Madeleine et Pauline dans une folle aventure féministe
Le bonheur, c’est un rien
Mais ce rien qui nous tient
A chassé toutes nos misères
Rien n’a pour nous deux
Et le ciel toujours bleu
C’est la plus belle des chimères…
Chantées par Danielle Darrieux, les paroles du Bonheur, c’est un rien extrait du film Mademoiselle Mozart (1936) traversent le nouveau film de François Ozon comme une bluette typique des années trente mais aussi probablement comme un hommage à la comédienne disparue en 2017 à l’âge de cent ans et qu’il mit en scène, en 2002, dans Huit femmes, l’un de ses plus grands succès… Et d’ailleurs, les deux héroïnes de Mon crime vont au cinéma voir Mauvaise graine (1934) réalisé par Alexandre Esway et Billy Wilder dans lequel la toute jeune Danielle Darrieux, 16 ans, est l’égérie d’une bande de voleurs de voitures…
Avec Mon crime, Ozon complète sa trilogie sur les femmes après, donc, Huit femmes et Potiche (2010) qui voyait la mémère Suzanne Pujol, lasse des vexations et des infidélités d’un mari réactionnaire et misogyne, prendre avec une certaine aisance la direction de l’entreprise familiale…
Une superbe propriété Art déco avec piscine dans un Paris cossu. Une jeune femme sort de la bâtisse, affolée. Elle s’enfuit. Elle erre dans la capitale avant de revenir au petit appartement de la rue Jacob qu’elle partage avec son amie Pauline Mauléon…
Au mitan des années 30, à Paris, Madeleine Verdier, jeune et jolie actrice sans le sou et sans grand talent, va être accusée du meurtre d’un riche et célèbre producteur. Elle nie les faits avant de craquer. Eh oui, c’est elle qui a commis le crime. Mais elle est aussi la victime d’un homme qui a tenté de s’en prendre à sa vertu. Le juge d’instruction Rabusset est aux anges. Enfin, il tient un dossier bien ficelé. Avec, en prime, des aveux. La reine des preuves.
Comparaissant devant les assises, Madeleine, droite dans le box, a enfin l’occasion d’être dans la lumière, tous les regards braqués sur elle. Et son amie Pauline Mauléon, jusque là jeune avocate au chômage, lui a carrément écrit des… dialogues qui lui permettent de briller. Car il en va de la cause des femmes dans ces années trente où les femmes sont mineures quant à leurs droits et majeures quant à leurs devoirs… Pour légitime défense, Madeleine sera acquittée, sinon avec les félicitations du jury, du moins sous les applaudissements du public féminin.
Pour la jeune femme, commence une nouvelle vie, faite de gloire et de succès. Mais la vérité va pourtant éclater au grand jour.
« Le cinéma parlant, explique le cinéaste, m’est toujours apparu comme l’art du mensonge par excellence, et depuis longtemps, je souhaitais raconter une histoire autour d’un faux coupable ou d’une fausse coupable. La découverte de la pièce de Georges Berr et Louis Verneuil, l’un des grands succès de 1934 (monté au théâtre des Variétés avec Edwige Feuillère en vedette, ndlr), m’a tout de suite semblé l’occasion de me confronter à ce thème. »
Si, ces dernières années, c’est plutôt le drame qui primait dans la filmographie d’Ozon avec notamment Grâce à Dieu (2018) sur les abus sexuels dans l’Église catholique autour de l’affaire de l’abbé Preynat ou encore Tout s’est bien passé (2021) sur un père malade qui demande à sa fille de l’aider à mourir, le réalisateur amorce un sympathique retour à la comédie fantaisiste. En se reposant sur une pièce du théâtre boulevardier, Ozon s’ingénie à tirer les fils d’une intrigue qui nous tient en haleine juste ce qu’il faut mais qui a le mérite de nous divertir autour des ambiguïtés de l’âme humaine, du statut des femmes et des frontières, ici plutôt floues, du bien et du mal.
Mon crime est un film où l’on goûte les décors, les voitures d’époque, une musique volontiers lyrique au parfum nostalgique, les dialogues ciselés, les reconstitutions du Paris des années folles, les beaux costumes et bien évidemment une photographie (du Belge Manu Dacosse, collaborateur régulier d’Ozon) qui retrouve l’esprit, sans chercher la référence ou le pastiche, des œuvres du Lubitsch de Haute pègre ou du Guitry de Quadrille.
Tout cela servant d’écrin à de joyeux personnages féminins qui font bloc contre les hommes tout en étant, il faut bien le dire, passablement manipulatrices. Nadia Tereszkiewicz (Madeleine) et Rebecca Marder (Pauline) font partie des jeunes comédiennes actuelles qui grimpent à belle allure les échelons du succès… La première est une Madeleine qui joue sa vie sur la scène du théâtre comme face à ses juges. La seconde est dans le registre de l’amitié. Elle est la confidente et le soutien de Madeleine. Une jeune femme qui paraît forte mais qu’on découvre fragile, derrière son caractère, tranché, notamment par rapport à ses amours… Et puis il y a le feu d’artifice Isabelle Huppert. On la sait à l’aise dans la comédie (on l’a constaté chez Ozon dans Huit femmes) et son Odette Chaumette, survivante du cinéma muet, est un mélange détonnant de la folle de Chaillot et de Sarah Bernhardt qui va bouleverser la trajectoire des personnages…
Enfin, il faut citer tous les hommes de cette aventure cocasse autour des rapports de pouvoir et d’emprise dans les relations hommes/femmes. Fabrice Luchini, petite moustache et lunettes, est un magistrat crétin, champion de l’erreur judiciaire. Dany Boon est épatant en patron à l’accent marseillais, André Dussollier savoureux en futur beau-père berné. Et puis il y a aussi Daniel Prévost et Michel Fau en magistrats à robe rouge, Olivier Broche en greffier malicieux ou Régis Laspalès (avec un amusant faux air de Francis Blanche) en inspecteur de la Sûreté un peu trop sûr de lui…
Frank Capra disait, en substance, que le pêché capital au cinéma, c’est l’ennui. De ce point de vue, François Ozon a tout juste.
MON CRIME Comédie dramatique (France – 1h42) de François Ozon avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Edouard Sulpice, Régis Laspalès, Olivier Broche, Evelyne Buyle, Michel Fau, Daniel Prévost, Myriam Boyer. Dans les salles le 8 mars.