Hilary apaisée par la lumière du grand écran
C’est sur le plan d’un présentoir de pop-corn que s’ouvre Empire of Light. Clin d’oeil de Sam Mendes à certains de ses films passés ? Comme ses deux James Bond (Skyfall et 007 Spectre) au demeurant plutôt réussis ou encore l’excellent 1917, vaste saga de la tragédie guerrière de 14-18 à travers la mission de deux jeunes caporaux britanniques…
Car, avec ce neuvième long-métrage, le cinéaste britannique de 57 ans s’éloigne des blockbusters pour renouer avec sa veine intimiste et sociétale qui lui avait parfaitement réussi du temps d’American Beauty (1999) et des Noces rebelles (2008). Dans le premier, Mendes suivait au plus près la dégringolade d’un père de famille (Kevin Spacey) américain ordinaire, dans le second les tourments d’un jeune couple américain (Kate Winslet et Leonardo DiCaprio) qui, s’étant pourtant promis de ne jamais sombrer dans le conformisme de leurs voisins, finissent par devenir tout ce qu’ils ne voulaient pas être…
Sam Mendes est donc, ici, de retour en Grande-Bretagne et dans un décor, on ne peut plus british et old fashioned, en l’occurrence la station balnéaire de Margate, dans le Kent, immortalisée vers 1840, par le peintre William Turner qui trouvait que le ciel y était le plus beau d’Europe… C’est sur le vaste front de mer, faisant face à d’immenses plages de sable fin, que s’élève l’imposante bâtisse de l’Empire. Un superbe cinéma à l’ancienne avec deux vastes et belles salles aux tentures rouges… Dirigé par Mister Ellis, le cinéma emploie une douzaine de personnes parmi lesquelles Hilary Small chargée de la caisse, la confiserie et, le soir venu, du comptage des tickets d’entrée…
Empire of Light est le premier scénario écrit ex-nihilo par Sam Mendes qui y a mis beaucoup de lui-même, en s’appuyant sur sa propre expérience familiale avec une mère souffrant de bipolarité. « Pour beaucoup de gens, dit le metteur en scène, la période d’apprentissage correspond à l‘adolescence, qui dans mon cas se situe à la fin des années 70 début des années 80 : la musique, les films et la pop culture de cette époque ont forgé qui j’étais. Cela a été un moment de grands bouleversements politiques au Royaume-Uni, dans un contexte inflammable de racisme et en même temps, une période incroyable pour la musique et la culture en général très créative, très politisée, très galvanisante. »
Après Babylon de Damien Chazelle et The Fabelmans de Steven Spielberg, voici un troisième film qui emporte le spectateur dans l’univers du cinéma. Car Hilary Small ne vit qu’à travers son travail à l’Empire. Le reste de l’existence de cette femme seule d’une petite cinquantaine, est tristement vide. Se confiant à son médecin, Hilary dit qu’elle se sent éteinte. On devine alors qu’Hilary qui se soigne au lithium, a connu des séjours en hôpital psychiatrique pour soigner ses profondes phases de dépression.
La vie sans joie d’Hilary bascule lorsque l’Empire embauche Stephen, un nouvel employé afro-britannique. Dans l’espoir de pouvoir bientôt entrer à l’université pour devenir architecte, le jeune homme vient donc se glisser provisoirement dans la petite équipe de l’Empire. Pour Hilary, sa présence est comme un baume à l’âme. Elle qui subit régulièrement, dans le bureau du patron, les brèves mais dégradantes étreintes d’Ellis, imagine un bel amour. D’autant que Stephen se montre attentionné, tendre et même amoureux. Au sommet de l’Empire, sur les canapés de moleskine du vaste balcon désaffecté donnant sur la mer, où les pigeons jouent autour d’un piano abandonné, Hilary s’apaise, réussit un peu à panser ses blessures et peut envisager un monde meilleur…
Jouant autant sur ses décors (ah, que l’hiver semble froid à Margate) que sur une bande originale très élaborée reprenant des chansons des années 80 réunissant des musiciens blancs et noirs autour de la fusion particulière du ska et du punk, alors à son apogée, Sam Mendes construit une belle romance nostalgique et évidemment improbable où l’Empire, offrant un sentiment d’appartenance au groupe, est une manière de pivot pour tous les personnages. C’est notamment, dans le contexte des émeutes raciales de Brixton, que lors d’une manifestation, des skinheads entreront dans le cinéma pour gravement molester Stephen… Sur de remarquables images de Roger Deakins, le metteur en scène peaufine de petits portraits, qu’il s’agisse d’Ellis (Colin Firth) ou de Norman (l’excellent Toby Jones) le projectionniste qui fait découvrir à Stephen, dans son antre aux deux immenses projecteurs déroulant leur pellicule, l’effet phi et la sensation visuelle du mouvement…
Si l’on découvre Micheal Ward dans le rôle de Stephen, on apprécie une fois de plus la prestation magistrale d’Olivia Colman. Découverte dans Tyrannosaur (2011), la comédienne sera ensuite extraordinaire dans La favorite (2018) de Yorgos Lanthimos où elle incarne une reine Anne à la lourde silhouette pour laquelle elle remporte un Oscar de meilleure actrice avant de s’imposer brillamment en Elisabeth II dans les saisons 3 et 4 de la série The Crown qui lui vaudront une notoriété internationale.
Son Hilary Small est bouleversante, ainsi dans cette scène où, muette, elle attend dans son appartement, sa valise sur les genoux, l’assistante sociale et les policiers qui explosent sa porte pour la conduire une nouvelle fois à l’hôpital… Mais Sam Mendes offre à Hilary son plus beau moment lorsque l’employée de l’Empire, qui ne ne va jamais voir de film (parce qu’on ne mélange pas le divertissement avec le boulot) demande à Norman de lui projeter un film… C’est la nuit. Les derniers spectateurs sont partis. Norman s’apprête à rentrer chez lui. Il remonte en cabine, rallume ses appareils. Hilary s’installe au milieu de la vaste salle, seule face à l’écran. Et se déroulent les images de Bienvenue Mister Chance (1979) de Hal Ashby. Peter Sellers y incarne un jardinier simple et naïf dont les proverbes de sagesse vont être pris comme des oracles par les tenants du pouvoir… Devant l’image, sourire tendre et regard presque extatique, Hilary fascinée, savoure cette douce fable qui s’achève par un « La vie est un état d’esprit ».
Le cinéma n’a toujours pas fini de donner du bonheur !
EMPIRE OF LIGHT Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h59) de Sam Mendes avec Olivia Colman, Micheal Ward, Colin Firth, Toby Jones, Tom Brooke, Tanya Moodie, Hannah Onslow, Crystal Clarke, Monica Dolan. Dans les salles le 1er mars.