Audrey ou l’envol de la femme de chambre

« Dès l’aéroport, j’ai senti le choc… » C’est Nougaro qui chantait voilà longtemps déjà… Il y a un aéroport, une chanson et de la musique dans Bird People, le nouveau film de Pascale Ferran. La chanson, c’est « La Javanaise » de Gainsbourg, ici interprétée par Julien Doré et chantonnée par Anaïs Demoustier. La musique est, excusez du peu, de David Bowie himself. Sa « Space Oddity » va comme un gant à l’aéroport parisien de Roissy Charles de Gaulle, véritable « personnage » de Bird People.

C’est une histoire toute simple que celle de Bird People. Enfin, ce sont deux histoires simples. La première est celle de Gary Newman, ingénieur informaticien américain qui débarque de Californie pour les besoins d’un gros contrat. La seconde est celle d’Audrey, jeune femme de chambre au Hilton de l’aéroport. Après son rendez-vous, Gary s’enferme dans sa chambre et craque. Trop de stress, plus assez de volonté de continuer à se battre. Pour tout, le boulot mais aussi sa femme, sa famille. Audrey, elle, va de chambre en chambre, poussant son chariot plein de petites bouteilles de shampoing et de draps de bain propres. On sent bien qu’Audrey voudrait faire autre chose. Elle parle bien d’études à la faculté, de partiel à réviser mais n’est-ce pas simplement pour échapper à des heures de plus que voudraient lui coller sa supérieure?

BIRD_PEOPLE_MoineauBV-300x168

DR

Avec ce matériau qui, après tout, n’est pas bien neuf dans le cinéma des temps de crise, Pascale Ferran va réussir à embarquer le spectateur dans une aventure d’abord humaine puis complètement merveilleuse. On se dit alors que c’est précisement ce qu’on demande au cinéma: nous promener, hors des scénarios balisés, dans des rêveries inattendues.

Pascale Ferran, voilà longtemps qu’on la connaît. Depuis Petits arrangements avec les morts (1993), mystérieuse variation sur le souvenir qui lui valut la Caméra d’or cannoise. Elle vient ensuite à Strasbourg pour L’âge des possibles (1996) avec les élèves comédiens du TNS. Et puis son Lady Chatterley et l’homme des bois (2007) revisita à la fois DH Lawrence et l’érotisme au cinéma. Marina Hands y était lumineuse de sensualité…

Avec Bird People, la cinéaste tente de saisir quelque chose du monde d’aujourd’hui et de l’incroyable accélération, technologique notamment, du temps. Dans ces non-lieux, endroits de passage propres à donner le cafard, que sont les zones aéroportuaires, Pascale Ferran installe un vrai climat fantastique. Non que ces deux personnages soient des aliens mais parce que Gary et Audrey sont à des moments critiques de leur existence. Dans un taxi qui le ramène à l’hôtel, le premier regarde, sur son ordinateur, des séquences de chutes façon « Vidéogag ». Prémonitoire d’un désir de chuter à son tour dans le vide? Quant à Audrey, elle va faire l’incroyable et surnaturelle expérience de l’appel du vide.. Mais, à la demande des auteurs du film, on n’en dira pas plus pour préserver la surprise du spectateur…

BIRD_PEOPLE-photo7_Archipel-35BV-300x168

Anaïs Demoustier. DR

Comme pour une ouverture d’opéra, Pascale Ferran lève son rideau sur une foule d’anonymes, un jour ordinaire dans un RER parisien. Casques sur les oreilles, smartphones au poing, ils rêvent, sourient, râlent, s’énervent. On entend des fragments de conversations dans une chorégraphie du quotidien où des individus qui ne sont personne vont devenir des… personnes. Au milieu d’eux, Audrey, en route pour Roissy, regarde un moineau…

Cette humanité va se réduire, pour Gary et Audrey, au huis-clos de l’hôtel. Bien sûr, l’Américain en transit et la femme de chambre ne sont pas fait pour se rencontrer. A son père qui lui dit, au téléphone, que son boulot au Hilton va, au moins, lui permettre de perfectionner son anglais, Audrey rétorque: « Tu crois vraiment que les clients parlent aux femmes de chambre? » Et pourtant ces deux-là vont -forcément?- se retrouver. Parce qu’ils ont, chacun à leur manière, décidé de décrocher de la société. A sa femme, au cours d’une rude explication relayée par Skype, Gary confie qu’il n’en peut plus d’un état de guerre permanent. « J’ai l’impression, dit-il, de me dissoudre comme un sucre au fond d’une tasse. »

En s’appuyant sur deux beaux comédiens (Josh Charles, le cadre au bout du rouleau, et Anaïs Demoustier, un séduisant concentré de tendresse), Pascale Ferran propose un film qui brouille les genres et les pistes et qui livre un état du monde qui ne donne pas franchement envie. Et pourtant! Audrey le dit: « Tout est très étrange mais je suis heureuse, je crois… » Alors, on sort de Bird People avec le sourire aux lèvres et la réconfortante sensation d’être bien.

BIRD PEOPLE.- Comédie dramatique (France – 2h06) de Pascale Ferran avec Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camélia Jordana, Taklyt Vongdara. Dans les salles le 4 juin.

Laisser une réponse