Danser pour survivre à l’horreur
Sur une terrasse, au soleil méditerranéen, Houria, superbe en cygne noir, un casque sur les oreilles, danse, dans la séquence d’ouverture du second long-métrage de fiction de Mounia Meddour, pour préparer le casting d’un chorégraphe qui va monter Le lac des cygnes… On retrouve la jeune femme, dans les images qui clôturent le film, sur cette même terrasse où flottent des voiles. Avec un groupe de femmes, elles dansent pour l’espoir et pour la vie. « Je respire, je tourne et je m’oublie ».
Entre ces deux temps baignés de musique, Houria va vivre de terribles déconvenues. Un véritable descente aux enfers pour cette jeune Algérienne qui travaille comme femme de ménage dans un hôtel en rêvant de devenir une grande ballerine. La nuit, pour s’offrir une voiture, Houria participe à des paris clandestins sur des affrontements de béliers surnommés Poutine, Shakira, Obama, Trump, Joker ou Danger nucléaire… Probablement de mèche avec l’organisateur de ces combats spécifiques de l’Algérie, Houria empoche une belle somme et disparaît dans la nuit. C’est sans compter avec Ali, un parieur qui s’estime floué. Il poursuit la jeune femme, la frappe violemment et la laisse sur le carreau…
Mère d’Houria et également sa professeur de danse, Sabrina (Rachida Brakni) la retrouve sur un lit d’hôpital, la cheville fracturée en deux endroits et surtout, à cause d’un oedème majeur, désormais muette. Le médecin des urgences promet de longues semaines de rééducation…
On avait découvert Mounia Meddour en 2019 avec Papicha qui, présenté à Un certain regard à Cannes et sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood, remporta le César du meilleur premier film et le César du meilleur espoir féminin pour Lyna Khoudri. Celle-ci incarne alors Nedjma, une étudiante en français, qui, dans l’Algérie de la décennie noire (1991-2002), rêve de devenir styliste de mode. En butte aux violences de la guerre civile et aux pressions de plus en plus fortes pour qu’elle se conforme aux normes morales et vestimentaires dictées par les islamistes, Nedjma refuse de se soumettre. Elle décide d’organiser un défilé de mode au sein de sa résidence universitaire…
Avec Houria, la cinéaste poursuit donc l’exploration de la société algérienne contemporaine à travers l’histoire d’une jeune danseuse qui va se métamorphoser à la suite d’un accident, découvrant l’isolement, la solitude, le handicap mais aussi renaître plus forte dans la solidarité des femmes…
Si Houria est sans doute moins emballant que Papicha, le film se présente pourtant comme une œuvre bourrée d’énergie. Et il en faut pour Houria et Sabrina, danseuses, vivant sans hommes, ne portant pas le voile… Pour Mounia Meddour, le féminin, l’appétence artistique et l’aspiration à la liberté ne peuvent faire qu’un : « Pour moi , dit-elle, la liberté individuelle aspire à une envie de s’épanouir, à s’exprimer et à explorer des chemins artistiques variés. En Algérie, le poids des traditions et le patriarcat sont trop présents et il est très difficile de s’émanciper quand on est une femme. Dans le film, Sabrina est une femme cultivée, qui a du talent et qui gagne sa vie dignement même si pour certains danser dans des mariages est quelques chose de scandaleux. »
Si Houria s’ouvre sur une lumineuse passion pour la danse (« ce lieu du sacré » comme l’écrit la danseuse étoile Marie-Claude Pietragalla) dans un pays où le corps des femmes est tabou, le film développe ensuite, tandis que Houria bataille pour se reconstruire au sein d’un groupe de femmes handicapées et souvent muettes elles aussi, une réflexion sur l’Algérie vingt ans après la fin de la guerre civile alors que les familles des victimes exigent toujours la justice et la vérité. Ali, l’agresseur d’Houria, est un terroriste repenti qui, amnistié, se retrouve libre et métaphorise les désastres de la décennie noire comme un fantôme du passé qui ne cesse toujours de rôder.
Alors que Houria et sa mère bataillent pour faire reconnaître leurs droits, la cinéaste montrent deux séquences ubuesques de commissariat où les fonctionnaires ne peuvent prendre la plainte parce qu’il n’y a plus de papier pour la photocopieuse et se préoccupent surtout de savoir s’il y aura des frites dans leur casse-croûte. Des institutions passives qui se moquent de la façon dont le pouvoir a acheté la paix sociale en amnistiant les ex-islamistes.
Meilleure amie d’Houria, Sonia, elle, a décidé de quitter l’Algérie. Elle a trouvé un passeur, un bateau pour rejoindre l’Espagne dans l’espoir d’y faire un mariage blanc… Parce que, dit-elle, la vie, c’est maintenant. Pour Houria, dont le mutisme symbolise l’impossibilité pour les femmes de parler librement, il reste la danse dans une chorégraphie -au langage créatif secret et codé- où des corps blessés vont se réparer puis s’épanouir dans la beauté, la dignité et la liberté. Ne serait-ce que sur une terrasse face à la mer.
Sur de belles images, dans un montage vibrant et une bande-son où l’on entend La Felicità, Casta Diva et Gloria, voici un film où les femmes tiennent le haut du pavé. Il n’y a presque pas d’hommes dans Houria sinon l’ex-terroriste et quelques joyeux traîne-misère qui tiennent les murs.
Déjà vedette de Papicha, Lyna Khoudri est à nouveau tête d’affiche d’Houria. La comédienne qui commence à devenir incontournable dans le cinéma (on l’a vu récemment dans Gagarine, Haute couture, The French Dispatch, La place d’une autre, Nos frangins ou Novembre) incarne cette tonique jeune femme qui se retrouve fracassée mais qui parviendra à dépasser ses blessures. A ses côtés, Amira Hilda Douaouda est une Sonia joyeuse et émouvante. Quant à l’excellente Nadia Kaci, elle est Halima, une mère de famille « muette » depuis que ses deux enfants ont été tués dans un attentat pendant la guerre civile…
Leur terrasse est devenue une île, un refuge rien qu’à elles..
HOURIA Drame (France-Algérie – 1h38) de Mounia Meddour avec Lyna Khoudri, Rachida Brakni, Nadia Kaci, Hilda Amira Douaouda, Meriem Medjkane, Zahra Manel Doumandji, Sarah Guendouz, Marwan Fares. Dans les salles le 15 mars.