Un si beau désir de cinéma!

Sammy Fabelman (Gabriel LaBelle) caméra au poing. DR

Sammy Fabelman (Gabriel LaBelle)
caméra au poing. DR

« Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée, elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Des gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma… » C’est Ferrand, le réalisateur du film Je vous présente Pamela, qui le dit à Alphonse, l’un de ses acteurs. Ferrand, c’est François Truffaut et il tourne, en 1973, avec La nuit américaine, un magnifique chant d’amour au 7e art.
The Fabelmans, c’est le cri d’amour que Steven Spielberg lance à son tour au cinéma. Un Spielberg qui, par admiration, demanda, en 1977, à François Truffaut d’incarner le professeur Lacombe dans Rencontres du troisième type. Tout est dans tout.
Tout commence lorsque Mitzi et Burt Fabelman décident d’aller au cinéma en famille. Dans l’Amérique des années 50, c’est la sortie par excellence. Les salles sont immenses, le public est présent en masse et les enfants ont les yeux immensément ronds devant l’écran de lumière. Pour le petit Sammy, la rencontre avec le cinéma, ce sera Sous le plus grand chapiteau de monde dans lequel, en 1952, Cecil B. DeMille raconte l’aventure du directeur d’un cirque américain aux prises avec des difficultés financières, des investisseurs frileux, un trapéziste de renom, quelques belles, un truand et un dompteur qui fera les frais d’une spectaculaire collision entre deux trains lancés à vive allure…

Là où tout commence... Burt Fabelman (Paul Dano), le jeune Sammy et Mitzi (Michelle Williams). DR

Là où tout commence… Burt Fabelman
(Paul Dano), le jeune Sammy
et Mitzi (Michelle Williams). DR

C’est le choc, la révélation, l’instant fondateur ! Désormais Sammy dort, mange, lit, court, rêve cinéma. Et un train électrique va devenir son premier plateau de tournage. Le gamin organise à son tour un accident qu’il filme avec la petite caméra paternelle. Son père l’encourage pleinement. Car lorsque l’accident sera sur la pellicule, Sammy pourra le revoir autant de fois qu’il le souhaite… sans abîmer définitivement ses beaux jouets…
Alors, cette passion désormais chevillée au corps, Sammy Fabelman passe son temps à filmer sa famille. « Parce que les films sont des rêves qu’on oublie jamais ». Au fil des années, Sammy, à force de pointer sa caméra sur ses parents et ses sœurs, est devenu le documentariste de l’histoire familiale! Il réalise même de petits films amateurs de plus en plus sophistiqués, interprétés par ses amis et ses sœurs, où passent de fiers cow-boys ou d’affreux nazis…
A 73 ans le wonderboy a désormais pris de la bouteille. Il est l’une des personnalités les plus influentes d’Hollywood. De Duel à Pentagon Papers en passant par Les dents de la mer, E.T., Indiana Jones, Jurassic Park, Munich, ses succès ne se comptent plus. Et son audience mondiale se chiffre en millions d’entrées. Dans ses années universitaires, Spielberg en était venu à nier sa judéité à cause des Jewshaters qui le cernaient. Avec La liste de Schindler (1993), il avait payé son tribut à ses origines.

Quand Sammy filme les siens... DR

Quand Sammy filme les siens… DR

Et voilà donc venu le temps de se tourner, dans une chronique familiale intimiste, vers ce qui a donné du sens à son existence. The Fabelmans, c’est une déclaration d’amour. Au cinéma, cela va de soi mais aussi, et ce n’est pas vain, à une famille magnifique avec un père tendre et lunaire et une mère, brillante pianiste concertiste qui renonça à son art pour s’occuper des siens. Une famille parfois un peu meschugge où bien des moments, Hanoucca en tête, sont l’occasion de se réjouir, de fêter, de célébrer les liens… Que dire ainsi de l’arrivée de l’oncle Boris ! Ce barbu grognon, qui connut Harry A. Pollard et fut de l’aventure de La case de l’oncle Tom (1927), lui glisse qu’entre la famille et l’art, il va être déchiré en deux. Et Sammy Fabelman ne sait pas encore que les images familiales qu’il filme avec soin, révéleront une rude secret familial. Et si Burt Fabelman répète volontiers que la passion de Sammy est un beau passe-temps, l’adolescent sait bien que le cinéma sera infinement plus que cela…
« La plupart de mes films font écho à des événements qui me sont arrivés au cours de mes années d’apprentissage, dit Steven Spielberg. Dès qu’un cinéaste s’attaque à un projet, même s’il n’en a pas écrit le scénario, il parle forcément de lui d’une manière ou d’une autre, qu’il le veuille ou pas. C’est comme ça. Mais avec The Fabelmans, ce n’était pas seulement métaphorique car l’histoire s’inspire directement de mes souvenirs ».

Pour l'amour du cinéma ou de Monica (Chloe East), Sammy (presque) prêt à se convertir... DR

Pour l’amour du cinéma ou de Monica (Chloe East), Sammy (presque) prêt à se convertir… DR

Alors on se laisse emporter, avec jubilation, dans cette chronique tour à tour tendre et cruelle, vintage et colorée, chaotique et bouleversante où la vie est rythmée par une caméra Bolex, une table de montage 8mm Mansfield ou une Arriflex 16 pour laquelle Sammy se reconvertirait presque au catholicisme. Gabriel LaBelle est un double attachant. Paul Dano est touchant en père parfois pathétique. Quant à Michelle Williams, elle est formidable en mère aimante qui se reproche tout et le reste…
Pour finir, on se régale de la rencontre (imaginaire?) entre Sammy et John Ford. Une casquette enfoncée sur la tête, le cinéaste de L’homme tranquille et de La prisonnière du désert machouille son gros cigare… Et le borgne le plus célèbre d’Hollywood (incarné par un David Lynch méconnaissable) apostrophe le gamin, l’incitant à regarder deux tableaux. « Il est où, l’horizon ? » Sammy : « En haut ! » Et sur l’autre ? « En bas… » Et Ford de commenter : « Quand l’horizon est est haut, c’est intéressant. Quand il est en bas, c’est intéressant. Quand il est au milieu, c’est chiant comme la pluie ! » Leçon gratuite d’un vieux maître. Dans les allées du studio, Sammy sautille de joie comme Charlot. Lumières ! Silence ! Moteur ! Action !

THE FABELMANS Comédie dramatique (USA – 2h31) de Steven Spielberg avec Michelle Williams, Paul Dano, Gabriel LaBelle, Seth Rogen, Judd Hirsch, Mateo Zoryan, Keeley Karsten, Alina Brace, Julia Butters, Birdie Borria, Sam Rechner, Oakes Fegley, David Lynch. Dans les salles le 22 février.

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