Comme une délicieuse madeleine de Proust !
Brumes, pluie, tonnerre… Il ne fait pas un temps à mettre un Gascon dehors… Mais, dans la France de 1627, propice aux complots et aux révoltes, Charles d’Artagnan n’a qu’une idée en tête : rejoindre Paris et la compagnie des mousquetaires du roi au sein de laquelle il compte bien faire carrière. Et voilà que le jeune gaillard tombe sur un vilain guet-apens. « Passe ton chemin ! » lui intime un malandrin. Mais D’Artagnan ne l’entend pas de cette oreille. Il va tenter d’intervenir, épée au poing. Un coup de pistolet -première rencontre avec la vénéneuse Milady de Winter- le laisse pour mort. Enterré dans une sombre forêt, le jeune Gascon sort de terre, toussant, crachant, la main crispée dans la nuit. Hommage pré-générique aux codes du film d’horreur américain !
Alexandre Dumas et ses mousquetaires, c’est une madeleine de Proust pour bien des lecteurs qui ont grandi avec les aventures d’Athos, Porthos, Aramis et leur jeune compagnon. Alors, forcément, on prête attention quand, mis en selle par le producteur Dimitri Rassam et la société Pathé, Martin Bourboulon relève le gant du film de cape et d’épée…
Car il s’agit bien d’une forme de défi si l’on sait, tout à la fois, que le film de cape et d’épée a quelque chose de quand même bien désuet aujourd’hui et qu’il y a eu, rien qu’au cinéma, seize versions (française, américaine, italienne, austro-allemande, mexicaine, russe, danoise) de l’aventure entre 1909 et 2013…
Scénaristes de ce nouveau Trois mousquetaires, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte le disent clairement : « Dumas représente un fantasme, une sorte de totem (…) depuis très longtemps. Nous avons grandi avec ses livres. Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo, La Reine Margot reviennent régulièrement dans nos conversations. Dumas est l’inventeur du feuilleton, de la scénarisation, du romanesque. C’était un personnage à lui tout seul. C’était un grand amoureux, un jouisseur, un aventurier du quotidien. Un être à part. Il a créé des théâtres, des journaux. C’était aussi un métisse, qui a dû affronter le regard des Blancs corsetés du XIXe siècle. Il a réussi à créer une œuvre profondément populaire et des personnages mythiques « bigger than life » à son image. C’était le Spielberg littéraire de son époque ! Un véritable showrunner, qui avait trop d’idées pour pouvoir toutes les développer et qui, par conséquent, faisait travailler les autres. Il aurait très certainement adoré le cinéma… »
Nous voilà donc au Louvre où le roi Louis XIII, pourtant poussé par le cardinal de Richelieu et son entourage, n’a guère envie de déclencher une nouvelle Saint Barthélémy. A la cour, l’ambiance est délétère. Louis XIII ne sait plus trop sur qui compter. D’autant que le fielleux Richelieu observe : « Le roi n’a pas d’amis. Il n’a que des sujets et des ennemis ».
Mais si, bien sûr, le jeune monarque a des gens qui lui sont totalement dévoués. Ce sont, évidemment, les mousquetaires, la troupe dirigée par le capitaine de Tréville. Celui-là justement que D’Artagnan cherche à rencontrer pour lui remettre une lettre de recommandation rédigé par son vieux père, ami de Tréville.
Fougueux, le Gascon, dans sa hâte, bouscule Athos, se prend la tête avec Porthos et ramasse un mouchoir compromettant au pied d’Aramis. Les trois le somment d’en répondre. Au calvaire de Saint Sulpice pour Athos qui arrive avec ses deux témoins… Porthos et Aramis ! D’Artagnan s’apprête à tirer son épée quand les hommes du cardinal déboulent. Les duels sont interdits. Les mousquetaires sont sommés de se rendre. Tous pour un ! Un pour tous ! Les bretteurs de Richelieu sont mis en déroute.
Déjà réalisateur pour Pathé d’un Eiffel qui s’était bien fait étriller par la critique, Martin Bourboulon réussit, ici, son coup, non point en revisitant Dumas (même si la narration a été quelque peu retissée) mais en dépoussiérant le film de cape et d’épée. Exit les beaux costumes chamarrés et les couvre-chefs impeccables du film de Borderie (1961), voire même les élégants atours du film de Lester (1974). Ici, les mousquetaires portent des tenues informes et de vilains galurins. Mais cela n’altère en rien leur bravoure…
Le plaisir des Trois mousquetaires repose évidemment sur les péripéties conçues par Dumas et que l’on connaît bien. Mais c’est surtout le bonheur de retrouver des personnages simplement emblématiques. La preuve ? Enfant, nous jouions tous à être mousquetaire…
Voici donc D’Artagnan, condensé de courage sans borne, de joie de vivre en bande, d’optimisme, de loyauté, de naïveté et d’opiniâtreté. Un type jeune, de noble famille mais désargenté, dont le tempérament est la seule richesse. Il est loyal, honnête, insolent, téméraire, naïf, inexpérimenté. Tout est neuf pour lui. Paris, le corps des mousquetaires qu’il a tant fantasmé, l’amour soudain qui le bouleverse, les arcanes et les engrenages du pouvoir… Souvent filmé en contre-plongée (comme John Wayne dans ses westerns), François Civil, dans un rôle iconique, a des allures de Belmondo en héros d’un intense récit initiatique. Car, en moins d’une journée et d’une nuit, il frôle la mort, voyage, provoque, tombe amoureux, frôle la mort une seconde fois, tue un homme, rencontre un roi et se fait des amis qu’il gardera toujours…
Ces amis, ce sont Athos (Vincent Cassel), l’homme tourmenté, rongé par le remords, la honte et la culpabilité, Aramis (Romain Duris), le séducteur doublé d’un homme de foi, un dandy soucieux de son apparence mais pour lequel « chaque croix est une conquête », enfin Porthos (Pio Marmaï), l’épicurien pur et dur à l’appétit insatiable dont on nous laisse entendre qu’il serait… bi. Tous ont en commun de défier la mort et n’ont jamais peur de mourir. Des héros comme on n’en fait plus !
Si le film de cape et d’épée, ce sont de (beaux) décors, ici, les châteaux de Fontainebleau ou de Compiègne, l’abbaye de Royaumont, la cathédrale de Meaux ou l’Hôtel de Lauzun, des combats et des chausse-trappes jusqu’à ce mariage de Gaston de France avec la duchesse de Montpensier qui devient un piège mortel pour Louis XIII (Louis Garrel, excellent). Mais les mousquetaires sont là et ils protègent le roi comme le feraient les hommes du service de protection du président de la République !
Dans cette fameuse galerie de personnages qui donnent vie à une œuvre chorale et fortement romanesque sur fond de noirceur dans une époque dangereuse, on trouve, par bonheur, trois forts personnages féminins. Constance Bonacieux (Lyna Khoudri) est charmante, amoureuse de D’Artagnan et résolument courageuse. Anne d’Autriche (Vicky Krieps) est une souveraine troublée par Buckingham mais qui aime aussi Louis. L’affaire des ferrets pourrait la conduire au billot… Enfin, voici la méchante de l’aventure ! Milady est mystérieuse, intrépide, diabolique, prête à tout pour arriver à ses fins. Une guerrière « virile » et moderne, qui manie les armes aussi bien que les hommes.
Enfin, notons que Dumas et le film de cape et d’épée ont le vent en poupe dans un cinéma français avide de proposer de grandes productions sur grand écran. En effet on devrait voir, l’an prochain, Pierre Niney en tête d’affiche d’un Monte-Cristo.
Quant au second volet de la saga des Trois Mousquetaires, cette fois sous-titrée Milady, il sera dans tous les bons cinémas le 13 décembre prochain. On se régale d’avance de ce cadeau de Noël cinématographique !
LES TROIS MOUSQUETAIRES Aventures (France – 2h01) de Martin Bourboulon avec François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Eva Green, Louis Garrel, Vicky Krieps, Lyna Khoudri, Jacob Fortune-Lloyd, Eric Ruf, Marc Barbé, Patrick Mille, Julien Frison. Dans les salles le 5 avril