La royale obsession de Philippa Langley
Elle n’a pas la grande forme, la menue Philippa Langley ! Ce matin-là, elle se prépare à une journée spéciale à son boulot. Car son DRH doit nommer les six employées qui vont former la nouvelle « super équipe » de l’entreprise. Elle y croit… mais ce ne sera pas pour elle. Le DRH, auquel elle objecte qu’elle a toujours tenu ses objectifs, lui trouve l’air fatigué. Bref, Philippa n’a rien d’une battante. Il est vrai qu’elle souffre d’une maladie que d’aucuns, autour d’elle, ne prennent pas au sérieux. Mais son Syndrome de fatigue chronique est bien une réalité qui la laisse, malgré les médicaments, dans un état déplorable, surtout lorsqu’en plus le stress s’en mêle…
Avec The Lost King, le vétéran britannique Stephen Frears ajoute une nouvelle pièce à une filmographie déjà abondante et marquée par de considérables succès comme My Beautiful Laundrette (1985), Prick Up Yours Ears (1987), Sammy et Rosie s’envoient en l’air (1987), Les liaisons dangereuses (1988), The Snapper (1993), The Van (1996), High Fidelity (2000), The Queen (2006), Tamara Drewe (2010), Philomena (2013) ou Florence Foster Jenkins (2016). On se plaît à tous les citer parce qu’ils réveillent d’excellents moments de cinéma.
Depuis 2017 et Confident Royal consacré à la relation quelque peu mystérieuse entre la reine Victoria et son serviteur indien, Frears était silencieux. On se réjouit donc de le retrouver, à 81 ans, dans une aventure inattendue. Car le scénario de The Lost King est certainement l’un des plus surprenants de l’année. D’autant qu’il repose, en plus, sur une histoire vraie.
Frears se penche en effet sur l’extraordinaire quête de Philippa Langley, une quadragénaire ordinaire, employée, mère de deux garçons et qui cohabite régulièrement avec un ex-mari qui ne se prive pas de rencontrer de jeunes conquêtes. Cette petite femme, toute frêle, commence, au début des années 2010, à s’intéresser au roi Richard III en achetant une biographie signée Paul Murray Kendall dans laquelle il s’était servi de sources datant de l’époque de Richard pour évoquer l’homme. « C’est ce que j’ai trouvé, dit Mme Langley, de profondément fascinant car il en brossait un portrait aux antipodes de celui de Shakespeare. On a la preuve qu’il était loyal, courageux, pieux et juste ».
Parue en 1597, la célèbre pièce de Shakespeare met en scène l’ascension et la chute brutale du tyran Richard III, battu par le futur Henri VII d’Angleterre à la bataille de Bosworth. En cinq actes, le grand Will met très librement en scène des événements qui précèdent la fin de la guerre des Deux-Roses, en 1485, lorsque la dynastie des Plantagenêts fait place à celle des Tudors. La pièce a participé à ancrer dans l’imaginaire collectif la légende noire de Richard, roi sanguinaire, monstrueux mais séduisant, capable de toutes les audaces pour accéder au pouvoir.
Affreux bossu qui se décrit lui-même comme estropié et inachevé, Richard répond, chez Shakespeare, à l’angoisse que lui inspire son état, par le credo d’un paria : « J’ai bien l’intention de prouver que je suis un méchant. Et que je hais les plaisirs frivoles des jours actuels. »
C’est donc pour prouver, après 500 ans de mensonges, que Richard III n’était ni un monstre, ni un usurpateur que Philippa Langley va retourner des montagnes et, in fine, le parking des services sociaux de la ville de Leicester. Tout cela en s’appuyant sur ses intuitions qui font grincer les dents des universitaires et déclenche l’ironie méprisante des experts. C’est cette intuition qui lui fait penser, en regardant la lettre R sur le fameux parking (le gardien lui répond que cela veut juste dire : place de parking réservée) qu’elle est en train de marcher sur la tombe de Richard III. Dont l’histoire officielle affirme que le corps a été jeté dans la rivière Soar…
Il n’est nul besoin d’être érudit et spécialiste de l’histoire britannique pour se glisser agréablement dans cette plaisante aventure quasiment familiale qu’est The Lost King. D’abord parce que Stephen Frears, en ne se privant pas d’éreinter Shakespeare, choisit de se mettre du côté d’une femme modeste toujours taraudée par les doutes. Mais à laquelle cette folle recherche historique apporte à la fois de l’énergie et du bonheur. Au passage, le cinéaste (natif de… Leicester!), bien dans l’esprit d’un cinéma anglais social, titille les sachants et les docteurs. D’abord sceptiques, condescendants et dédaigneux, les pontes de l’université de Leicester n’hésiteront pas à s’attribuer tous les mérites de la prestigieuse découverte…
Ce film qui est aussi une réflexion sur la manière d’appréhender l’Histoire, doit beaucoup au talent de Sally Hawkins entourée d’une belle troupe de seconds rôles so british dont Steve Coogan, l’ex-mari de Philippa, qui est également le co-scénariste du film. Elle campe une femme de 45 ans (« Parfois je peux en faire 37 mais aussi avoir l’impression d’en avoir 97 ») accompagnée dans son cheminement compliqué par une apparition qui n’est autre que Richard III lui-même. Révélée au grand public en 2008 dans Be Happy de Mike Leigh en fantasque et pétillante institutrice, Sally Hawkins fut, en 2017 devant la caméra de Guillermo del Toro dans La forme de l’eau, l’admirable Elisa, femme de ménage dans un laboratoire militaire, qui va connaître une merveilleuse idylle avec un amphibien… Avec ses yeux fatigués de panda, elle incarne un beau personnage généreux et fort qui, en recherchant Richard, découvre sa véritable identité…
THE LOST KING Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h48) de Stephen Frears avec Sally Hawkins, Steve Coogan, Harry Lloyd, Mark Addy, Benjamin Scanlan, Adam Robb, James Fleet, Julian Firth, Alasdair Hankinson, Ian Dunn, Phoebe Pryce. Dans les salles le 29 mars.