (incarnée par Oulaya Amamra, découverte dans Divines en 2016), la cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar (Les héritiers en 2014) signe un biopic musical qui est tout à la fois l’histoire d’une success-story, d’un partage, d’une démarche inclusive et une réflexion sur l’égalité des chances… (Le Pacte)
NENEH SUPERSTAR
Petite fille noire de 12 ans issue d’un quartier populaire, Neneh vient d’intégrer l’école de ballet de l’Opéra de Paris. Malgré son enthousiasme, elle va devoir redoubler d’efforts pour s’arracher à sa condition… Si la gamine a tous les atouts pour réussir dans la danse, elle n’a pas la… bonne couleur de peau. Si elle réussit néanmoins l’épreuve d’admission, les débats sont houleux au sein de la prestigieuse institution. Et il faudra au directeur de l’Opéra (Cedric Kahane) mettre tout son poids dans la balance pour que Neneh entre dans l’école de ballet. Où elle aura à se battre pour se faire accepter par Marianne Belage, la directrice de l’école (Maïwenn) qui trimballe un secret. La danse classique n’a sans doute jamais été filmée sous le prisme du racisme institutionnel. Le réalisateur Ramzi Ben Sliman se lance dans l’aventure à travers une Neneh pétillante, indisciplinée, aux manières et au langage familiers qui détonnent dans un milieu dépeint comme ennuyeux et corseté… Si le cinéaste n’évite pas toujours les raccourcis, voire quelques traits caricaturaux, sa comédie dramatique se regarde agréablement. Pour tenir le rôle de Neneh, il a choisi la tonique Oumy Bruni Garrel, la fille des acteurs et cinéastes Valeria Bruni Tedeschi et Louis Garrel. (Gaumont)
LA (TRES) GRANDE EVASION
Le capitalisme est-il devenu incontrôlable ? De révélations en scandales successifs, l’évasion fiscale est devenue un marronnier médiatique et l’objet d’un concours de déclarations vertueuses pour les politiques. Alors que les multinationales et les plus riches ont de moins en moins de scrupules et de plus en plus de moyens à leur disposition pour échapper à l’impôt, pour le citoyen lamdba, les politiques d’austérité s’intensifient et les inégalités explosent. Les mécanismes de l’évasion fiscale sont-ils si difficiles à comprendre ? Sont-ils impossibles à endiguer ? Sur une scénario coécrit avec Denis Robert (le journaliste qui enquêta sur l’affaire Clearstream), le cinéaste Yannick Kergoat propose un documentaire engagé et limpide, à la fois très pédagogique, drôle et édifiant sur l’évasion fiscale à grande échelle. Vouloir réaliser un film accessible aux non-initiés sur les mécanismes très sophistiqués de l’évasion fiscale des plus grandes entreprises et fortunes mondiales et sur leur très étroite connivence avec un système politico-économique, pouvait relever de la gageure. Yannick Kergoat parvient plutôt bien à éclairer des mécanismes complexes dans un documentaire où se croisent Apple, Google, Amazon, Airbnb, « miracle » luxembourgeois, industrie du offshore et ses bataillons de consultants en optimisation fiscale, compétition entre États pour attirer les capitaux, Panama Papers, paradis fiscaux etc. (Wild Side)
L’EMPRISE DU DEMON
Tandis qu’une jeune fille juive a disparu, le fils d’un entrepreneur de pompes funèbres hassidique rentre chez lui avec sa femme enceinte dans l’espoir de se réconcilier avec Saul, son père et en même temps d’obtenir son soutien face à une situation financière difficile. Le jeune couple que forment Claire et Arthur est loin de se douter que juste en dessous d’eux, dans la morgue familiale, un mal ancien se cache dans un mystérieux cadavre, un Abyzou, une entité surnaturelle qui, une fois libérée, veut posséder l’enfant à venir du couple. Face à ce démon, personne n’est à l’abri… Le réalisateur Oliver Park signe un film d’horreur qui ne révolutionne pas le genre mais qui permet aux amateurs de frissonner. Le milieu dans lequel se passe l’action est intéressant et plutôt original puisqu’il s’agit de la communauté hassidique de New York. Enfin le cinéaste peut compter sur de bons acteurs comme le Britannique Nick Blood qui joue Arthur ou encore, dans le rôle de Saul, l’excellent Allan Corduner vu dans La femme au tableau avec Helen Mirren, Déobéissance avec Rachel Weisz et Rachel MacAdams ou Tar avec Cate Blanchett. (Metropolitan)
MAYDAY
Révélé au grand public en 2006 dans le rôle du roi Léonidas du blockbuster fantastique 300, le comédien écossais Gerald Butler s’est ensuite fait une spécialité dans les films d’action musclés, ainsi la série La chute… où il est Mike Banning, l’agent de sécurité rapprochée du président américain. Ici, il incarne Brodie Torrance, ancien membre de la Royal Air Force, désormais commandant de bord d’un avion commercial. Au départ de Singapour et à destination de Hong Kong, il a, à son bord, quatorze passagers ainsi qu’un agent de la gendarmerie royale du Canada escortant Louis Gaspare, un prisonnier recherché depuis des années pour meurtre. En plein vol, l’appareil est pris dans une violente tempête et frappé par la foudre. Brodie parvient malgré tout à faire atterrir le zinc presque sans encombre sur une île en mer de Chine méridionale. Il commence à réfléchir à un moyen de prévenir sa compagnie aérienne, Trailblazer Airlines. Cependant, les dégâts ont rendu toute communication impossible. Les rescapés vont s’apercevoir qu’ils sont en réalité sur l’île de Jolo aux Philippines, en pleine zone dirigée par des séparatistes et où l’armée de Manille ne veut pas s’aventurer par crainte de lourdes pertes. Le personnel de l’avion et les passagers sont pris en otage. Pour sauver équipage et passagers, Torrance va être aidé par Gaspare, ancien de la Légion étrangère… Mais rien ne se passera comme prévu. Connu pour Ma 6-T va craquer (1997) ou le diptyque sur Mesrine (2008), le Français Jean-François Richet fait du sur-mesure pour Butler, un héros droit dans ses bottes. On sait à quoi s’attendre mais c’est bien fait. (Metropolitan)