L’artiste, le fonctionnaire et la mareyeuse
GENIE.- Plus connu sous le nom du Caravage, Michele-Angelo Merisi est un immense artiste mais c’est aussi un rebelle qui se heurte aux règles de l’Église. Celles-ci prescrivent notamment comment les thèmes religieux doivent être représentés dans l’art. Lorsque le pape Paul V apprend que le peintre utilise des filles de joie (Lena Antonietti, fameuse prostituée romaine, devint son modèle favori) des voleurs et des vagabonds comme modèles pour ses tableaux, il fait effectuer des recherches par ses services secrets. Les résultats seraient déterminants pour l’octroi d’une grâce au Caravage. Pour le meurtre d’un rival issu d’une noble famille, Merisi a été condamné à mort par décapitation. En attendant, grâce au soutien de la riche marquise Costanza Sforza Colonna (Isabelle Huppert), secrètement éprise de lui, Caravaggio a pu se réfugier à Naples. Le souverain pontife a confié à un inquiétant inquisiteur (Louis Garrel) surnommé L’ombre, de mener l’enquête sur ce génie de la peinture. Troublé par la puissance de ses oeuvres, le policier va découvrir les vices et les vertus contradictoires du Caravage, tenant de la sorte sa vie -et sa mort- est entre ses mains.
« La première idée du film, se souvient le réalisateur, remonte à 1968, lorsque, récemment arrivé à Rome, je passais mes après-midi Piazza Campo de’ Fiori avec mes collègues du Conservatoire. L’histoire de la ville (…) ont fait rêver à des projets futurs ayant pour cadre cette période historique et cette ville-monde dans laquelle coexistaient la papauté, la noblesse et les misérables, où Caravage cherchait sa place. Le film que j’avais en tête rendrait toute l’authenticité du peintre avec ses vices et ses vertus, son humanité profonde et viscérale, et en même temps toute la vérité de son époque. »
Porté par Riccardo Scamarcio, Caravage (Italie – 1h58. Dans les salles le 28 décembre), treizième film comme réalisateur du comédien Michele Placido (il incarne ici le cardinal Del Monte, un soutien du peintre) imagine le célèbre peintre comme un artiste pop, menant la vie tourbillonnante qu’il mènerait aujourd’hui à New York ou à Londres. Ce Milanais de naissance (1571-1610) est venu à Rome parce que c’est le centre du monde, un univers d’immigrés, de prostituées, de prêtres, de pèlerins, de cardinaux, de princes et de voyous. Un univers de grandes richesses et d’extrême pauvreté, de pouvoirs forts et d’immenses servitudes, l’argent qui coule à flots dans les palais et le peuple qui meurt de faim dans les ruelles.
En suivant Merisi, obsédé par la nécessité d’appuyer son art sur la réalité nue de l’existence, le cinéaste s’est fixé un défi, celui de subvertir l’imagerie courante des films se déroulant à la fin du XVIe siècle afin de réaliser un film authentique, sale, loin de la tentation d’une reconstitution léchée. Le Caravage, génie novateur et tourmenté, se glisse dans un univers foisonnant, volontiers nocturne, où il évolue à l’aise au milieu d’une humanité turbulente de criminels, de mendiants et de catins. Débraillé, souillé par les marques de son métier, toujours avec une épée, prêt à se battre, il s’attirera la haine d’ennemis puissants et sera l’artisan de son propre destin tragique.
DIGNITE.- Dans l’Angleterre de 1953, Londres panse encore ses plaies après la Seconde Guerre mondiale. Fonctionnaire au long cours et chef du bureau des travaux publics municipaux, M. Williams est cependant un rouage impuissant dans le système administratif de la ville qui doit se reconstruire. Il mène une vie morne et sans intérêt, mais tout change lorsque son médecin lui annonce qu’il lui reste six mois, au mieux neuf mois à vivre. Déchiré par la nouvelle mais n’en laissant rien paraître, Williams est contraint de faire le point sur son existence. Au lieu de prendre, une nouvelle fois, le train de banlieue du matin qui va l’amener à Waterloo Station puis à son travail, il choisit de passer outre… Dans un café au bord de la mer, il croise un inconnu auquel il se confie et qui va l’aider à rejeter son quotidien banal et routinier. Au sortir d’un pub, une fille lui vole son chapeau melon qui sera remplacé par un feutre mou. Williams peut commencer enfin à vivre pleinement sa vie.
Les premières séquences de Vivre (Grande-Bretagne – 1h42. Dans les salles le 28 décembre) sont savoureuses. Dans de sombres bureaux, Wakeling, une nouvelle recrue, s’initie à un difficile labeur : apprendre à enterrer un dossier. Et le ballet de quelques mères de famille militant pour la création d’un espace de jeux pour leurs enfants sur un terrain fracassé par le Blitz, trimballées de service en service, est une petite réussite de l’humour britannique. Mais le propos va rapidement se centrer sur Williams, incarné à la perfection par un grand Bill Nighy capable de la meilleure comédie (Love Actually en 2003) mais parfaitement émouvant, ici, en homme né à l’époque édouardienne, rigide, conformiste mais qui va faire sauter un verrou.
Pour éviter les clichés trop « british », les producteurs de Living (en v.o.) ont fait appel au Sud-africain Oliver Hermanus qui se sort à son avantage de ce remake du film japonais éponyme dAkira Kurosawa sorti en 1952, lui-même inspiré du roman La Mort d’Ivan Ilitch de Léon Tolstoï publié en 1886. Dans une reconstitution historique soignée mais pas trop envahissante, le cinéaste se concentre sur un homme digne mais engoncé dans les convenances auquel une ultime et utile réalisation va permettre de se regarder en face et d’affronter, avec un fin sourire, la dernière épreuve.
PLAISIR.- Quelque part, dans un bateau sur l’océan, au large des côtes de la Vendée, un couple de marins-pêcheurs ramène dans ses filets crabes et homards. Bientôt, cette belle pêche ira garnir les tables… Voilà une quinzaine d’années que Chiara Maertens a quitté sa Belgique natale pour venir vivre sur une île de la côte atlantique, là où son mari Antoine a grandi. Ils forment un couple heureux et amoureux.
Chiara a appris le métier d’Antoine, la pêche, et travaille à ses côtés depuis deux décennies. Pour l’aider dans sa tâche, le couple a décidé de recruter un apprenti. Un premier n’a pas fait l’affaire. Le nouveau venu, Maxence, va peu à peu bousculer les certitudes de Chiara… Lors du mariage d’un vieil ami du couple, Maxence entraîne Chiara, passablement éméchée, dans une maison vide et à vendre. Commence alors un jeu érotique où Chiara cède à Maxence. Mais, dit-elle, on n’en parle plus. Voeu pieux. Si Chiara résiste longtemps, le départ d’Antoine pour Londres où il doit participer à des négociations sur la pêche et le Brexit, va précipiter les choses…
Avec La passagère (France – 1h42. Dans les salles le 28 décembre), Heloïse Pelloquet, qui a déjà une carrière de réalisatrice de courts-métrages et de monteuse, notamment pour Guillaume Brac et Axelle Ropert, signe son premier « long » et part d’un personnage autonome et fort, ici une femme de la quarantaine, une travailleuse, qui va vivre une histoire d’amour adultère avec un très jeune homme. « J’avais envie, dit la cinéaste, d’écrire le plaisir d’une femme qui ne se l’autorise pas facilement. Avec l’idée de faire de Chiara une femme moderne, dans la vie active, et non le schéma classique d’une bourgeoise désœuvrée à la Emma Bovary, ou d’une femme au foyer adultère par ennui. » De manière agréable, La passagère va s’inscrire dans un milieu réaliste sur fond de mer et de vent et se développer dans un récit romanesque et sensuel (avec des scènes d’amour assumées) où une femme bien dans sa peau (et qui a même le courage de déplaire), revendique son droit au plaisir de façon naturelle, en suivant son élan, sans que cela ne provienne pas d’une blessure intime à panser ou d’une réflexion élaborée.
Le film doit presque tout à une Cécile de France fine, radieuse, hâlée, dont le sourire éclatant est celui d’une femme libre et qui assume in fine ses choix…