Quentin Dupieux a-t-il des volutes bleues plein la tête ?
Dieu est un fumeur de havanes
Je vois ses nuages gris
Je sais qu’il fume même la nuit
Comme moi, ma chérie
Tu n’es qu’un fumeur de gitanes
Je vois tes volutes bleues
Me faire parfois venir les larmes aux yeux
Tu es mon maître après Dieu
Dieu est un fumeur de havanes
C’est lui-même qui m’a dit
Que la fumée envoie au paradis
Je le sais, ma chérie
Tu n’es qu’un fumeur de gitanes
Sans elles tu es malheureux
Au clair de la lune ouvre tes yeux
Pour l’amour de Dieu…
S’offrir du Gainsbourg pour ouvrir son nouveau film… Quentin Dupieux ne se refuse rien et il a bien raison puisque, d’emblée, il nous régale. Un père, une mère, un gamin en voiture, sans doute sur la route des vacances. La radio de bord sussure le duo Gainsbourg/Catherine Deneuve. Mais le gamin a besoin de faire pipi. Depuis une position escarpée, il aperçoit… Mais oui, c’est eux ! Les justiciers les plus cool du monde ! Les cinq membres de la Tabac Force sont en train de se battre avec une tortue géante qui leur donne du fil à retordre. Pour vaincre la bête, le quintet va activer ses gaz mortels. On a nommé benzène, méthanol, nicotine, mercure et ammoniaque. Autant de substances toxiques présentes dans le tabac et qui donnent leur nom aux justiciers. La tortue sera ventilée façon puzzle… Du sang et de la viande volent alentour, ce qui n’empêche pas la famille de faire une photo souvenir avec la Tabac Force. Benzène, lui, prend le gosse à part et lui conseille de ne pas faire comme son crétin de père qui tire sur sa clope. « Fumer, ça fait tousser. C’est nul ! »
Réalisateur, scénariste et aussi artiste de musique électronique, Quentin Dupieux tient une place à part dans le paysage du cinéma français. On l’a découvert en 2010 avec Rubber (tourné à Los Angeles en 14 jours avec deux appareils photo) qui racontait l’histoire d’un… pneu aux pouvoirs psychokinétiques pris d’une frénésie meurtrière en plein désert californien…
On avait compris déjà alors que Dupieux allait forcément nous embarquer, au fil de ses œuvres, dans un parcours constamment balisé d’humour foutraque.
On a pu le vérifier récemment avec Incroyable mais vrai et sa villa à l’étrange conduit rajeunissant mais aussi, plus tôt, avec Le Daim (critique sur ce site) et sa veste à franges 100 % daim qui donne à Georges, 44 ans, un « style de malade » ou encore, en 2018, avec Au poste ! (critique sur ce site), huis-clos complètement barré dans un commissariat, la nuit…
« En entreprenant, explique le cinéaste, d’écrire une comédie riche en références du passé (…) dans le simple et noble but de divertir un public abattu par le présent, je ne pensais pas trouver en chemin autant de substance ni autant de vérité… Sous ses faux airs de farce parodique, Fumer fait tousser est en fait mon film le plus sérieusement connecté au monde réel et j’en suis le premier surpris. Sans que ce soit une volonté consciente de ma part, l’époque et ses enjeux dramatiques se sont glissés entre les lignes de mes dialogues, comme si on ne pouvait plus faire semblant d’ignorer la crise que notre planète traverse, comme s’il était inconcevable maintenant qu’un film, même drôle, ne soit pas un reflet de ce que l’humanité tout entière est en train de vivre. »
Film sérieusement connecté au monde par tous les thèmes contemporains qu’il charrie, ce onzième long-métrage de Quentin Dupieux est cependant sérieusement… barré ! Bien sûr, il faut entrer dans cet univers potache mais dès lors que l’on joue le jeu, on se laisse emporter dans un récit, très habilement mené, qui nous ravit par ses trouvailles drolatiques. A commencer par le look de ces justiciers qui nous ramènent aux belles heures de Power Rangers ou de San Ku Kai. A en croire Chef Didier, un rat bavant et lubrique (avec la voix d’Alain Chabat), les membres de la Tabac Force ont besoin de travailler sur la cohésion du groupe. Les voilà donc en vacances-séminaire dans une campagne ensoleillée, au bord d’un lac et dans une base confortable. De quoi leur laisser le temps de se raconter des histoires. Et voilà Dupieux qui enchaîne une suite de petits récits racontés par les uns et les autres. Des récits tous plus horrifiques les uns que les autres où il est question d’un « casque à penser » modèle 1930 ou d’une broyeuse à bois juste avant que Lézardin, l’empereur du Mal, las de voir une planète habitée par tant de fous, décide de la supprimer.
Pour la Tabac Force, c’est la fin. La seule solution, c’est peut-être de demander au robot Norbert 1500 d’enclencher la procédure U55 pour changer d’époque. Procédure en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours, en cours…
Enfin, le cinéma de Quentin Dupieux est désormais ce place to be… Comme autrefois chez Woody Allen, le nec plus ultra des comédiens français se presse dans les films de Dupieux. Avec ceux qui étaient déjà venus (Anaïs Demoustier, Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopoulos) et les petits nouveaux (Gilles Lellouche, Jean-Pascal Zadi, Doria Tillier, Blanche Gardin, Oulaya Amamra, Vincent Lacoste), ça fait du beau monde !
Pour servir un divertissement faussement inconséquent, agréablement court, joyeusement délirant et infiniment séduisant !
FUMER FAIT TOUSSER Comédie (France – 1h20) de Quentin Dupieux avec Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Anaïs Demoustier, Jean-Pascal Zadi, Oulaya Amamra, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos, David Marsais, Doria Tillier, Blanche Gardin, Benoît Poelvoorde, Jérôme Niel, Alain Chabat. Dans les salles le 30 novembre.