L’Ehpad joyeusement envahi par les écoliers

Yannick (Vincent Macaigne, au centre) et les résidents.

Yannick (Vincent Macaigne, au centre) et les résidents.

Non, trop, c’est trop ! Aide-soignant dans une maison de retraite, Yannick est un type barbu à la bonne humeur contagieuse. Il est prêt à donner le meilleur de son temps pour s’occuper des personnes âgées qui forment le petit peuple trop anonyme de son Ehpad. Mais là Yannick craque. Le directeur de l’établissement a donné son accord pour que le réfectoire des résidents soit provisoirement ouvert à une classe d’enfants en panne de cantine. La réunion des aide-soignants avec un directeur, au demeurant plus préoccupé par les questions de rentabilité de son établissement, s’achève par une fin de non-recevoir. Les gamins vont bien investir l’univers, encore feutré, des « vieux »…
Andréa Bescond se souvient qu’il y a quelques années, sa grand-mère avait été placée en Ehpad : « Quand nous sommes venus la voir avec nos enfants, nous avons remarqué à quel point leur présence faisait réagir les personnes âgées. Tout à coup, elles pétillaient de nouveau. Cela nous a beaucoup émus. » Et Eric Métayer de reprendre: « Voir se rallumer une étincelle dans leurs yeux grâce à la présence d’enfants, a sans doute créé un déclic en nous. »

Les scolaires et leur enseignante (Aïssa Maïga) à l'Ehpad.

Les scolaires et leur enseignante (Aïssa Maïga) à l’Ehpad.

C’est ainsi que les deux cinéastes donnent un film qui évolue, non pas dangereusement mais délicatement, sur le fil du rasoir. Car Quand tu seras grand n’est ni franchement une comédie, ni clairement un drame. De plus, ce film choral qui mêle comédiens professionnels et un nombre important de figurants, ne fait pas le choix d’être soit du côté des résidents, soit du côté de cette classe « envahissante ». Et par ailleurs, l’accent est mis aussi -et c’est sans doute là que le film est le plus novateur- sur le quotidien du personnel de notre Ehpad…
Même si la gouaille du personnage de Yannick semble atténuer un peu le poids de ce labeur répétitif, force est de constater que le personnel des Ehpad, celui du film tout du moins, ne vit pas sur une île paradisiaque. Voilà les appels, les urgences, les courses dans les couloirs, les résidents qu’il faut ramener dans leur chambre, non sans prêter attention à des désirs ou des envies sans doute légitimes mais évidemment dévoreuses de temps. Mais il y a aussi les constats, qu’il s’agisse du manque de couches ou, plus tragiquement, d’un produit absorbé par erreur… Les cinéastes n’ont rien inventé. On a connu un fait-divers tragique où une personne âgée avait ingéré un liquide toxique destiné à déboucher des toilettes…

Brieuc (Kristen Billon) et Yvon... Une amitié naissante.

Brieuc (Kristen Billon) et Yvon… Une amitié naissante.

Alors, presque à contrario les personnages des résidents, transfigurés par le cinéma, viennent apporter une sorte de fraîcheur dans le tableau. Bescond et Métayer mettent volontiers en avant le couple formé par Yvon et Gigi… A la suite d’un AVC, elle est clouée dans un fauteuil roulant mais, bien qu’aucun son ne sorte plus de sa bouche, un sourire radieux éclaire son visage. Yvon, qui fut manifestement une force de la nature, l’entoure d’un amour tendre et permanent. C’est cet homme massif qui va prendre sous un aile (à moins que ce soit l’inverse?) un jeune skateur prénommé Brieuc. Ancien artiste de cirque, Yvon apparaît comme une figure (grand)paternelle forte pour un gamin teigneux mais fragile et délaissé affectivement. Ensemble, ils feront un bout de chemin sur fond de tendresse, de partage et de transmission…
Outre Gigi et Yvon (Evelyne Istria et Christian Sinninger), Quand tu seras grand rassemble quelques portraits rapidement menés avec des aide-soignantes impliquées mais surmenées et manquant de moyens incarnées par Marie Gillian ou Carole Franck, un pensionnaire fort en gueule (le Mulhousien Bernard Bloch) qui annoncent « Les Soixante-huitards arrivent ! », l’enseignante (Aïssa Maïga) des élèves qui déjeunent à la cantine et bien sûr Yannick auquel Vincent Macaigne apporte un supplément d’humanité…

Gigi (Evelyne Istria) et Yvon (Christian Sinninger). Photos Renaud Konopnicki

Gigi (Evelyne Istria) et Yvon (Christian Sinninger).
Photos Renaud Konopnicki

Avec Les chatouilles, son premier long-métrage en 2018, le duo s’était fait remarquer en racontant l’histoire d’Odette, 8 ans, passionnée de danse, et victime de violences sexuelles commises par un ami de sa famille. Inspiré du drame vécu dans son enfance par Andréa Bescond, le film avait impressionné par un récit coup de poing dénonçant la pédophilie. Quand tu seras grand n’atteint pas la puissance d’évocation des Chatouilles. Mais il reste, en évoquant l’enfance et la vieillesse, deux maillons manquants de la société, selon Bescond et Metayer, un agréable spectacle qui ménage de beaux moments d’émotion (la résidente qui chante Etoile des neiges), de drôlerie néo-réaliste, un peu à la manière de Ken Loach sans oublier de regarder la réalité en face. Car le film épouse le point de vue des pensionnaires qui ne s’échappent pour ainsi dire jamais de l’Ehpad. Ou alors définitivement…

QUAND TU SERAS GRAND Comédie dramatique (France – 1h39) d’Andréa Bescond et Eric Métayer avec Vincent Macaigne, Aïssa Maïga, Evelyse Istria, Christian Sinniger, Kristen Billon, Marie Gillain, Carole Franck, Eric Métayer, Sylvie Artel, Bernard Bloch. Dans les salles le 26 avril.

RENCONTRE « Il faut cesser de mettre les gens dans des cases… »

Sur la scène du casino Joa, sous le regard amusé d’Andréa Bescond, Eric Métayer, en digne fils de son père, l’humoriste Alex Métayer, séduit par le rire le nombreux public des Rencontres du cinéma de Gérardmer où Quand tu seras grand était présenté en avant-première au début avril… Pourtant, de prime abord, le nouveau film du duo ne prête pas vraiment à la rigolade… D’ailleurs, les deux cinéastes questionnent : « Que veut-on faire de notre 3e ou 4e âge ? »
Après Les chatouilles, le couple Bescond-Métayer installe donc son second long-métrage dans le cadre d’une maison de retraite… « C’est vrai qu’il y a des choses très noires dans les Ehpad mais nous avons aussi voulu y mettre de la poésie. Deux personnes âgées qui s’embrassent tendrement, ça existe… Même si on ne s’y attarde pas dans la vie. » Et Andréa Bescond de rebondir : « J’espère qu’à 90 ans, je ferai toujours de gros baisers à mon amoureux ! »

Eric Métayer et Andréa Bescond à Gérardmer DR

Eric Métayer et Andréa Bescond à Gérardmer
DR

En fait, pour les deux co-réalisateurs, il faut cesser de mettre les gens dans des cases. Et il en va de même pour… la musique puisque se côtoient, dans le film, le métal allemand de Rammstein et la célèbre Etoile des neiges. Eric Métayer s’esclaffe : « On a mis le prix pour avoir cette chanson. Mais il nous la fallait ! » Andréa Bescond : « Cette valse, c’est aussi un souvenir personnel de jeunesse avec ma mamie la chantant dans toutes les fêtes de famille… » A propos du tournage, les deux cinéastes observent : « De façon générale, nous sommes ouverts aux propositions mais quand même plutôt directifs. On est attentif au rythme, au dynamisme, à l’urgence… On vient du théâtre. La notion de troupe est importante pour nous. Enfants, acteurs figurants, techniciens, on est tous sur le même bateau. » Enfin, Andréa Bescond et Eric Métayer remarquent : « Notre souci, c’était d’être ultra-précis et respectueux du travail des soignants. Heureusement le personnel est venu nous dire : vous touchez juste… Il n’y a pas encore eu de film représentant leur souffrance… »

 

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