Deux frères et un sinistre bahutage
Volontaires de tous horizons
Pour effacer l’humiliation
Toujours prêts à braver la mort
D’un seul désir d’un même élan
Autour du fanion faisant corps
Vous avez traqué l’occupant
Commandos d’Afrique, fier commandos
Commandos d’Afrique, lion dans l’assaut
Sans pitié tu travailles au couteau
Sans pitié tu défends le drapeau
Modèle de force et de foi
Que ton courage soit notre loi…
Ce sont les paroles du chant de Saint-Cyr Commandos d’Afrique qui ouvrent Pour la France, le second long-métrage de Rachid Hami… Mais le caractère martial de ces voix d’hommes cède vite le pas à une sourde inquiétude. C’est la nuit. Des soldats avancent dans l’eau. « Bougez-vous ! » Les souffles sont haletants. « Le froid, c’est dans la tête… »
Quelque part, dans une boulangerie parisienne, Ismaël fait la pause et fume une cigarette. Le téléphone sonne dans l’atelier. Nadia, la mère d’Ismaël est au bout du fil. Le bahutage a tourné au drame. « Ils ont dit que c’était un accident », ajoutant « On a donné ses organes » et encore « Je ne sais pas dans quel état, on la trouver… »
C’est une famille évidemment bouleversée qui va rencontrer le général Caillard, directeur des écoles militaires. Lors d’un rituel d’intégration à Saint-Cyr, Aïssa Saïdi, 23 ans, a perdu la vie.
« À l’automne 2012, explique le cinéaste, les élèves de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, en charge de la « transmission de tradition » destinée à accueillir les nouvelles recrues, ont décidé de reconstituer le débarquement de Provence du 15 août 1944. Un peu avant minuit, le 29 octobre 2012, les nouveaux, sous le feu de puissants projecteurs, ont été poussés à entrer dans un étang surnommé « Bazar Beach », équipés de leurs treillis, rangers et casque lourd, sous des tirs de cartouches à blanc accompagnés des Walkyries de Wagner diffusées à plein volume… » Las, le côté Apocalypse Now, version carton-pâte vire au drame.
Plongés dans une eau à 9 degrés qui saisit même les meilleurs nageurs, les jeunes soldats découvrent très vite qu’ils n’ont pas pied. Panique générale, sauve-qui-peut. Beaucoup n’échappent à la noyade que d’un cheveu. Dans la confusion, on met du temps à s’apercevoir qu’un soldat manque à l’appel : Jallal Hami, OST (Officier Sur Titre) de 24 ans.
Avec Pour la France, Rachid Hami fait le choix d’éluder la dimension de l’enquête comme l’a traité, par exemple, l’Américain Rob Reiner avec Des hommes d’honneur (1992) où deux avocats militaires cherchaient à élucider la mort suspecte d’un marine à Guantanamo… Ici, cette dimension tient en une séquence durant laquelle une magistrate annonce qu’elle va ouvrir un dossier pour homicide involontaire.
Le cinéaste va d’abord s’intéresser à une Armée qui peine à reconnaître ses responsabilités. Alors qu’Ismaël (excellent Karim Leklou) réclame la vérité, la question des funérailles du jeune officier va prendre un tour quasiment ubuesque. Que faire de la dépouille de ce garçon tombé pour la France sans avoir combattu, tombé par la faute de ses camarades ? Lui offrir une cérémonie aux Invalides, comme le propose la direction de Saint-Cyr, ou se contenter du carré musulman de Bobigny, comme le préconise l’État-Major de l’Armée de Terre ?
Hami questionne aussi la manière de devenir Français, quand on ne l’est pas de naissance. A l’usure, après plusieurs générations, ou de manière instantanée, par le sang versé. L’assimilation par le courage, le risque et l’énergie plutôt que par la patience, l’obéissance et la sagesse. C’est la voie des soldats de la Légion Étrangère, ou celle de Romain Gary, immigré juif russe devenu aviateur, écrivain et gaulliste. C’est la voie rapide, celle des jeunes gens pressés, des immigrés et des rêveurs, qui parfois sont les trois en même temps… « C’était celle, dit le réalisateur, qu’avait choisie mon frère. D’une certaine manière, il a atteint son but, trop vite et de manière absurde. Mais lui était prêt à tomber pour la France. »
Pour la France n’est pas une histoire de vengeance ou de rédemption, ni une dénonciation stérile de la chose militaire, ni donc une enquête criminelle. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est de se pencher sur la vie d’Aïssa (Shaïn Boumedine, vu dans Mektoub, my love, canto uno de Kechiche), garçon né en Algérie qui rêvait de devenir officier de l’armée française.
Alors qu’il lutte, avec ses petits moyens, pour obtenir des funérailles et une sépulture dignes de l’engagement de son petit frère, Ismaël explore ses souvenirs pour reconstituer et comprendre l’itinéraire qui les a menés, lui et sa famille, des plages d’Alger à ce sinistre étang de Saint-Cyr.
Par une succession de flash-backs, le film prend alors la forme d’une errance d’abord dans l’Algérie des années FIS où Nadia (Lubna Azabal) est décidée à quitter le pays avec ses fils alors que le père, gendarme de son état (Samir Guesmi, remarquable), veut les en empêcher, allant jusqu’à tenter d’intimider Aïssa en négligeant Ismaël, puis en France et enfin à Taïwan où Aïssa poursuit ses études à l’université de Taipei.
C’est d’ailleurs dans cette Chine lointaine que les deux frères, loin de tout ce qui comptait pour eux, vont approcher la vérité brûlante à l’origine de leurs dissensions. Alors qu’une proche lui lance : « Jamais, tu as pris une bonne décision… », Ismaël se sent médiocre, presque minable, face à Aïssa, beau, jeune, « celui qui n’a jamais rien raté ». Mais Rachid Hami lui offrira une ultime scène pleine d’émotion…
En novembre 2020, sept militaires et ex-soldats comparaissent pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Rennes. En janvier 2021, le jugement tombe. Trois personnes sont condamnées à des peines de 6 à 8 mois de prison avec sursis. Quatre personnes sont relaxées. A la sortie du procès, Rachid Hami dit : « Ce jugement raconte l’histoire de notre pays. Jallal a été trahi par ses camarades et la justice a décidé de les protéger pour ne pas qu’ils soient condamnés. Leur peine sont des peines avec sursis et elles ne seront pas inscrites à leur casier judiciaire. Ça ne va rien changer pour eux. La mort de mon frère est indélébile, gravée sur un morceau de calcaire au père Lachaise. »
POUR LA FRANCE Drame (France – 1h53) de Rachid Hami avec Karim Leklou, Shaïne Boumedine, Lubna Azabal, Samir Guesmi, Laurent Lafitte,Vivian Sung, Elyes Aguis, Slimane Dazi, Lyès Salem, Laurent Capelluto. Dans les salles le 8 février